Le clin d'œil

Comme une lettre à la poste

Comme une lettre à la poste

D.R.

C’est une amie de longue date et elle vous a demandé un tout petit service : « jeter », comme on dit chez nous, une petite enveloppe contenant son passeport à la poste à Paris où vous vous rendez bientôt. Comme chacun le sait, vous êtes bonne fille et aimez rendre service à ceux que vous aimez (et même aux autres, pour tout vous dire…)

À peine débarquée, bravant la grisaille, vous vous rendez aux aurores au bureau de poste le plus proche. La queue est déjà impressionnante. En petite libanaise astucieuse, vous visez une file nettement plus réduite et lancez un bonjour tonitruant, doublé d’un grand sourire à la dame boulotte en charge. Elle vous répond sèchement : « Vous ne voyez pas ? Je suis avec Monsieur ! » Vous bafouillez des excuses desquelles il ressort que vous vouliez seulement lui dire bonjour ! Elle vous lance un regard noir, d’autant plus que n’étant visiblement ni enceinte (ouf !) ni handicapée (re-ouf !), vous n’aviez pas le droit, vous assène-t-elle, d’être dans cette file « prioritaire ».

Vous êtes immédiatement refoulée vers une longue queue au bout de laquelle officie un Black immense, sosie du Big Sam de Tara, celui qui a sauvé Scarlett O’Hara de l’attaque des méchants dans Gone with the Wind. Après une longue attente, malédiction : votre enveloppe n’est pas « aux normes ». Vous proposez d’acheter, à prix d’or s’il le faut, la bonne enveloppe. « Ce service n’est pas disponible à la poste. » Bizarre. Vous qui pensiez naïvement que la poste était le lieu idéal pour vendre des enveloppes… « Allez dans une papeterie », vous conseille l’employé excédé. Où ? Il n’en a évidemment aucune idée… Vous avez remarqué qu’à Paris, les commerçants ne savent pas qui sont leurs voisins.

Vous voilà à nouveau sur les grands chemins à la recherche de l’enveloppe providentielle. Dire qu’à Beyrouth, vous en auriez demandé une à l’épicier du coin qui aurait été ravi de rendre service à une gentille dame. La papeterie du quartier est encore fermée. Vous attendrez longtemps… Enfin munie de la chose, vous revenez à la poste où la file s’est encore allongée.

Il vous faut encore remplir des fiches d’envoi et d’obscurs récépissés rédigés par une Administration française sadique. Malheur : vous avez mis une adresse libanaise pour l’accusé de réception. Il vous faut tout recommencer. Re-file.

Lorsque vous arrivez devant l’employé et qu’il vous annonce que pour les recommandés, il faut impérativement utiliser la machine, vous vous effondrez : vous n’avez jamais su en utiliser une et elle va sûrement engloutir le précieux passeport de votre amie. Pris de pitié devant votre nullité technologique, le gentil Black propose de vous aider. Alors que vous lui tendez des sous, il vous annonce que le paiement ne se fait que par carte bancaire. Vous tremblez. Et si votre carte fournie par votre banquier – un méchant, comme tous les banquiers libanais – ne marchait pas ?

Miracle ! Elle fonctionne ! Vous embrassez sur les deux joues un Big Sam médusé et l’abreuvez de prières et de souhaits fleuris à l’adresse de toutes les générations à venir de sa smala…

Il s’agissait juste de « jeter » une enveloppe à la poste, vous avait-on dit. Un tout petit service.

Il est déjà midi et vous mourez de faim et de froid. Vite un chocolat chaud et des croissants !

P.S.

« Comme une lettre à la poste » porte un titre prémonitoire puisque ce sera la dernière que j’adresserai aux lecteurs fidèles de la rubrique « Clin d’œil » de L’Orient littéraire que je tiens depuis 2010.

C’est une amie de longue date et elle vous a demandé un tout petit service : « jeter », comme on dit chez nous, une petite enveloppe contenant son passeport à la poste à Paris où vous vous rendez bientôt. Comme chacun le sait, vous êtes bonne fille et aimez rendre service à ceux que vous aimez (et même aux autres, pour tout vous dire…)À peine débarquée, bravant la...

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