Cette année, les célébrations ce week-end de la Saint-Patrick à la Maison-Blanche s’annoncent particulièrement tendues. D’abord parce que le Taoiseach (Premier ministre) irlandais Leo Varadkar a clairement indiqué qu’il profiterait de l’occasion pour dire à son homologue américain à quel point il est déçu de la manière dont le dirigeant a géré la guerre à Gaza. Ensuite et surtout parce qu’une partie de la délégation irlandaise a décidé de boycotter les festivités de dimanche, pour faire valoir son opposition au rôle des États-Unis dans ce conflit qui dure depuis le 7 octobre et qui a fait plusieurs dizaines de milliers de morts.
Leo Varadkar et la Première ministre d’Irlande du Nord Michelle O’Neill ne participent pas à ce boycott et devaient en principe rencontrer vendredi le président américain Joe Biden – qui est d’origine irlandaise –, et comptent utiliser ce créneau pour appeler les États-Unis, principal allié d’Israël, à user de leur influence pour protéger les civils de Gaza. Le tout sur fond de pression internationale croissante appelant l’État hébreu à lever le pied.
Discours puissant
Signe de la détermination des dirigeants irlandais, Leo Varadkar a prononcé ce que le Irish Times a décrit comme étant « sans doute son discours le plus puissant qu’il ait fait depuis qu’il est devenu Toaiseach en 2017 », alors que le quotidien considère que l’homme est loin d’être un « orateur renommé ». Salué par une ovation, le Premier ministre a pointé du doigt le bilan de ce qu’il a décrit comme la punition collective d’Israël envers Gaza et averti que « les cris des innocents nous hanteront à jamais si nous restons silencieux ».
« Ces cris engendreront plus de représailles, plus de violence et plus de vengeance. Aucun enfant n’a jamais donné son accord pour des actes terroristes. Aucun enfant ne devrait être puni pour ces actes », a-t-il encore clamé avant d’ajouter : « Il est inadmissible qu’ils meurent non seulement à cause des bombardements incessants et de la destruction, mais aussi de faim, de soif et de l’absence de traitement médical et de soins. »
Selon l’agence Reuters, Leo Varadkar a aussi déclaré qu’il dirait à Joe Biden que les Irlandais veulent « un cessez-le-feu immédiat, que les tueries cessent, que les otages soient libérés sans condition, que de la nourriture et des médicaments soient acheminés à Gaza ».
La position unique de l’Irlande
Dans un article publié dans le Washington Post, la journaliste et écrivaine irlandaise Amanda Ferguson explique la position unique de l’Irlande à l’égard du conflit israélo-palestinien, position qui se distingue nettement de celle de la majorité des autres pays européens. Elle indique que le pacifisme est au cœur de l’identité irlandaise moderne et que le pays maintient depuis longtemps une politique de neutralité militaire. L’Irlande est l’un des quatre membres de l’UE à ne pas faire partie de l’OTAN. En outre, l’Irlande est « l’un des plus ardents défenseurs de la cause palestinienne dans le monde ».
Le Washington Post souligne également un autre dénominateur commun entre les Palestiniens et les Irlandais : le fait qu’Arthur Balfour, l’homme politique britannique dont la déclaration de 1917 promettait le soutien britannique à « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif », s’était opposé, lorsqu’il était Premier ministre, au mouvement en faveur de la souveraineté et de l’indépendance de l’Irlande vis-à-vis de l’Angleterre.
La position de la Première ministre nord-irlandaise est beaucoup moins tranchée que celle de son homologue de la partie sud de l’île d’Émeraude. Selon The Independent, Michelle O’Neill s’est contentée de déclarer qu’elle mettrait à profit son séjour à Washington « pour parler à tous ceux à qui (elle peut) s’adresser (...) afin de soulever le fait que l’une des politiques étrangères les plus réussies des États-Unis a été le processus de paix irlandais et leur rôle constructif en tant que partenaire solide pour la paix ». « Et j’inviterai le président et d’autres à les encourager à adopter la même approche au Moyen-Orient », a-t-elle déclaré lors d’une interview accordée à PA Media.
Contributeur de l’Unrwa
Joe Biden, qui évoque souvent ses origines irlandaises et cite volontiers des poètes irlandais, s’est rendu dans ce pays en avril dernier pour marquer le 25e anniversaire de l’accord du Vendredi saint et a exprimé son soutien à l’accord de paix.
Le mois dernier, l’Irlande avait annoncé une aide de plus de 21 millions de dollars à l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), après qu’un dossier israélien accusant 12 membres de l’agence d’être impliqués dans l’attentat du 7 octobre a entraîné d’importantes réductions de son financement et menacé de mettre un terme à ses activités dans la région. Reuters rapporte aussi que l’Irlande a annoncé qu’elle était en pourparlers avec d’autres membres de l’UE qui souhaitent une révision de l’accord d’association UE-Israël au motif qu’Israël pourrait enfreindre la clause de l’accord relative aux droits de l’homme.
Le SDLP, parti nationaliste d’Irlande du Nord, a déclaré qu’il n’enverrait aucun représentant à Washington cette semaine. Fin janvier, la BBC avait rapporté les propos de Colum Eastwood, chef du SDLP, qui a déclaré qu’il ne pouvait « en toute conscience » assister aux célébrations de la Saint-Patrick à la Maison-Blanche en raison du soutien des États-Unis à la guerre d’Israël contre la bande de Gaza.
Colum Eastwood a qualifié la réponse de la communauté internationale au conflit d’« odieusement déficiente » et celle de l’administration américaine de « particulièrement atroce ». Il conclut : « Les scènes de destruction et d’anéantissement à Gaza représentent, à mon avis, un acte de génocide évident. »
Il faudrait être présent pour faire entendre raison.
21 h 26, le 15 mars 2024