Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

La céramique libanaise à la prestigieuse foire de design et d’artisanat de Londres

La galerie Pick’d a emmené des céramistes libanaises à Collect, qui s’est tenue dans le célèbre Somerset House au cœur la capitale britannique.

La céramique libanaise à la prestigieuse foire de design et d’artisanat de Londres

Les visiteurs du Somerset House à Londres admirant les œuvres « made in Lebanon ». Photo Vanessa Dammous

La céramique est un art qui a ses adeptes depuis les temps anciens. Les arabes en furent de grands maîtres. Et si par le passé, les céramistes étaient des hommes, aujourd’hui ce sont les femmes qui réinvestissent de plus en plus ce champ. Randa Missir, qui a fondé la galerie Pick’d en 2021, a choisi de les promouvoir. Pick’d est née un an après l’explosion du 4 août 2020 qui a grièvement blessé à la main cette entrepreneure passionnée de céramique et d’arts de la table. C’est au fil de et pour son rétablissement, qu’elle décide de passer à la vitesse supérieure dans son travail et dans la mission qu’elle s’est donné, à savoir la promotion d’artistes et de designers spécialisés dans la céramique et le verre. Elle fonde une galerie à proprement parler.

Avant le drame du 4 août, elle représentait à titre personnel des artistes libanaises et étrangères bien établies dans des salons, des expositions, ou en les plaçant chez des particuliers, travaillant de concert avec son époux, le célèbre architecte d’intérieur Claude Missir. Depuis le lancement de Pick’d, il lui tient à cœur de soutenir plus particulièrement les artistes libanaises. Pour la troisième fois, du 29 février au 3 mars, Randa Missir a donc emmené une poignée d’artistes libanaises et deux Occidentales à la très prisée foire internationale de design et d’artisanat contemporain, Collect, organisée dans le prestigieux Somerset House à Londres. Cette foire présentée par le Craft Council britannique s’adresse à des collectionneurs et des institutions muséales. Des galeries spécialisées, des collectifs et des marchands d’art représentant 400 artistes y ont participé pour l’édition 2024. Pick’d y a présenté les artistes libanaises Karine Letayf, Alya Tannous, le tandem Rasha Nawam et Marylin Massoud ainsi que Vanessa Dammous, Toni Losey et Tessa Eastman.

La céramique s'approprie les formes du végétal. Photo Vanessa Dammous

Comme si un inconscient collectif circulait entre elles, toutes ces artistes proposent des œuvres en lien avec la nature, qu’elle soit végétale ou marine, comme une exploration de l’ordre du monde. S’en approcher en le représentant, en s’en inspirant plutôt que de vouloir le commander. Une thématique d’actualité dans un monde moderne technologique et frénétique qui dit vouloir par ailleurs préserver un environnement ébranlé par ses interventions. Hormis les sculptures, les arts de la table sont au centre du travail des céramistes, avec une place d’honneur aux bougeoirs, comme une célébration de la vie, de la simplicité et du partage en parallèle à ce retour à l’humus que représente le travail de la céramique et la thématique de la nature.

« Je crée ma propre forêt enchantée»

Tessa Eastman dit vouloir explorer le mouvement dans le monde naturel ; Toni Losey le rythme et l’organisation. Toutes deux ont un long parcours artistique et ont reçu de nombreuses distinctions. Karine Letayf elle, s’intéresse à l’univers végétal et sylvestre. « Je crée ma propre forêt enchantée», dit-elle. Son site web annonce la couleur dès la première page avec une citation d’Anna de Noailles : « Nature au cœur profond sur qui les cieux reposent, nul n’aura comme moi si chaudement aimé la lumière des jours et la douceur des choses, l’eau luisante et la terre où la vie a germé. » « J’ai besoin d’aller dans les forêts, de ramasser des feuilles, j’en fais mon inspiration », indique l’artiste. Celle dont le livre de chevet a longtemps été Les Nourritures terrestres d'André Gide se plonge désormais dans les livres de botanique, étudie les graines et leur évolution, les interactions des plantes entre elles et avec les insectes, les plantes rares, les différentes étapes de la vie d’une plante. « Les transformations ou les amputations que l’ont fait subir à l’essence des choses, comme avec la nature actuellement » l’interrogent particulièrement. Très sensible à la déforestation, Karine Letayf dit « creuser quelque chose d’hybride, recréer dans sa tête sa propre forêt intérieure ». Après les fruits et légumes par lesquels elle a commencé il y a vingt ans et qui l’ont fait connaître, elle s’engouffre dans la forêt et sa puissance de vie, et veut « donner aux gens des objets qui leur rappellent la nature ». Pour Collect, elle a produit une trentaine de bougeoirs, des pièces uniques, travaillées dans le menu détail des feuilles et des bourgeons. La céramiste n’en est pas à sa première exposition : elle a récemment participé à la Mena Art Fair en 2023 avec la galerie Jacques Oueiss, et à Révélations, au Grand Palais éphémère en 2022 toujours avec Pick’d, ainsi qu'à la très sélective vente aux enchères Creative Liaisons de LIFE, en 2023.

