Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

L’incroyable épopée des Arméniens libanais

La présence des arméniens au Liban remonte à une période ancienne, spécifiquement aux alentours de 1715, lorsque des moines arméniens s’établissent à Ghazir, dans la région de Jounieh. Au fil du temps, d’autres communautés religieuses arméniennes choisissent le Liban comme lieu de refuge en raison de son emplacement à proximité de Jérusalem et sa réputation en tant qu’endroit refuge. Au début du XXe siècle, la population arménienne au Liban est relativement modeste, estimée entre 1 200 et 1 300 personnes résidant principalement à Beyrouth. Cette communauté prospère et bien éduquée inclut des familles notables telles que les photographes Sarafian.

Cependant, dans d’autres régions de l’Empire ottoman, la situation des arméniens est loin d’être stable. En 1915, le gouvernement des Jeunes-Turcs, dirigé par le Comité Union et Progrès, persécute de façon inhumaine la population arménienne de l’empire sous le prétexte fallacieux de connivence avec la Russie. De nombreux arméniens sont contraints de prendre le chemin de l’exil, parcourant de longues distances, souvent à pied, et affrontant le désert, la faim, la soif, la maladie, ainsi que diverses agressions. De surcroît, les autorités ottomanes exigent régulièrement des rançons aux arméniens durant leur périple en échange de leur vie, aggravant ainsi leur affliction et leur désolation. Plus d’un million d’arméniens périssent horriblement et cruellement au cours des déportations en masse, justifiant en partie la reconnaissance du génocide arménien par plus de 30 pays dans le monde, dont le Liban.

La première vague de réfugiés arméniens débarquant au Liban provient de la Cilicie, une région située dans l’actuelle Turquie. Leur évacuation est organisée par voie maritime par le haut-

commissariat français basé à Beyrouth. Initialement, les réfugiés pensent que leur séjour au Liban est temporaire. Toutefois, les Français rétrocèdent la Cilicie aux Turcs en 1923, anéantissant ainsi tout espoir de retour. En vertu de l’article 30 du traité de Lausanne, mettant fin au conflit entre l’Empire ottoman et les puissances alliées, les Arméniens en Syrie et au Liban acquièrent la nationalité des pays sous mandat français. La majorité des réfugiés arméniens au Liban choisissent de s’établir à Beyrouth, se regroupant selon leurs origines géographiques et leurs liens familiaux. Cependant, la migration vers Beyrouth s’annonce difficile. Les nombreux réfugiés sont miséreux, tandis que les rares logements sont onéreux. Ainsi, il est décidé d’héberger les réfugiés dans des camps de fortune à Beyrouth, principalement dans la région de la Quarantaine, ainsi que dans certaines collines d’Achrafieh.

En juillet 1922, on dénombre approximativement 8 000 réfugiés arméniens à Beyrouth, tandis que quelques milliers d’autres sont dispersés dans les autres villes libanaises comme Tripoli, Saïda et Tyr. À la fin de 1922, le nombre de réfugiés à Beyrouth est d’environ 12 000 personnes, augmentant rapidement de jour en jour. En 1925, après avoir visité le camp de réfugiés arméniens de Beyrouth, le Français G. Carle, délégué du Bureau international du travail, adresse le rapport suivant à la Société des nations (prédécesseur des Nations unies) : « Les arméniens, tant qu’ils ne sont pas arrivés à un certain degré de richesse, veulent être groupés entre gens de même race ; ils trouvent dans ces groupements une certaine sécurité : ce sentiment s’explique de la part de populations qui ont toujours vécu dans des milieux qui leur étaient hostiles. »

La vie des réfugiés arméniens dans les camps est excessivement difficile. Leurs logements en torchis ou en tôle ne résistent pas aux caprices de la nature. En hiver, les terrains sont boueux et apparemment jonchés de détritus, émettant des odeurs nauséabondes. En été, la chaleur est étouffante et l’humidité accablante, sans compter les moustiques qui pullulent. Au vu de cette situation misérable et déplorable, le haut-commissariat français accorde la priorité à l’amélioration des conditions de vie des réfugiés. Au-delà de l’aspect humanitaire, cette décision est également motivée par des considérations politiques. La lettre de Reffye, le haut-commissaire par intérim, datée du 12 octobre 1926, énonce ce qui suit : « L’abandon de la Cilicie, à la fin de 1921, a été la principale cause de leur émigration en territoire syrien. Depuis cette date, l’aide la plus active leur a été apportée, mais elle n’a pas été suffisante (…). En dehors de ces raisons d’ordre moral, nous avons le plus grand intérêt, du point de vue politique, comme du point de vue militaire (…), à essayer de maintenir au Liban les arméniens qui s’y sont réfugiés et qui renforceront utilement l’élément chrétien. »

En 1926, un « Comité central de secours » est créé avec pour mission d’améliorer l’existence des arméniens vivant dans des camps. Les financements proviennent de diverses sources telles que le gouvernement libanais, la Société des nations, ainsi que de la composante aisée de la communauté arménienne dans le monde. Les réfugiés démontrent eux-mêmes un esprit remarquable de fraternité et de solidarité en collectant des fonds pour contribuer, dans la mesure du possible, au financement de l’entreprise.

