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Liban - Portrait

Jamal Hajjar, du cabinet dentaire à la tête du parquet

Des dossiers sensibles attendent le procureur général près la Cour de cassation par intérim, considéré comme un magistrat « compétent, honnête et bûcheur ».

Le nouveau chef du parquet, Jamal Hajjar. Photo DR

« Ce jeune homme est fait pour être juge », déclarait, en 1991, Moussa Kallas, un ancien président du tribunal de grande instance de Baabda, en parlant de celui qui, 33 ans plus tard, a été nommé mardi au poste de procureur général près la Cour de cassation par intérim, le plus puissant au sein de pouvoir judiciaire. Fraîchement émoulu de l’Institut d’études judiciaires (IEJ), Jamal Hajjar venait d’entamer son stage auprès du juge Kallas. La constatation de ce dernier « faisait référence à un esprit d’indépendance, d’impartialité et d’intégrité qui a toujours caractérisé Jamal Hajjar », note un proche du nouveau chef du parquet.

Ce n’est pourtant que dans ce qu’il se plaît à appeler « sa seconde vie » que Jamal Hajjar est entré dans la magistrature. Il était… chirurgien-dentiste durant « son ancienne vie ». Né en 1958, au sein d’une grande famille sunnite de Chehim (Iqlim el-Kharroub), dans laquelle les métiers scientifiques sont appréciés (sa fratrie compte un gynécologue-obstétricien et des ingénieurs), il avait été admis en 1977 au concours d’entrée de la faculté de médecine dentaire de l’Université Saint-Joseph (USJ). Durant neuf ans (1982-1991), il exercera son métier dans ses deux cliniques, situées l’une à Beyrouth et l’autre dans son village d’origine.

Jamais l’idée de devenir magistrat ne le quittait cependant. Tout en continuant à soigner ses patients, il s’inscrit à l’Université libanaise (UL) et obtient en 1987 une maîtrise en droit. Dans la période de guerre civile qui perdure, le dentiste attend impatiemment l’organisation d’un concours d’entrée à l’IEJ. En 1991, c’est chose faite : il devient enfin magistrat et rend sa blouse blanche.

Grâce à « son travail sérieux et assidu », il gravit rapidement les échelons, affirme-t-on au Palais de justice. « Non marié et n’ayant pas de responsabilités familiales, il se consacre d’autant plus à son travail. C’est un grand bûcheur », insiste un magistrat sous couvert d’anonymat.

De juge unique, Jamal Hajjar devient membre de la cour d’appel du Mont-Liban, puis président du tribunal de grande instance de Beyrouth (affaires foncières et financières). « Il a contrarié un confrère et ami en rejetant son intervention en faveur d’une partie déterminée lors d’un procès », témoigne un magistrat, affirmant qu’« il juge sur la seule base des dispositions de la loi ».

Du courage pour résister ?

Dès 2010, le futur procureur général se consacre au pénal. À la tête de la chambre pénale de la cour d’appel du Liban-Nord pendant sept ans, il préside à partir de 2017 la chambre criminelle de la Cour de cassation, jusqu’à sa prise en charge du parquet. « Sa fonction de juge pénaliste lui a fait gagner une expérience suffisante pour prétendre au poste de procureur », estime un autre magistrat interrogé. « Mais quoique ses compétences soient indéniables, je me demande s’il aura assez de courage pour résister aux pressions qu’exercent généralement  les responsables politiques sur un procureur », nuance-t-il. « Dans le contexte politico-judiciaire actuel, un juge qui accepte un tel poste sait vraisemblablement qu’il ne pourra pas dire “non” aux personnes influentes », explique un avocat, estimant, sans illusions, que « le président du Conseil supérieur de la magistrature, Souheil Abboud, n’aurait jamais pu le nommer sans l’approbation de la classe dirigeante ». « Parmi tous les responsables, le chef du parquet fait partie de ceux qui sont le plus exposés aux réclamations du pouvoir politique », indique-t-il, préconisant que « celui qui accède à un tel poste jouisse d’une immunité attachée à sa personne ».

Courageux ou inique ?

L’ancien ministre de la Justice Salim Jreissati estime, pour sa part, que Jamal Hajjar remplit « pleinement » le critère demandé. « Il a toujours opposé une fin de non-recevoir à toute réclamation », assure-t-il, le décrivant comme « un ascète de la justice ». « En 2018, après que je l’ai choisi pour présider la commission du concours du notariat, il a rejeté durant sa mission toute ingérence, qu’elle soit d’ordre politique, confessionnel ou régionaliste », ajoute M. Jreissati. « Les 56 lauréats ont été sélectionnés selon les seuls critères académiques et d’aptitude », insiste-t-il. On sait que parmi ces lauréats, 30 étaient chrétiens et 26 musulmans.

