Le point de vue de...

Hamas en action : résistance légitime ou terrorisme ?

Hamas en action : résistance légitime ou terrorisme ?

D.R.

Qui a dit que le mouvement dénommé Hamas était une organisation terroriste ?

Une trentaine de pays, dont les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, le Japon et bien sûr l’Union européenne et sa Cour de justice. Mais en somme, il ne s’agit là que des pays de « l’axe du bien », ceux qu’on dit fréquentables. En revanche, ni la Chine, ni l’Inde (rien qu’à eux, ces deux pays font déjà plus de la moitié de la population du globe), ni la Russie, ni le Brésil ou la Suisse, n’ont classé Hamas dans la catégorie des organisations terroristes. Pas plus d’ailleurs que les divers pays arabes ou ceux du Sud Global.

Or, il n’appartient pas aux nations de l’Atlantique Nord d’imposer à la planète les dénominations qui les arrangent. Néanmoins, Hamas a commis lors du raid du 7 octobre des crimes de guerre ou, par extension, des actes de terrorisme. Rappelons, comme n’a pas manqué de le faire Catherine Le Bris, qu’aux fins de qualification juridique, deux dates sont à retenir en l’espèce : celle de 1999, lorsque la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme a mentionné des « actes destinés à tuer ou blesser grièvement un civil pour intimider une population ou contraindre un gouvernement à accomplir un acte », et celle de 2006 quand l’Assemblée générale des Nations Unies a « associé le terrorisme à des actes criminels conçus et calculés pour terroriser l’ensemble d’une population, un groupe de population ou certaines personnes à des fins politiques » (1). Partant de là, peut-on encore disculper l’un ou l’autre des belligérants ? Peut-on encore dédouaner l’État hébreu et accabler l’organisation palestinienne ?

La perfidie

Les guérilleros du Hamas, qui font la une des journaux, sont bien sûr des combattants à ne pas confondre avec les civils. Et l’on ne répètera jamais assez cette lapalissade, car « pour renforcer la protection contre les effets des hostilités, les combattants sont tenus de se distinguer de la population civile lorsqu’ils prennent part à une attaque ou à une opération militaire préparatoire à une attaque » (2). Il est entendu que le droit international humanitaire a pour souci premier d’épargner les civils, ces victimes passives des conflits, en les distinguant des militaires. Toutefois, une autre raison, « l’interdiction de la perfidie », prévaut pour réaffirmer cette distinction. L’article 37 du Protocole I de 1977 l’affirme comme principe intangible dans les termes suivants : « Il est interdit de tuer, blesser ou capturer un adversaire », en ayant recours à des procédés déloyaux. Et feindre d’avoir le statut de civil ou de non-combattant pour y parvenir, constitue une perfidie.

Combattants du Hamas et faits de résistance

Cela dit, rappelons que les combattants palestiniens n’appartiennent pas à une force armée régulière. Alors, c’est à se demander si Israël va récuser leur statut de prisonnier de guerre, un statut plutôt souhaitable et protégé, pour le cas où ils tomberaient aux mains de ses troupes. Ce qui soulève une question plus générale, celle de la qualification de toute forme de résistance en « territoires occupés », même si l’État hébreu préfère, en l’espèce, l’appellation « territoires contestés » (disputed territories).

Or, le Protocole I de 1977 avait prévu cette situation, les faits de résistance légitime et honorable contre l’occupation nazie étant toujours à l’esprit de ses rédacteurs. D’où son texte qui prend en considération certaines situations de conflit armé où, en raison des hostilités, un « combattant armé ne peut se distinguer de la population civile », comme dans le cas précis des insurgés de Gaza qui se sont toujours fondus dans la foule de leurs compatriotes. Il n’empêche que le militant de l’armée de l’ombre va pouvoir conserver son statut de combattant, à la double condition de porter un signe distinctif, fixe et reconnaissable à distance (3), et de porter les armes ouvertement lors de tout engagement militaire ou déploiement qui précéderait une attaque (4).

Le raid du 7 octobre dont les images nous sont parvenues montre certes des assaillants portant leurs armes ouvertement, mais il est à vérifier s’ils portaient également des signes distinctifs reconnaissables par l’ennemi. Or, se saisissant de l’argument, Israël pourrait plaider la perfidie et refuser aux susmentionnés guérilleros tombés en ses mains le statut de prisonnier de guerre, comme il a été souligné plus haut.

Le combattant illégal

Cette crainte de les traiter en terroristes est d’autant plus fondée que les États-Unis ont créé depuis leur invasion de l’Afghanistan une nouvelle catégorie, celle du combattant illégal (unlawful legal combatant) (5). Dans sa guerre contre la terreur, George W. Bush s’est servi de cette dénomination pour désigner une variété particulière de personnes qui, aux yeux des décideurs américains, n’étant « ni combattants, ni civils », seraient susceptibles d’être prises pour cibles à tout moment, et détenues de manière indéfinie, sans procès équitable. Ce sont, dans le jargon juridico-militaire US, des belligérants dénués de tout privilège (unprivileged belligerents). Et comme de bien entendu, ils finissent à Guantanamo, zone de non-droit par excellence, à rebours « de la doctrine actuelle qui admet désormais que semer la terreur parmi la population est une technique de guerre interdite mais qu’elle ne vous enlève pas votre statut de combattant » (6). Dans l’intention de restreindre le domaine d’application du droit humanitaire, Israël qui a repris dans son droit interne l’expression de « combattant illégal », pourrait instrumentaliser à l’extrême la qualification de terroriste au mépris d’une saine application du droit international.

Morale de l’histoire : si Hamas a rappelé la question occultée de la Palestine au bon souvenir du monde, cette même organisation aura, au bout du compte, jeté dans les geôles israéliennes plus d’individus qu’elle n’a pu en libérer ! Et c’est sans parler de la déshumanisation de leur condition, s’ils basculent dans une troisième catégorie « dénuée de tout privilège ».

1. Catherine Le Bris, « Terroriste ou combattant : Qui décide ? Sur quel critère ? Et ça change quoi, concrètement ? », Philosophie magazine, 16 octobre 2023.

2. Article 44, paragraphe 3, Protocole I 1977 Additionnel aux Conventions de Genève de 1948.

3. Article 4, Convention de Genève III, 1949

4. Article 44, Protocole I 1977, op. cit.

5. Leila Nadya Sadat, « A Presumption of Guilt: The Unlawful Enemy Combatant and the US War on Terror », Denver Journal of International Law and Policy, vol. 37, nº4, Janvier 2009.

6. Catherine Le Bris, op. cit.

Qui a dit que le mouvement dénommé Hamas était une organisation terroriste ?Une trentaine de pays, dont les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, le Japon et bien sûr l’Union européenne et sa Cour de justice. Mais en somme, il ne s’agit là que des pays de « l’axe du bien », ceux qu’on dit fréquentables. En revanche, ni la Chine, ni l’Inde (rien qu’à eux, ces deux...

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