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Culture - Disparition

Antoine Moultaka, un géant du théâtre libanais s’est éteint

À 90 ans, vaincu par l’âge, le remarquable acteur et metteur en scène s’en est allé rejoindre tous ces auteurs dont il adorait le verbe et l’écriture…

Antoine Moultaka, un géant du théâtre libanais s’est éteint

Antoine Moultaka dans la série télévisée « Achra abid zghar » (« Dix petits nègres ») en 1974. Photo DR

On se souviendra toujours de lui en Oreste, Caligula ou Macbeth. Il avait la carrure et la voix pour ces personnages mythiques. Avant d’avoir la barbe et les cheveux blancs et le dos voûté, dans les années 1960, Antoine Moultaka, sous les spots ou en dehors, fut un ténébreux jeune premier. Et pas des moindres...

Depuis belle lurette, le couple Moultaka avait cessé toute mondanité. Latifé et Antoine Moultaka restaient dans leur appartement de Aïn el-Remmané, leur cigarette à la main, la télé toujours allumée. Lui ne lâchait jamais son grand verre d’arak d’un blanc laiteux, tout en tirant nerveusement sur les poils hirsutes de sa barbe. Sa répartie tonnante, jusqu’au bout, avait de la pertinence et du culot.

Fils de Wadi Chahrour, il avait d’abord opté pour des études en philosophie. Mais, très vite, il s’est rendu compte que c’était le théâtre qui l’intéressait vraiment. Antoine Moultaka annexe à son projet fondateur de la scène son épouse Latifé, qui se préparait pour une carrière d’avocate. Dans son tourbillon et sa fièvre de créer, pas d’argument qui tienne. 

Antoine Moultaka aura formé avec son épouse Latifé l’un des couples les plus célèbres du théâtre libanais. Photo d’archives L’OLJ

Flanqué d’un groupe d’amis cultivés, aussi mordus que lui de la flaque de lumière, il jette les prémices d’un cercle dramaturgique en 1960. Avec son épouse, ils construiront le fameux « Cercle du théâtre libanais », tables rondes d’intellectuels, amoureux de théâtre, ils iront à  Baalbeck et à Rachana, créeront le Théâtre d’Achrafieh, le Théâtre expérimental de Zokak el-Blatt et enfin celui de Maroun Naccache.

Avec ce dernier, salle fruste et sans confort basique, l’audience s’élargit malgré les tristes années de guerre. Entre-temps, l’acteur et metteur en scène, épaulé par Latifé, a fait un grand tour d’horizon dramaturgique où, par-delà ses concepts à la Constantin Stanislavski, il explore et bataille pour un langage théâtral libanais, encore inexistant, pour ne pas dire balbutiant.

Et il a travaillé dur sur la formation des acteurs (plusieurs comédiens actuels lui doivent leur carrière et leurs prouesses sous les projecteurs) ainsi que le choix du lieu scénique pour une audience qui s’assoit tantôt autour des acteurs, tantôt bilatéralement ou d’une manière panoramique. Théâtre à l’italienne ou élisabéthain, le verbe avait besoin d’être forgé : traduction, remise à jour et rabotage des textes, tout pour faire passer la rampe aux vocables, en arabe courant ou classique.

Et se sont succédé Sophocle, Shakespeare, Sartre, Dostoïevski, Lorca, Dürrenmatt, Tchekhov, Albee, Pirandello, Camus, qui ont fait les délices des spectateurs d’alors.

Sa vie de couple aura duré plus d’un demi-siècle, dédiée non seulement à l’aventure du théâtre, qui se tait un peu sous l’effet des bombes et des armes, mais surtout le tracé d’une conjugalité ponctuée d’un dialogue toujours vif mais constructeur, avec trois enfants, dont Zad l’artiste multidisciplinaire, ambassadeur de l’art aussi bien à l’étranger qu’au pays du Cèdre. Mais il faut nommer aussi Gilbert le physicien et Jihane l’astrophysicienne.

Antoine Moultaka ne s’est pas converti au monde numérique – il préférait déléguer tout cela à sa moitié qui se tire parfaitement d’affaire. Lui qui haïssait le mélodrame et la vulgarité a toujours cru que le vrai pilier du théâtre, c’est surtout l’acteur. Et de se souvenir, dans notre dernière rencontre, que Georges Schéhadé lui aurait dit, après avoir applaudi Caligula : « Vous m’avez rappelé les meilleurs moments de Gérard Philippe. »

Dans nos archives

Antoine et Latifé Moultaka : le théâtre, c'est une vie(photo)

Ce géant des planches libanaises aura passé plus de trente ans au service des jeunes en enseignant à l’Université libanaise. Ses élèves se rappellent fort bien sa voix de baryton qui ponctuait les gestes et paroles des apprentis pour fignoler un personnage. Fasciné par Orson Wells et Laurence Olivier, amoureux de la musique de Beethoven, se riant en toute franchise et sincérité des hommes politiques, cet homme qui n’ignorait pas qu’il était d’une grande nervosité n’en était pas moins un doux quand il déclarait aimer faire la cuisine mais préférait celle que sa femme confectionne !

Le théâtre fut son tremplin de prédilection pour s’exprimer, mais Antoine Moultaka a touché à la télévision, à travers son rôle mythique dans Achra abid zghar (mise en scène de Jean Fayad et adaptation par Latifé Moultaka, en 1974, des Dix petits nègres d’Agatha Christie). Il a également marqué les esprits ces dernières années, avec succès, au cinéma. Il savait capter la lumière de l’œil de la caméra, comme lors de son apparition dans le film Ghadi d’Amin Dora.

Mais sa plus belle récente prestation est sans doute celle où, sous la férule de son fils Zad Moultaka, il prête l’amplitude de sa voix au Prophète de Gebran. Un récitant dont on n’entendra plus la voix. Une voix qui aura marqué de sa gravité, de sa puissance et de ses inflexions caverneuses l’âge d’or du théâtre libanais.

On se souviendra toujours de lui en Oreste, Caligula ou Macbeth. Il avait la carrure et la voix pour ces personnages mythiques. Avant d’avoir la barbe et les cheveux blancs et le dos voûté, dans les années 1960, Antoine Moultaka, sous les spots ou en dehors, fut un ténébreux jeune premier. Et pas des moindres...Depuis belle lurette, le couple Moultaka avait cessé toute mondanité....

commentaires (1)

ouf....

Marie Claude

07 h 41, le 23 février 2024

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Commentaires (1)

  • ouf....

    Marie Claude

    07 h 41, le 23 février 2024

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