En mai 2023, le Conseil de discipline des magistrats présidé par Jamal Hajjar avait décidé d’exclure du corps de la magistrature la procureure près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, suite à plusieurs plaintes portées contre elle. Qualifiée de « courageuse » dans certains milieux judiciaires, la décision a été décrite par d’autres comme « inique ». « Plutôt que de poursuivre une magistrate qui se penche consciencieusement sur des dossiers d’intérêt général (fioul frelaté, vol des fonds des déposants…), Jamal Hajjar ferait mieux de poursuivre les juges qui encaissent des pots-de-vin ou manquent à leurs obligations professionnelles », clame-t-on dans ces milieux. L’appel porté par Ghada Aoun devant le Haut Conseil de discipline n’a toujours pas été tranché.

Un autre dossier pour lequel Jamal Hajjar suscite la polémique est le dessaisissement de Fadi Sawan, prédécesseur du juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, dans l’affaire de la double explosion au port de Beyrouth (4 août 2020).  En février 2021, M. Hajjar présidait en effet la chambre pénale de la Cour de cassation pénale qui avait accepté le recours pour suspicion légitime présenté contre le juge Sawan par deux députés et ex-ministres mis en cause, Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil. L’instance avait alors considéré que l’ancien juge d’instruction près la Cour de justice avait enfreint la Constitution pour avoir affirmé qu’« il ne s’arrêterait devant aucune immunité ». L’article 40 accorde en effet une immunité aux députés lors des sessions parlementaires ordinaires. D’aucuns considèrent que l’arrêt de cassation s’est ainsi fondé sur des motifs légaux, tandis que d’autres pensent que le verdict est « politique ».

Dans son même arrêt, la haute juridiction avait également décrété que le juge Sawan n’était pas en mesure de prendre des décisions objectives, du fait que son propre domicile avait été endommagé par la double explosion.

En tout état de cause, même si certains sont suspicieux, d’aucuns estiment que l’enquête du port a des chances d’être réactivée par le successeur du chef sortant du parquet, Ghassan Oueidate, lequel avait contribué à sa suspension. Il avait en effet engagé des poursuites contre le juge Bitar et interdit aux services sécuritaires d’exécuter ses mandats d’arrêt. « Contrairement au juge Oueidate qui a un lien de parenté avec Ghazi Zeaïter, le juge Hajjar n’a pas d’intérêt personnel dans le dossier », observe un juge. « Premier signe que ce dernier a le sens de la justice : après une absence de plus d’un an, Tarek Bitar a réintégré jeudi son bureau au palais », révèle un de ses confrères.

« Ce jeune homme est fait pour être juge », déclarait, en 1991, Moussa Kallas, un ancien président du tribunal de grande instance de Baabda, en parlant de celui qui, 33 ans plus tard, a été nommé mardi au poste de procureur général près la Cour de cassation par intérim, le plus puissant au sein de pouvoir judiciaire. Fraîchement émoulu de l’Institut d’études judiciaires (IEJ),...

commentaires (3)

Parcours digne d’une personnalité juste et intègre Le processus de sa nomination demeure floue toutefois son nom a été proposé par une personne aussi honnête et intègre Probablement les Parties irresponsables au pouvoir n’avaient pas bcp des Choix Personnellemt, je crois bcp que de mettre une bonne personne à la bonne place principalement un poste bien névralgique pourrait faire la différence Félicitations monsieur le juge et nous attendrions des actions justes impartiaux et non politisés

william semaan

00 h 30, le 25 février 2024

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Commentaires (3)

  • Parcours digne d’une personnalité juste et intègre Le processus de sa nomination demeure floue toutefois son nom a été proposé par une personne aussi honnête et intègre Probablement les Parties irresponsables au pouvoir n’avaient pas bcp des Choix Personnellemt, je crois bcp que de mettre une bonne personne à la bonne place principalement un poste bien névralgique pourrait faire la différence Félicitations monsieur le juge et nous attendrions des actions justes impartiaux et non politisés

    william semaan

    00 h 30, le 25 février 2024

  • Allons allons, pensez-vous vraiment que quiconque puisse arriver à ce poste sans avpir été adoubé par les forces de l'ombre qui gouvernent ce pays. Malgré sons parcours, l'historique de Monsieur Hajjar montre certaines décisions qui posent question tout de même.Il n'y a pas grand chose à attendre malheureusement.

    K1000

    23 h 58, le 24 février 2024

  • Très bonne idée ce papier. M. Hajjar occupe désormais un poste crucial pour le sort de plusieurs affaires judiciaires de grande importance pour le pays et il nous fallait en savoir plus sur lui. Son parcours perso est original et démontre un sens certain de la justice. Il lui a fallu s’accrocher pour en arriver là et c’est méritant. Mais sa « jurisprudence » est peu convaincante, pour ne pas dire biaisée. Wait an see.

    Marionet

    10 h 14, le 24 février 2024

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