La collection « Brume marine » de Alya Tannous. Photo Vanessa Dammous

Alya Tannous se plonge quant à elle dans les fonds marins pour cette exposition. Dans sa collection, « Sea mist » (brume marine), les coraux y côtoient les oursins. Pour ce travail très sophistiqué qui requiert d’accompagner de près les souffleurs, elle travaille avec des fabricants en France, faisant une entorse à son habitude de collaborer avec des souffleurs en Égypte. Alya Tannous travaille le borosilicate, en duo avec sa mère, la décoratrice d’intérieur Lina Tannous. Trois mois durant, un jour sur deux, mère et fille se rendent chez les artisans, explorant « de nouvelles techniques qui leur permettent de trouver les bonnes textures visuelles et au toucher». C’est une première collaboration il y a dix ans avec Christofle pour qui la designer produit des verres à vin très appréciés qui « lui ouvre les portes de Paris » selon ses mots et qui porteront son travail dans le sélect restaurant parisien Lapérouse. Il y a huit mois, elle collabore de nouveau avec Christofle, avec un cahier des charges très pointu. À Collect, elle présente les bougeoirs, son best-seller. C’est ainsi qu’elle « assouvit son goût de la mise en scène par les arts de la table et des beaux objets». Elle vient de formations littéraire et théâtrale. Au-delà des collaborations spécifiques, ses créations sont exposées dans des boutiques à Paris comme Voyages et aux Puces à La table d’Eva.

Un retour artistique à la nature de Vanessa Dammous. Photo Vanessa Dammous

Les céramistes souhaitent donner à leur art une poésie et une légèreté que l’actualité leur refuse en ce moment. « Pour faire rêver», Vanessa Dammous travaille le relief et l’empreinte qu’elle vient mettre sur des vases en colombin, sur lesquels elle appose des feuilles de figue. C’est un figuier en face de son atelier qui l’a inspirée et qui l’a interrogée : « Comment faire parler la feuille de figue ? Ses détails, ses nervures m'ont permis d’essayer de nouvelles techniques pour plus de poésie » dit-elle. Architecte de formation et professeure d’architecture à la Lebanese American University (LAU), designer produit et scénographe, Vanessa Dammous vise « par la céramique, à l’inverse de l’architecture qui se concentre sur les lignes droites, à travailler des formes sensorielles plus naturelles » et travaille le hand building (modelage à la main). « Au contraire de l’architecture qui suppose un rythme lent, la céramique répond à mon envie de produits qui voient le jour plus vite», confie-t-elle.

Lire aussi

À Londres, les scènes du design et de l’art se mettent à l’heure libanaise

Rasha Nawam et Marylin Massoud, qui travaillent en duo depuis une vingtaine d’années et qui ne sont plus à présenter tant elles ont porté le nom de la céramique contemporaine libanaise dans les grandes foires et évènements dans le monde,  exposent à Collect des vases « printaniers » où elles travaillent les fleurs.

Fleurs, bourgeons, coraux, vases et bougeoirs, pastels et matières sablées, le retour à la nature et à l’intériorité, à la lueur et à la contenance, des céramistes libanaises apparaissent comme un antidote au fracas du quotidien libanais. Leur exploration et leur modernité poétique ainsi que celles de leurs consœurs européennes ont séduit à Londres où Alia Tannous a été primée par The World of Interiors Awards. 

La céramique est un art qui a ses adeptes depuis les temps anciens. Les arabes en furent de grands maîtres. Et si par le passé, les céramistes étaient des hommes, aujourd’hui ce sont les femmes qui réinvestissent de plus en plus ce champ. Randa Missir, qui a fondé la galerie Pick’d en 2021, a choisi de les promouvoir. Pick’d est née un an après l’explosion du 4 août 2020 qui a...

commentaires (2)

Ouf, une bouffée d'air fraiche sur un sujet vraiment Pur Sang Libanais!! Merci!

Wlek Sanferlou

14 h 09, le 06 mars 2024

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Ouf, une bouffée d'air fraiche sur un sujet vraiment Pur Sang Libanais!! Merci!

    Wlek Sanferlou

    14 h 09, le 06 mars 2024

  • Un grand merci pour cet article qui nous change de l'ordinaire nauséabond libanais.

    Moi

    10 h 41, le 06 mars 2024

Retour en haut