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Nos Lecteurs ont la Parole

Ces idéologies qui tuent au nom de Dieu

« Qui se trompe de Dieu blasphème et perd son âme. » (François Cavanna)

L’idéologisation de la religion débute par une interprétation subjective du texte sacré et des événements historiques fondateurs. Cette interprétation est intrinsèquement influencée par divers facteurs tels que le contexte spatio-temporel, la culture, la société et la politique, au détriment des valeurs morales suprêmes émanant du Créateur. Ces valeurs prônent la préservation de la vie humaine, notamment à travers l’interdiction du meurtre et l’utilisation raisonnée de la logique au service du bien commun.

La préférence accordée à la doctrine issue de cette interprétation aboutit à la quasi-élimination de toute transcendance morale. Elle met en avant la lutte pour instaurer le « droit divin », défendre la « majesté divine » ou réaliser la « volonté divine ». Ces objectifs, revêtant une dimension unilatérale et universelle sacrée, justifient la suppression de tout ce qui est différent.

Il est indéniable que la transformation de l’interprétation humaine du texte religieux en un enseignement dogmatique inaltérable entrave la rationalité (au sens épistémologique) et transcende les normes éthiques élevées, produisant tout au long de l’histoire et continuant de produire aujourd’hui des tragédies terrifiantes. N’est-ce pas au nom de la préservation de la bonne foi que les tribunaux d’inquisition ont été établis au Moyen Âge ? Et au nom de « la Terre promise », des peuples ont été chassés et des massacres commis ? Et au nom de Dieu, les crimes les plus horribles continuent d’être perpétrés dans notre région à Gaza, au Yémen, en Irak et ailleurs ?

Lorsque les valeurs éthiques sont négligées et que la rationalité est exclue du domaine doctrinal religieux, il devient difficile d’éviter la domination de l’émotion résultant du moule doctrinal rigide sur l’individu et la communauté. Cette émotion mêle des facteurs émotionnels internes, culturels et parfois raciaux dans sa formation, ouvrant la voie à l’exploitation politique de l’individu et de la communauté. Celle-ci trouve sa cohérence désormais grâce à sa nervosité qui s’alimente de la force de la tradition bien ancrée et renforcée par la succession des générations en l’absence de critique objective.

Cette tradition devient la référence qui confère une légitimité aux structures sociales, éducatives et politiques de la communauté. Ainsi, toutes les conditions sont réunies pour que les leaders de la communauté interprètent la foi et les événements religieux fondateurs politiquement, c’est-à-dire en projetant la signification doctrinale et religieuse des événements du lointain passé sur les réalités politiques d’aujourd’hui. Ils exploitent ainsi la communauté assujettie à leurs intérêts ou à leurs projets, devenant les garants de son identité et de sa continuité. Il n’est donc pas surprenant que ces leaders deviennent des « symboles » de leur groupe et le centre – ce qui est appelé en sociologie – du « culte du chef ».

La dimension idéologique de la religion réside au cœur des problématiques que traverse le Moyen-Orient. Il est indéniable que sortir de ce cercle vicieux et désastreux nécessite avant tout de rétablir la position supposée des valeurs morales en harmonie avec la croyance, de sorte que la croyance ne soit ni comprise ni interprétée indépendamment de ces valeurs. Cela permettra non seulement d’apaiser les tensions confessionnelles, mais aussi de libérer la religion de l’emprise de l’idéologie. Cette démarche est essentielle pour l’avènement d’une véritable pluralité, devenue indispensable à l’ère de la mondialisation. S’y opposer ne fera qu’exacerber les conflits et creuser le fossé entre l’Orient et l’Occident.

Si l’idéologie religieuse moderne et contemporaine est née au Moyen-Orient suite aux traumatismes causés par les politiques des grandes puissances, la création d’Israël, l’oppression des régimes totalitaires et la précarité économique, elle s’est également construite en réaction à la modernité. Et si l’on considère l’avènement de la modernité indépendamment des politiques machiavéliques des grandes puissances et de leurs « péchés » commis dans la région, l’idéologie religieuse se trouve devant un choix crucial : s’enliser dans une vision dogmatique et fermée, refusant la pluralité, ou se dissoudre. En effet, la mondialisation relativise chaque doctrine, confrontant la vérité unique autrefois proclamée à un horizon incluant d’autres croyances. La valeur morale élevée joue un rôle déterminant dans la transition vers la pluralité souhaitée.

Si l’essence même de la religion implique la conviction qu’aucune interprétation acceptable du texte sacré ne peut être en contradiction avec une morale sublime provenant de Dieu lui-même, alors cette même morale offre à la religion l’opportunité de se libérer de la prison du passé et de la recherche de la restauration de sa gloire passée. Ou, plus précisément, de rectifier sa relation avec le passé. Il est vrai que le présent de la religion suppose la mémoire du passé comme un réservoir d’expériences et une source d’inspiration qui permet de créer une cohérence entre les événements tout au long de l’histoire et de leur donner un sens. Mais n’est-ce pas la morale sublime qui est en fin de compte une source fondamentale de cette cohérence et un moteur qui l’ouvre au développement, car elle englobe les principes de la pensée rationnelle, du respect d’autrui et de la recherche du bien de tous ?

Au-delà de son rôle moral, le passé peut devenir un refuge illusoire pour éviter de confronter rationnellement les défis du présent et sa nouveauté. Le monde est en constante évolution, un mouvement irréversible. Il est donc nécessaire de développer une pensée critique qui questionne les expériences, les modèles et les résultats du passé, éclairée par de nobles valeurs morales. L’idéologie cherche à tordre l’histoire pour l’adapter à sa doctrine totalitaire rigide. En cela, elle ne fait pas que contrarier le cours naturel de la vie, elle engendre également une souffrance supplémentaire pour l’humanité tout entière et trahit l’essence du message de la religion qu’elle prétend défendre. Ce message, qui ne peut se passer de la richesse de la mémoire accumulée, a besoin, pour être vivant, de dépasser la « tradition » et de passer à « l’innovation ». Un titre d’une gravure du peintre espagnol Francisco Goya (1746-1828) résume la tragédie de l’idéologie : Le sommeil de la raison engendre des monstres.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

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