Vers la fin de 1929, environ quarante mille arméniens sont établis au Liban, avec environ trente mille résidant à Beyrouth, dont la moitié vit encore dans des camps. En 1930, le haut-commissariat français, en collaboration avec la Société des nations, envisage la construction d’un quartier arménien autonome, doté de sa propre municipalité, capable d’accueillir entre dix-huit et vingt mille habitants. C’est ainsi que le projet de Bourj Hammoud – situé à l’est du fleuve de Beyrouth – voit le jour. À cette époque, c’était un terrain vierge, recouvert d’arbres fruitiers, de buissons et de marécages. Le projet d’un quartier arménien présente un double avantage pour le haut-

commissariat français : il permet de désengorger les camps tout en établissant dans la capitale libanaise une nouvelle circonscription électorale favorable à la France.

Les résultats du projet de Bourj Hammoud dépassent toutes les attentes. En février 1935, seulement mille familles de réfugiés résident encore dans des baraques à Beyrouth, le reste ayant déménagé dans les nouveaux quartiers. La construction de zones urbaines dédiées à la communauté arménienne met ainsi un terme définitif à l’épopée des camps de fortune pour les arméniens de Beyrouth. Le remarquable succès de l’intégration arménienne dans la mosaïque libanaise est un fait rare, non observé chez les autres réfugiés au Liban.

En 1939, une nouvelle et dernière vague de réfugiés arméniens arrive au Liban en provenance de six villages des montagnes de Musa Dagh, dans la province de Hatay en Turquie. Une petite minorité décide de s’établir à Beyrouth, tandis que la grande majorité préfère Anjar, dans la plaine de la Békaa, pour se consacrer à l’agriculture. À cette époque, Anjar est un marécage recouvert de ronces. Initialement, les réfugiés logent dans des tentes de fortune, des églises ou des écoles. Cependant, grâce au soutien du gouvernement français et de quelques Arméniens fortunés, des terrains sont rapidement acquis, et un ensemble homogène de cabanes en béton est rapidement érigé pour former une agglomération rectangulaire viable pour l’habitation. L’urgence est telle que les constructions se poursuivent même au cœur de l’hiver, malgré le froid et la neige. Spécifiquement, chaque famille s’installe dans une pièce de 16 mètres carrés (4 mètres par 4 mètres), utilisée à la fois comme chambre à coucher, salle de séjour et cuisine. Au centre du village, une imposante église est érigée, arborant fièrement et ostensiblement une architecture typiquement arménienne. Les autorités françaises attribuent également aux réfugiés des droits sur des terres agricoles, dont certaines sont irriguées.

À l’été 1946, dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, Staline propose aux arméniens de rapatrier la diaspora en Arménie soviétique, la plus petite République de l’URSS. Cette proposition séduit la communauté et l’Église arméniennes car elle contribue à la création d’une patrie pour la confrérie, un objectif longtemps convoité. Pour les arméniens du Liban, encore plongés dans la misère, c’est une opportunité inespérée. De nombreuses personnes vendent rapidement leurs maigres possessions et décident de rejoindre ce nouveau pays d’accueil qu’elles considèrent prématurément comme un eldorado. D’autres individus désirant aussi quitter le Liban ne pourront pas entreprendre le voyage faute de place. Au moment du départ, sur les quais étroits du port, une foule se presse et s’agite comme une marée noire pour dire un dernier adieu à leurs proches embarquant dans le paquebot de l’exil. Une fois arrivés à destination, les émigrés doivent s’adapter à une situation inédite, notamment en raison des différences culturelles et linguistiques. Plus pertinemment, les émigrés doivent faire face à un mode de vie totalement différent de celui qu’ils ont connu dans un Liban profondément libéral. Ils sont désormais sous l’emprise d’un régime totalitaire.

Contrairement à leurs concitoyens soviétiques, les arméniens libanais ont connu un destin fantastique dans un pays du Cèdre euphorique. Nombre d’entre eux ont d’abord exercé des métiers artisanaux tels que cordonniers, ferronniers, voire cireurs de souliers. Grâce à leur exceptionnelles capacités et assiduité, ils sont parvenus à rapidement transcender leur pauvreté en s’orientant inexorablement vers des activités professionnelles plus sophistiquées et mieux rémunérées. Il suffit d’observer le quartier de Bourj Hammoud pour saisir l’étendue de l’entrepreneuriat arménien, que ce soit à travers les ateliers de photographie et d’horlogerie, les étalages de joaillerie et d’argenterie, les magasins de parures et de chaussures, ainsi que la production de nombreux produits locaux de bonne qualité vendus à des prix compétitifs.

Durant la guerre civile au Liban de 1976 à 1990, la population arménienne a considérablement diminué. De nombreux arméniens libanais ont décidé d’émigrer principalement aux États-Unis pour exporter leurs compétences et réaliser le rêve américain. Malheureusement, bon nombre d’entre eux ne reviendront jamais au pays. Aujourd’hui, le Liban compte environ 150 000 personnes d’origine arménienne, pleinement intégrées dans la société libanaise, avec une présence significative au sein du gouvernement et du Parlement. Tous se considèrent naturellement comme des citoyens libanais à part entière, tout en étant profondément fiers de leurs racines arméniennes.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

La présence des arméniens au Liban remonte à une période ancienne, spécifiquement aux alentours de 1715, lorsque des moines arméniens s’établissent à Ghazir, dans la région de Jounieh. Au fil du temps, d’autres communautés religieuses arméniennes choisissent le Liban comme lieu de refuge en raison de son emplacement à proximité de Jérusalem et sa réputation en tant...

commentaires (1)

Très beaux texte , j’ai grandi avec les arméniens à Achrafie près de l’hôpital st. Georges

Eleni Caridopoulou

05 h 28, le 21 février 2024

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Très beaux texte , j’ai grandi avec les arméniens à Achrafie près de l’hôpital st. Georges

    Eleni Caridopoulou

    05 h 28, le 21 février 2024

Retour en haut