Le point de vue de...

Le bastion de la Culture

Bien sûr L’Orient et son cadet puis jumeau Le Jour auront été pendant des décennies le reflet d’une culture libanaise, à consonance francophone, mais déjà soucieuse d’équilibre entre un horizon aux rives occidentales et un hinterland ouvert sur les espaces arabes.

Quand Georges Naccache et Edgard Khabbaz lancèrent sur quelques pages ce qui deviendra l’avant-poste le plus avancé et le plus durable de la francophonie en Orient, ils ne s’étaient pas encombrés de considérations politiques épisodiques. Le mandat et l’indépendance ne modifieront pas les assises ou la vocation du journal : la Culture.

Michel Chiha s’associera sur d’autres pages et dans ses ouvrages prémonitoires à cet effort de symbiose qui traversera d’année en année le centenaire du journal et le non moins tumultueux centenaire de la République libanaise.

Même les « deux négations ne font pas une nation » de Georges Naccache, qui reflétaient l’état des lieux dans les premières années de l’indépendance, ne pourront démentir les véritables fondements de la pérennité du Liban qui étaient, demeurent et resteront essentiellement culturelles.

Dans le creuset que constitue toujours L’Orient à peine grisonnant malgré ses cent ans, la dislocation du pays se serait faite sans garde-fous. La culture créée, exprimée, traduite et reflétée dans des pages des suppléments, des hebdomadaires, des mensuels, démontre un ciment essentiel qui comble les fissures, atténue les dissensions et apaise les ressentiments attisés par la religion, la politique, les polarisations idéologiques ou régionales. À tel point qu’aujourd’hui la résilience du pays ou ce qui en reste s’articule sur un héritage et une vocation doublement culturels. Certains attribuent ce phénomène à la nostalgie d’une certaine façon d’être ou de vivre.

J’y décèle personnellement des racines plus profondes qui plongent dans nos origines, notre histoire, nos mariages toujours plus solides que nos séparations qui ont résisté à toutes les expériences ou recettes de divorce.

Or voici, en ces moments de grande détresse institutionnelle que se pose au Liban un défi qui dépasse par ses aspects agressifs et pernicieux tout ce qui se rapporte à des atteintes à la souveraineté, désormais piétinée de notre pays, ou au déni total des lois et de l’éthique qui caractérisent un État.

Le ravalement du Liban se fait depuis trois décennies par la destruction du pacte culturel qui constituait la trame de sa société. Non point que le persan vienne s’ajouter à notre diversité linguistique  ; il y serait le bienvenu. Ni que des cursus étrangers aux vastes consensus publics / privés de notre éducation nationale s’introduisent dans des centaines d’écoles, au Sud, à l’Est, ou même à Beyrouth.

Le vrai danger s’installe dans les gènes d’une partie de la population sous la forme d’une culture où la théocratie intégriste remplace l’éducation religieuse et où l’embrigadement militaire supplante la discipline de classe, le civisme et les sports physiques.

À la culture de la Vie qui a toujours oxygéné le Liban, succède une culture de la Mort carrément nécrophile qui n’est pas sans évoquer Les Assassins de Bernard Lewis. Voilà pourquoi il faut lever des barricades culturelles où le littéraire et l’art, sous toutes leurs formes même numériques et jusqu’à l’artificiel, occuperont les postes les plus avancés et les missions les plus audacieuses.

Sinon l’alternative est simple : oublier les frontières de 1920, le Grand et même le Petit Liban, l’hymne national de Rachid Nakhlé, le drapeau cedré de l’Indépendance, la constitution de Michel Chiha, le pacte de 1943, les accords de Taëf et surtout la façon d’être et de vivre des Libanais, résidents ou émigrés.

Un néonazisme s’est ainsi installé chez nous à moindres frais. Face à la horde et ses armes, il nous reste la culture  ; ne la sacrifiez pas.

Ce bref essai sur l’importance du culturel dans la naissance, le développement, le succès de L’Orient, devenu par un PACS politico-culturel L’Orient-Le Jour, n’est pas un plaidoyer en faveur d’un supplément, d’un additif ou d’une juste proportionnalité dans la répartition des rubriques. Mais pour moi, ancien directeur de rédaction, éditorialiste et chef de la plupart des services, tout débouchait sur le culturel et ses vedettes. J’en témoigne ici, avec encore plus de conviction, pour n’avoir jamais été à la tête des départements spécifiquement affectés à la culture.

Sommes-nous pour autant nécessairement francophiles, obligatoirement occidentalisés parce que francophones ? Certainement pas, indépendantiste libanais, nationaliste arabe, internationaliste d’ouverture, j’apporte en quelques lignes une adhésion totale à cette expérience centenaire qui me représente et me ressemble, plus que tout autre organe de presse libanais ou arabe. Que j’y aie été associé pendant près de quinze ans m’a confirmé dans ce que je pressentais déjà à mes débuts.

Nous apportons dans ces pages un cadeau culturel quotidien ou périodique à ce Liban que nous aimons et que le monde aime et admire encore malgré ses terribles dérives qui finiront par être défaites. Oui, défaites par ces murailles culturelles que tant d’envahisseurs ont tenté d’enfoncer avant de se replier.

Au milieu de ces murailles, il y a un donjon. Je remercie Alexandre Najjar, Hind Darwish et toute leur équipe pour L’Orient Littéraire qu’ils nous apportent encore, malgré tous les aléas.

Mon hommage va aussi au groupe particulièrement distingué des actionnaires, de la direction et de mes confrères jeunes et anciens de L’Orient-Le Jour qui n’ont jamais failli, par leurs sacrifices, à leur héritage familial, culturel et humaniste.

Sur ces cent ans où l’histoire du Liban se confond avec celle de L’Orient, nous devons tant d’années et de réalisations aux hommes et femmes qui sont ou ne sont plus, mais qui ont créé et perpétué ce monument historique de la culture et de la politique au Liban.

Bien sûr L’Orient et son cadet puis jumeau Le Jour auront été pendant des décennies le reflet d’une culture libanaise, à consonance francophone, mais déjà soucieuse d’équilibre entre un horizon aux rives occidentales et un hinterland ouvert sur les espaces arabes.Quand Georges Naccache et Edgard Khabbaz lancèrent sur quelques pages ce qui deviendra l’avant-poste le plus...

commentaires (1)

En voilà un éloge digne de ce nom qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Chapeau bas Monsieur Hamadé. Vous êtes égal à vous même et à vos principes et vous ne nous avez jamais déçu dans vos prises de positions. Certains pseudos intellectuels se délectent de leur lâcheté sur les plateaux télé pour défendre une cause, sans 1 traître mot pour les souffrances que subissent leurs compatriotes, toujours soucieux de suivre le flot et de briller par leur hypocrisie. Mille mercis pour cet hommage digne de notre pays. Un hymne au patriotisme et à la culture libanaise qu’on essaie par tous les moyens d’enter

Sissi zayyat

12 h 49, le 17 mars 2024

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Commentaires (1)

  • En voilà un éloge digne de ce nom qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Chapeau bas Monsieur Hamadé. Vous êtes égal à vous même et à vos principes et vous ne nous avez jamais déçu dans vos prises de positions. Certains pseudos intellectuels se délectent de leur lâcheté sur les plateaux télé pour défendre une cause, sans 1 traître mot pour les souffrances que subissent leurs compatriotes, toujours soucieux de suivre le flot et de briller par leur hypocrisie. Mille mercis pour cet hommage digne de notre pays. Un hymne au patriotisme et à la culture libanaise qu’on essaie par tous les moyens d’enter

    Sissi zayyat

    12 h 49, le 17 mars 2024

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