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Moyen-Orient - Commentaire

Pourquoi la Syrie ne mobilise pas comme la Palestine

Treize ans après le déclenchement du soulèvement contre le régime Assad, la tragédie syrienne laisse toujours indifférent. En comparaison, le martyre infligé par Israël aux Palestiniens donne lieu en Occident à une mobilisation importante d’une partie de la société civile.  

Pourquoi la Syrie ne mobilise pas comme la Palestine

Manifestation propalestinienne à Londres, le 13 janvier 2023. Henry Nicholls/AFP

Il n’y a pas eu de grande mobilisation internationale. Ni cette année ni celle d’avant. Malgré les centaines de milliers de morts, de disparus, de torturés. Malgré les millions de réfugiés, de déplacés internes et d’exilés. Malgré les sièges d’Alep, de la Ghouta et d’Idleb. Treize ans après le déclenchement du soulèvement syrien le 15 mars 2011, le constat est le même qu’il y a un an, qu’il y a trois ans, qu’il y a dix ans. Par désintérêt ou choix politique, la tragédie syrienne ne suscite toujours pas de grands élans d’empathie aux quatre coins du monde, alors même que le monde entier s’est progressivement retrouvé en Syrie : la Russie et l’Iran ; la Turquie et Israël ; la coalition internationale contre l’État islamique ; miliciens chiites et jihadistes sunnites de toutes les nationalités possibles et imaginables. Le principal responsable de la situation a un nom et un visage. Il s’appelle Bachar el-Assad. Et il n’a su répondre aux aspirations de son peuple que de la seule manière qu’il connaisse : la mort, la destruction, le chaos.

En comparaison, la folie meurtrière d’Israël – qui depuis l’attaque sanglante du Hamas le 7 octobre atteint des sommets inégalés – suscite colère et réprobation auprès de franges importantes des opinions publiques mondiales. On manifeste, on bloque les universités, on arbore des drapeaux palestiniens dans les mouvements sociaux, on appelle au boycott. Une partie des électeurs du Parti démocrate aux États-Unis menace de s’abstenir au scrutin présidentiel à venir pour protester contre le soutien politique et militaire indéfectible de Joe Biden – rebaptisé « Genocide Joe » – à l’État hébreu.

Pourtant, le régime sioniste et le régime Assad ont recours à des méthodes similaires : bombardements indiscriminés, incarcération massive, torture et mauvais traitements, siège des villes et des villages et volonté affichée de chasser la population pour recoloniser le territoire dans le cas israélien, pour récupérer un pays utile débarrassé de ses « classes dangereuses » dans le cas syrien. Et afin d'attirer la sympathie d’une partie des Occidentaux, l’un et l’autre ont eu recours à une rhétorique de défense de la « civilisation » face au « terrorisme ».

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Pour comprendre ce décalage dans la réception de ces deux catastrophes politiques et humanitaires, plusieurs raisons peuvent être invoquées. La première est d’ordre temporel. Cela fait plus de 75 ans que le peuple palestinien subit les stratégies israéliennes visant à l’expulser de chez lui. Si l’on préfère remonter à la déclaration Balfour (1917) ou au premier congrès sioniste mondial (1897), la question est même vieille de plus d’un siècle. Certes, cette longévité enfante une forme de lassitude. Elle donne l’impression que le sujet est insoluble et qu’il faut « faire avec ». Mais au gré du temps, l’émergence d’un contre-récit palestinien dans des sociétés occidentales longtemps dominées par le son de cloche sioniste libéral a contribué à changer la donne. Et l’accumulation des blancs-seings accordés à Israël par les gouvernements occidentaux a nourri un fort sentiment de ras-le-bol au sein d’une partie de leurs populations. Une émotion renforcée par la charge symbolique du lieu. De par son histoire et l’imaginaire qu’elle convoque, la Terre sainte est évidemment plus propice aux passions.

Fossé

L’essentiel est cependant ailleurs. Le bien mal-nommé « conflit » israélo-palestinien permet de raviver à gauche et dans les milieux antiracistes une grille de lecture anti-impérialiste Nord-Sud qui rappelle les grandes luttes anticoloniales d’hier. Pour certains, la guerre en Syrie – aussi terrible soit-elle – est apparue comme une affaire interne au monde arabe, qui du fait du jeu des puissances s’est transformée en conflit international. Sans compter les conséquences désastreuses des invasions de l’Afghanistan et de l’Irak à l’orée des années 2000 qui ont rendu nombre d’Européens et d’Américains circonspects face aux discours fondés sur la défense de la « liberté » contre « l’obscurantisme » ou la « dictature ».

