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Nos Lecteurs ont la Parole

« Le Bonheur pour devise » de Viviane Robert Ghanem : l’histoire vivante du Liban à retrouver

« Le Bonheur pour devise » de Viviane Robert Ghanem : l’histoire vivante du Liban à retrouver

Brigitte Bardot aux Caves du Roy dans les années 60. Photo archives L’OLJ

La biographie de Viviane Haddad Ghanem, parmi les récits de vie et Mémoires, est des plus belles et profondes qu’il m’est arrivé de lire. Il s’agit davantage de l’histoire du Liban et de la société libanaise, innovante, conviviale et créative, âme et identité qui nous redonnent confiance en l’avenir. Le titre de l’ouvrage est déjà une découverte, car le bonheur dont elle parle n’est pas conjoncturel, consumériste et exclusivement terrestre, mais plein d’âme (Le Bonheur pour devise, 2023, 240 p.).

Je découvre surtout une autre Viviane que celle que j’ai connue durant la période professionnelle exaltante et prometteuse de la relance du journal Le Jour, à partir des années 1965, la vraie, l’âme pétrie dans le Liban du patrimoine et du rayonnement culturel, et aussi politique au sens le plus noble d’autrefois.

Le titre n’est pas conventionnel. Viviane, devenue intime dans son ouvrage, s’empresse d’avertir : « Ce n’est pas une biographie traditionnelle. » Ricardo Karam écrit dans la préface : « Après sa lecture, vous vous direz : « C’était ça le Liban ». Moi, j’espère conjuguer cette phrase au présent » (p. 12). Il écrit aussi à propos de la journaliste qui a, entre autres activités novatrices, dirigé durant 16 ans la rubrique « Midi-Minuit » : « C’est un livre qui lui ressemble. La magie du livre réside dans la description des multiples facettes de la société libanaise où l’on croise des intellectuels, des artistes, des journalistes, des politiciens, des entrepreneurs, des bourgeois bohèmes avant l’heure et des poètes d’un genre inédit. Elle nous embarque dans un temps où l’on avait du temps » (p. 11).

La couverture du livre. Photo DR

Patrimoine et culture

L’auteure, animée par sa « passion de l’écriture » (p. 84), avait publié deux ouvrages en collaboration avec Asma Freiha sur le patrimoine libanais : Les Libanais et la vie au Liban, de l’indépendance à la guerre 1943-1975 (2 vol.) et Traces libanaises à travers le monde au XXe siècle.

Les lecteurs, même ceux qui la connaissent, y découvrent une personnalité « sage et rebelle », forgée par la pensée, l’expérience et les épreuves. La rubrique quotidienne « Midi-

Minuit », qu’on pouvait considérer comme une rubrique simple et plutôt mondaine, constitue un matériel documentaire pour l’analyse sociologique dans le temps long des mœurs de notre société. Preuve en est que la journaliste est sollicitée par Paris Match pour la rubrique, « Les Gens ». Oui, les gens, la vie, la société. L’expérience exaltante débute au journal Le Jour puis L’Orient-Le Jour avec « une équipe totalement fusionnelle » (p. 85).

L’auteure, qui relate « l’histoire et la petite histoire du Liban » (p. 212), « film en couleur et rêve loin de nous », (p. 9), entraîne dans un long périple à Bab Edriss, « nos Champs-Élysées de l’époque » (p. 15), les films au Gaumont Palace « interdits aux moins de 16 ans » (p. 56), la convivialité libanaise avec Brahim « qui faisait suivre avec lui le jeûne du ramadan et nous le rendait avec le carême pascal » (p. 183), « les prières du muezzin de la mosquée attenante, les cloches des églises avoisinantes » et les propos du père : « C’est ça le Liban » (p. 18).

Il y a donc dans l’ouvrage des récits, avec de belles illustrations d’époque et inédites, sur la famille, l’éducation, les voyages, le théâtre de Dix heures « qui ferma ses portes le 13 avril 1975 » (p. 124), le Cénacle libanais, le patrimoine culinaire (p. 138), les folles nuits de Beyrouth (p. 142), avec des observations profondes : « Le général Chéhab, un des meilleurs chefs d’État que le Liban aura connu » (p. 62). Elle écrit : « Tout semblait sourire dans ce Liban qui vivait la fête » (p. 129). Mais par contre : « Le visage du Liban change » (p. 142).

Vue de la plage Saint-Simon. Photo archives L’OLJ

Surmonter les épreuves

Les épreuves forgent la personnalité : « Nous avions été élevés, dit-elle, dans l’idée que la vie nous allait être un long fleuve tranquille. Il était trop tôt pour savoir que nos existences seraient chaque quelques années bouleversées par les événements qu’allait traverser le pays » (p. 56). Jours de bonheur et aussi temps des épreuves que Viviane résume par ces mots : « Années lumières », « Le Liban qui s’effondre » (p. 8), « Une valise et mes larmes » (p. 65), « La vie au Liban avait totalement changé de visage » (p. 158) et la citation de Prévert : « J’ai rencontré le bonheur au bruit qu’il faisait en partant. »

Le récit se termine, et ne se termine pas, par un hymne à l’amour pérenne lors des épreuves et aussi des moments de bonheur. « Rien n’est aussi beau, écrit-elle, ni touchant que la naissance d’un enfant, surtout quand le pays est en proie à une vraie révolution » (p. 156). Délibérément, Viviane « n’est pas guérie de son enfance ». Elle est pleinement persuadée avec la création de l’Association pour le développement de l’éducation dans la Békaa, fondée en 1994, que « l’éducation est l’instrument le plus précieux et le plus essentiel pour susciter l’action et l’espoir ». Le récit ne se termine pas grâce à sa profession de foi : « Il est difficile pour moi de quitter mon pays » (p. 104).

Le Bonheur pour devise, ce ne sont pas des Mémoires habituels pour parler de soi, ni surtout pour une renommée, mais une belle œuvre, un témoignage à transmettre et qui confirme le titre de l’ouvrage et aussi la spiritualité de saint Augustin : « Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce qu’on possède. »

Antoine MESSARRA

Chaire Unesco – USJ

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

La biographie de Viviane Haddad Ghanem, parmi les récits de vie et Mémoires, est des plus belles et profondes qu’il m’est arrivé de lire. Il s’agit davantage de l’histoire du Liban et de la société libanaise, innovante, conviviale et créative, âme et identité qui nous redonnent confiance en l’avenir. Le titre de l’ouvrage est déjà une découverte, car le bonheur...

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