L’histoire d’amour a commencé en classe de 12e avec une « demoiselle de français » qui portait le doux nom de « Poupa » qu’on confondait avec « Poupée », cette jeune personne ayant les yeux bleus et les cheveux blonds de notre chère poupée en celluloïd. Représentante séduisante d’une langue aux consonances fraîches et douces dont elle nous apprenait tous les mystères, elle a été la première à accompagner les toutes petites filles que nous étions sur les chemins enivrants de la francophonie. Et quelle ne fut notre surprise lorsqu’elle fut remplacée, un après-midi, par une vieille personne au long nez, au chignon noir serré et à la mine sévère, « mademoiselle Inaam », la prof d’arabe. Les jeux étaient faits…
La littérature française ne devait plus jamais nous quitter. De cette chère Comtesse de Ségur (née Rostopchine !) avec ses petites filles modèles « aussi belles que bonnes » qui se régalaient, dans la ferme de leur château, de crème épaisse et de « pain bis » (c’est quoi le pain bis ? Inconnu dans votre patelin de Ain-Es-Saydé !), au malicieux Jean de La Fontaine avec ses fables sagaces, en passant par le terrifiant Mauriac, peintre impitoyable de la bourgeoisie bordelaise avec Le Nœud de vipères et Thérèse Desqueyroux, empoisonneuse tranquille d’un époux bonhomme mais exécré, jusqu’aux émois délicats d’un Maurois dépeignant avec finesse les nuances et les étapes obligées du sentiment amoureux. Et que dire, à l’adolescence, des Misérables de Victor Hugo qui vous a fait prendre conscience, à travers les odieux Thénardier et la pauvre Cosette, de la misère et de l’injustice sociale et de L’Étranger de Camus qui vous a fait découvrir l’absurdité de l’existence, en dépit des discours lénifiants des religieuses bien-pensantes de votre collège ?
Il est vrai que depuis, de l’eau a coulé sous les ponts… On répète à l’envi, à Beyrouth, que la France n’est plus la France, qu’elle n’est plus notre tendre mère et que de Gaulle ne se répètera plus. Et par la même occasion, il est de bon ton de vilipender la nouvelle littérature française, ses romans incompréhensibles, ses trames obscures, ses stars surfaites et ses prix littéraires impossibles.
Tout cela n’a pas empêché ce même public libanais francophone de se lamenter lors du report, les années précédentes, du Salon du livre francophone et de se désoler de sa transformation, l’année dernière, au son bien connu de « c’était mieux avant ! ».
Et bien entendu, cela n’empêchera pas tout ce beau monde de se précipiter, en octobre, au festival Beyrouth-Livres pour assister, avec délectation, à toutes les rencontres littéraires, lectures, débats et signatures de livres.
Pourquoi ? Parce que c’est le Liban et parce que c’est la France. Une histoire d’amour tourmentée mais impérissable entre la patrie des lumières et son petit frère plongé dans l’obscurité.