En revanche, la question palestinienne est intrinsèquement liée à l’histoire de l’Europe, le continent qui a théorisé l’antisémitisme et mis en œuvre la Shoah d’une part, qui s’est partagé l’Orient arabe sur les ruines de l’Empire ottoman de l’autre. C’est à Bâle, en Suisse, que s’est déroulé le premier congrès sioniste mondial. Theodor Herzl était austro-hongrois. Ben Gourion est né à Plonsk, Golda Meir à Kiev. Lord Balfour lui-même a accueilli favorablement l’établissement d’un foyer national juif en Palestine dans le but antisémite d’atténuer selon lui « les misères séculaires créées pour la civilisation occidentale par la présence en son sein d’un corps qu’elle a trop longtemps considéré comme étranger et même hostile ». Les racines intellectuelles, idéologiques et politiques du sionisme sont européennes. Et de ce fait, l’Europe a une responsabilité historique dans le drame palestinien. Dans ces circonstances, s’emparer de la question syrienne donne à certains l’impression de se mêler de ce qui ne les regarde pas, quand militer pour la Palestine revient en somme à balayer devant sa porte.

Le fossé Syrie-Palestine au sein des opinions publiques n’est ainsi que le miroir inversé d’un fossé similaire au sein des gouvernements et de nombreux médias. Certes, Bachar el-Assad est parvenu à séduire l’extrême droite, par définition hostile à la démocratie, et une partie de la gauche radicale grâce à son jargon anti-impérialiste. Mais par paradigme libéral dominant, la voix de l’opposition syrienne a pu parfois trouver des échos favorables dans certains cercles du pouvoir et de la presse. L’UE tout comme les États-Unis ont voté des sanctions contre le régime Assad. Ils en ont fait de même contre son protecteur russe, après l’annexion de la Crimée en 2014 et l’invasion de l’Ukraine en 2022. Ce n’est pas le cas avec Israël. Bien au contraire. Après le 7 octobre – comme à l’accoutumée mais avec plus d’entrain –, les principaux leaders occidentaux se sont pressés au chevet de l’État hébreu et ont fait la sourde oreille lors des sorties génocidaires de ses dirigeants. Des événements en présence d’artistes et d’écrivains palestiniens ont été annulés. Des mobilisations propalestiniennes ont été interdites. L’aide à l’Unrwa a été mise en suspens.

Crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans le monde ne sont pas l’apanage d’Israël. Mais Israël est le seul État au monde qui bénéficie d’une éternelle impunité de la part des Occidentaux, pourtant les premiers à invoquer les droits humains quand cela leur est profitable. Militer pour la Palestine revient alors à faire pression sur son propre gouvernement, à critiquer ses propres médias.

Certes, une partie des militants les plus actifs dans cette mobilisation se sont distingués auparavant – sous des prétextes géopolitiques – par un soutien plus ou moins assumé à Damas, Moscou ou encore Téhéran. Les écouter à présent évoquer avec gravité les horreurs infligées aux Palestiniens peut légitimement exaspérer. Le fait est cependant qu’en matière de campisme, ils sont aujourd’hui rejoints par de nombreux libéraux qui avaient condamné par le passé Assad et Poutine et qui se rangent désormais derrière Israël. S'agissant du« deux poids, deux mesures», les uns rivalisent avec les autres.

« Ce que Assad a fait en quelques années, même Israël n’en a pas été capable depuis la Nakba. » Au cours de la décennie précédente, dans certains cercles intellectuels, beaucoup en étaient arrivés à ce constat lugubre. Au-delà des limites d’une telle comparaison – malgré des similitudes évoquées plus haut, colonialisme de peuplement d’une part et despotisme de l’autre répondent à des logiques différentes –, la vérité est que l’entreprise meurtrière israélienne relève aujourd’hui du jamais-vu dans une région pourtant habituée à l’écrasement de la dignité humaine. En cinq mois seulement, l’État hébreu a tué plus de 31 000 Palestiniens dans la bande de Gaza. Parmi eux, près de 12 300 sont des enfants.  Mais à quoi bon se livrer à ces décomptes sinistres ? Une injustice est une injustice. Quelle que soit l’identité de l’oppresseur, quelle que soit celle de l’opprimé. 

