C’est dans une atmosphère hautement solennelle et sous très haute surveillance que s’est tenu cet après-midi la troisième commémoration de l’assassinat de Lokman Slim, retrouvé mort le 4 février 2021. Au cours de l’événement organisé par la Fondation éponyme UMAM Documentation & Research et la maison d’édition Dar al-Jadeed, qui s’est déroulé dans une salle pleine à craquer, la famille du chercheur et activiste politique, farouche opposant au Hezbollah, a réclamé samedi que lumière soit faite afin que ses assassins, tous comme ceux d’Elias Hasrouny, tué à Aïn Ebel (Sud) le 8 août dernier, soient jugés.
Monika Borgmann, son épouse, ainsi que sa sœur Rasha al-Ameer ont rappelé l’arrêt « inadmissible » de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020. Elle a notamment réclamé que l’enquête se penche sur les assassinats de l'ancien colonel des douanes à la retraite, Mounir Abou Rjeili, tué à Kartaba, et du photographe Joe Bejjani, assassiné à Kahalé en 2020, dont l’épouse est intervenue en vidéoconférence en dénonçant le fait que la justice ne peut ignorer l'identité des auteurs du meurtre de son mari.
L'événement, baptisé « Justice pour le Liban, Justice pour Lokman », visait à attirer l’attention sur les assassinats politiques et à souligner l’impunité qui entoure ces crimes dans le contexte plus large de la faiblesse du système judiciaire libanais et de l’absence de responsabilité.
Les deux commémorations précédentes avaient eu lieu dans le jardin de la résidence familiale à Haret Hreik, que Lokman Slim avait refusé de quitter malgré les menaces sérieuses et continues à son encontre, et où il a été enterré. Cette année, la Fondation s’est associée au Centre d'image MINA dont les locaux se trouvent à proximité du port détruit. Comme une piqûre de rappel de l’urgence d’une justice pour Lokman Slim et pour toutes les victimes du 4 août 2020, dans un contexte d’impunité et de violence au Liban, mais aussi dans la région.
« Nous ne nous tairons pas »
Plusieurs personnalités issues des mondes des médias et politique ont notamment pointé directement du doigt le Hezbollah dans le meurtre de Slim, comme l’activiste politique, journaliste et professeur à l’AUB Makram Rabah, suivi par de vifs applaudissements. L’ancien ministre Marwan Hamadé a rappelé le refus de vivre sous la pression de l’ennemi sioniste tout comme sous hégémonie iranienne. « Nous ne nous tairons pas, nous n’aurons pas peur, nous ne reculerons devant rien », a déclaré pour sa part la journaliste May Chidiac, victime d’une tentative d’assassinat en septembre 2005.
Certains intervenants, comme le secrétaire général du Bloc national (et ancien directeur de L’Orient-Le Jour), Michel Hélou, ont également rappelé l’importance de la cause palestinienne si chère à Lokman Slim, alors que Gaza se trouve depuis près de quatre mois sous un déluge de feu israélien.
Rasha al-Ameer a ensuite honoré quatre personnalités du Prix Lokman Slim, qu’elle décrit comme le « prix du courage ». En premier, la journaliste Ghinwa Yatim, correspondante des chaînes saoudiennes al-Arabiya et al-Hadath, a été récompensée pour avoir suivi le combat de l’activiste - dont elle était proche - depuis les menaces qu’il recevait jusqu’à son assassinat et la poursuite de l’enquête. « Ceux qui usent de la parole comme d'une arme savent le risque qu’ils prennent. Parmi nous se trouvent des exemples vivants comme May Chidiac et Marwan Hamadé (...) », a déclaré la lauréate.
Le second récipiendaire du Prix, Christophe Boltanski, journaliste et écrivain français, s’est distingué par la publication d’une enquête réalisée pour le magazine d'Amnesty International, « la Chronique », parue également dans nos colonnes en août 2023 et intitulée « À Beyrouth, les fantômes du hangar n°12 », dans laquelle il revient sur une série de décès suspects avant et après l’explosion au port. « Je suis extrêmement honoré et ému de recevoir ce prix, en mémoire d'un homme de courage, (…) notamment à cause de son travail mémoriel, long, difficile et douloureux », a déclaré Christophe Boltanski. « Lokman Slim a toujours choisi de privilégier le chagrin à l'oubli », a-t-il ajouté en référence à l'écrivain William Faulkner.
Christophe Reuter, le troisième lauréat, qui n’a pas pu faire le déplacement, est un journaliste allemand travaillant pour le quotidien Der Spiegel. Dans un récit intitulé « Un voyage vers la mort », paru le 28 janvier 2023, il retrace les circonstances de la mort de Lokman Slim deux ans plus tôt.
Enfin, l’écrivain franco-libanais Sabyl Ghoussoub, prix Goncourt des Lycéens 2022 pour Beyrouth-sur-Seine et collaborateur de L’Orient-Le Jour, s’est également vu décerner le prix pour « sa réflexion sur ce que c’est ‘être Libanais’ », confie Rasha al-Ameer. « Dès les premières phrases que j’avais écrites (CQFD pour ce dernier roman, publié en arabe par Dar al-Jadeed), je pensais à Lokman, à l’homme, à ses batailles, à ses mots », a commenté l’écrivain, dans un discours lu par Wafaa Céline Halawi, alors qu’il était retenu à Paris, où il réside.
Lokman Slim avait été enlevé en février 2021 en sortant du domicile de son ami l'écrivain Mohammad el-Amine à Niha (Liban-Sud). Il a été abattu de six balles une trentaine de kilomètres plus loin, à Addoussiyé (Zahrani, Liban-Sud), près de l’autoroute Saïda-Tyr. Son corps a été retrouvé le 4 février 2021. Quatorze mois avant son assassinat, ce fervent défenseur des droits de l’homme avait reçu des menaces de mort placardées à l’entrée de sa résidence, située à Haret Hreik, dans la banlieue sud de Beyrouth et avait appelé l’armée à le protéger contre tout mal qui lui arriverait, et dont il a imputé d’avance la responsabilité au secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, et au chef du mouvement Amal Nabih Berry.
commentaires (14)
HN continuera de jouer au caïd tant que le peuple libanais le laisserait faire. Il a déjà acquis les corrompus pourris qui représentent à présent les responsables politiques et de justice de notre pays et compte dompter de force le peuple jusqu’à la soumission totale. Comment? toujours par la violence et les crimes. Quelqu’un a essayé de le stopper? Non alors pourquoi voulez-vous qu’il arrête de lui même, puisque le peuple est consentant. Le silence est aussi une forme de consentement. On veut que ca s'arrête? Alors soulevons nous tous, contre l’inacceptable et l’intolérable, haussons le ton
Sissi zayyat
11 h 32, le 05 février 2024