Il n’y a pas eu de grande mobilisation internationale. Ni cette année ni celle d’avant. Malgré les centaines de milliers de morts, de disparus, de torturés. Malgré les millions de réfugiés, de déplacés internes et d’exilés. Malgré les sièges d’Alep, de la Ghouta et d’Idleb. Treize ans après le déclenchement du soulèvement syrien le 15 mars 2011, le constat est le même...

commentaires (15)

@Soulayma MARDAM BEY, comment savez vous qu'il y a eu 31 mille morts à Gaza ? vous pensez qu'une organisation comme le Hamas qui est incapable de dire le nombre de prisonniers de l'entité sioniste encore vivants peut donner des chiffres exacts des morts Palestiniens à Gaza? Qu'appelez-vous 1 enfant ? 1ado ayant 1 arme & bandeau vert est un enfant ? Le 6/10 il y avait une trêve et 20 mille Gazaouis travaillaient dans l'entité sioniste. L'entité sioniste ne veut plus de ces voisins. Mais parlons plutôt de l'Egypte, son armée & ses douaniers corrompus qui ont tout laissé passer depuis 2005 !!

Dorfler lazare

12 h 26, le 18 mars 2024

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Commentaires (15)

  • @Soulayma MARDAM BEY, comment savez vous qu'il y a eu 31 mille morts à Gaza ? vous pensez qu'une organisation comme le Hamas qui est incapable de dire le nombre de prisonniers de l'entité sioniste encore vivants peut donner des chiffres exacts des morts Palestiniens à Gaza? Qu'appelez-vous 1 enfant ? 1ado ayant 1 arme & bandeau vert est un enfant ? Le 6/10 il y avait une trêve et 20 mille Gazaouis travaillaient dans l'entité sioniste. L'entité sioniste ne veut plus de ces voisins. Mais parlons plutôt de l'Egypte, son armée & ses douaniers corrompus qui ont tout laissé passer depuis 2005 !!

    Dorfler lazare

    12 h 26, le 18 mars 2024

  • Bachar a sauvé la Syrie et le peuple syrien des tentatives étrangères de démanteler son pays , mais au prix de grands sacrifices . Il doit être bien satisfait après cela de voir aujourd'hui les mêmes pays arabes qui le combattaient se rapprocher de lui et reconnaître son leadership et sa perspicacité . la Syrie va redémarrer en force .

    Chucri Abboud

    12 h 09, le 18 mars 2024

  • Comparer ASSAD et NETANYAHOU est une insulte á l intelligence : le 1 er a perpétré un génocide contre son propre peuple. Aucun leader israélien même le plus extrêmiste n a jamais fait tirer sur son peuple.

    HABIBI FRANCAIS

    11 h 29, le 18 mars 2024

  • En Syrie, Assad n'a fait que défendre sa population. En Russie, Poutine ne fait que défendre son pays. En Libye, Kadafi ne faisait qu'améliorer le sort des libyens, voire de l'ensemble des africains, Et devinez contre qui ? Contre l'Occident prédateur.

    BASSIL Antonio

    11 h 18, le 18 mars 2024

  • Bachar el Assad is indefendible unlike Israel who is unscruplously killing Palestinians he managed to butcher half a million of his own people ( with the aid of Iran and Russia ) and yet these countries and others ( South Africa) had not lifted a finger while it was happening. Now this is what you call hypocrisy and double standard .

    EL KHALIL ABDALLAH

    11 h 06, le 18 mars 2024

  • Excellente question. excellente analyse.

    Yves Prevost

    07 h 34, le 18 mars 2024

  • Ècoutex-bien : La syrie n'a pas usurpé les terres d'aucun autre pays , et de plus , elle a été victime de complots tramés par des puissances extérieures qui voulaient s'emparer du pouvoir syrien . Bachar el Assad a su réagir pour empêcher cette maimise de l'extérieur et a pu dissuader en fin de compte tous les protagonistes qui commencent de nouveau à se rendre compte qu'il est enraciné et indélogeable . Par contre nous avons en face une entité colonialiste , apartheidiste , usurpatrice de la Palestine , financée sans limite par les américains et qui massacre et tue sans fin ! Choisissez

    Chucri Abboud

    02 h 02, le 18 mars 2024

  • ""Pour certains, la guerre en Syrie – aussi terrible soit-elle – est apparue comme une affaire interne au monde arabe"". Quand le régime baasiste était satisfait des Occidentaux qui fermaient un œil sur ses exactions du temps de l’occupation du Liban, répétant à l’infini que cette affaire est interne au Liban. Par effet de boomerang, il dira que la crise syrienne ne concerne que la Syrie… Toute la Syrie ? Depuis l’indépendance de la tutelle française, on n’a pas forgé une démocratie, mais on a préféré occuper son voisin libanais, avec le consentement d’autres protagonistes dont Israël.

    Nabil

    20 h 49, le 17 mars 2024

  • 30.000 morts civils à Gaza en 5 mois, du jamais vu dans la région ? Allons donc. Et le massacre de Hama en 1982, entre 20.000 et 40.000 morts CIVILS en QUELQUES JOURS.. Cet aveuglement explique à lui seul en grande partie la différence de traitement dans les médias entre la cause des palestiniens en lutte contre l'Israël sioniste et la cause des libanais des syriens des iraquiens et des iraniens en lutte contre l'autre facette de la même pièce: l'Israël safavide.

    Citoyen libanais

    20 h 36, le 17 mars 2024

  • Et de ce fait, l’Europe a une responsabilité historique dans le drame palestinien. Je dirai même que tous les maux par caricature sont de la faute des Européens. On l’a dit la même chose lors du génocide rwandais, et chacun doit être placé devant ses responsabilités. Depuis l’indépendance de la tutelle européenne, la Syrie n’avait d’œil que sur son voisin libanais, (le Liban est entièrement absent de l’analyse). Quelle était l’attitude des Européens vis-à-vis du régime syrien occupant et bombardant des populations civiles libanaises et palestiniennes.

    Nabil

    20 h 31, le 17 mars 2024

  • C’est donc dans le sillage du printemps arabe, que se situe la récente crise syrienne. La partition de la Syrie ne s’est pas encore achevée, que d’évènements s’annoncent douloureux. Pour soutenir les Syriens dans leurs légitimes revendications, quelle était l’action pour reprendre le Golan occupé. Le Hamas revendique des droits dans un territoire sous embargo, et parle d’occupation israélienne. Que peuvent dire les Syriens, quand les Iraniens, les Turcs, les Russes, les usa, le Hezbollah occupent la Syrie, sans oublier un chef baasiste occupant, mais avec quelle légitimité… une "Syrie utile".

    Nabil

    20 h 19, le 17 mars 2024

  • ""Treize ans après le déclenchement du soulèvement syrien le 15 mars 2011, le constat est le même qu’il y a un an, qu’il y a trois ans, qu’il y a dix ans"", et je dirai même plus : on dira la même chose l’année prochaine. Le commentaire ne dit pas pour quoi la Syrie ne mobilise pas autant que la Palestine. C’est dans le sillage du printemps arabe que la guerre civile syrienne a pris de l’ampleur. Les occidentaux étaient partants pour calmer les ardeurs du Syrien, mais le passage à l’acte ne s’est pas concrétisé. Là tout le mystère, sans doute pour ne pas déplaire au parrain russe…

    Nabil

    20 h 07, le 17 mars 2024

  • Pourquoi avoir peur de dire la réalité des vraies raisons de cet insupportable déséquilibre de ressenti de l' opinion arabe et une partie de celle de l'Occident face aux massacres du peuple syrien par Assad et du peuple gazaoui par Israël... c'est simplement et uniquement d'ordre religieux... c'est tout...

    Oscar

    19 h 47, le 17 mars 2024

  • Barak Obama dansait et faisait des blagues au bal des correspondants de la maison blanche. C'est autrement plus important. Resultat: Poutine a consolidé ses positions en Syrie. Il s'est cru suffisamment fort et a attaqué l'Ukraine. Barak Obama continue á danser et les européens dans leur betise paient les pots cassés. Le reste du monde a compris le manque de loyauté des américains et le manque de couilles des européens

    Moi

    18 h 30, le 17 mars 2024

  • La rébellion syrienne a été armé et soutenu par les arabes et les occidentaux, elle a infligé à l’armée de Bachar entre 150 et 200 000 morts…. Les palestiniens ne sont armés par personnes, pas de canons, pas himars, pas de chars, pas de drone…. ils sont enferme dans un ghetto à Gaza…. Il n’y a pas de comparaison avec les syriens en toute objectivité

    HADDAD Fouad

    16 h 48, le 17 mars 2024

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