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Nos Lecteurs ont la Parole

Sans traîtres ni héros...

« Et tu, Brute ? » s’exclama Jules César avant de rendre l’âme le 15 mars de l’an 44 av. J.-C. La lame de Brutus a transpercé un cœur qui l’aimait tant.

Soixante-dix-sept ans plus tard, autour d’un dîner de la Pâque, l’on entend ces paroles : « En vérité je vous le dis, l’un de vous me trahira. » Plus meurtrier que le poignard de Brutus, le baiser de Judas sur la joue de Jésus a livré au supplice le cœur et le corps de celui qui l’avait choisi comme disciple.

En 1605, en Angleterre, la « conspiration des Poudres » visait à détruire la Chambre des lords tuant, en plus des parlementaires, le roi Jacques Ier. Guy Fawkes, la tête pensante de l’attentat, est appréhendé le 5 novembre et il est exécuté avec ses complices. Depuis, tous les ans à cette date-là, l’on brûle en Angleterre des mannequins à l’effigie de Fawkes.

Les trahisons ont commencé avec Adam et Ève, sont passées par Caïn et Abel et ne se sont pas terminées avec Fawkes.

Depuis la nuit des temps, un malheureux cortège marche docilement vers une mort certaine. C’est le cortège des innocents délibérément, injustement désignés comme étant des traîtres. En réalité, ils sont les opposants aux nombreux dictateurs sanguinaires qui ont jalonné l’histoire du pouvoir.

Les dictateurs ne sont pas pour autant stigmatisés comme traîtres, pourtant ils auraient commis des crimes insoutenables contre leur propres peuple. L’histoire est timide, magnanime et souvent complice avec les puissants victorieux. Seuls les faibles, les perdants sont désignés comme traîtres.

L’identité, la mémoire et les valeurs communes sont abreuvées du sang des héros, de leur abnégation, de leur courage, de leurs sacrifices…

Les héros sont le phare qui brûle pour guider les nations dans les tempêtes de l’histoire.

Sans héros, il n’y a pas de nation.

Or toute affirmation a besoin d’une négation pour lui donner tout son sens. Ce que l’on veut doit se compléter avec ce que l’on ne veut pas. Qui nous sommes doit être encadré par qui nous ne sommes pas. Pour que le modèle du héros se complète et perdure, il faudrait l’enrichir par le contre-modèle, celui du traître, du contraire de l’acte héroïque, la trahison.Inconsciemment, la communauté a besoin du traître pour parachever son identité collective.

Sans traître, il n’y a pas de nation.

Pourrions-nous mieux comprendre la trahison des hommes en la comparant à d’autres créatures du monde animal ? La réponse est catégoriquement négative.

La trahison est exclusivement le propre de l’homme.

Au Liban, chaque communauté a ses héros, qui sont quasi invariablement des traîtres pour les autres. Inexorablement, suite à des confrontations sanguinaires, une réconciliation nationale, fragile et aux contours mal définis a lieu. Soudain, personne n’accuse plus personne de trahison. Les symboles des héros des autres communautés, accusés la veille de haute trahison, deviennent alors des tabous. Tabous parce qu’une communauté les idéalise. Tabous parce qu’ils sont morts et bien souvent assassinés. Comment édifier une nation aux valeurs communes si l’on n’arrive pas à définir ses héros pour les idéaliser et ses traîtres pour les mépriser ?

Bachir Gemayel, Kamal Joumblatt, Rafic Hariri, Moussa Sadr… Au-delà de la courtoisie dépourvue de toute sincérité, personne n’est vraiment d’accord si chacun d’entre eux est héros ou traître.

Pas de nation sans héros.

Pas de nation sans traître.

Souffrant de manque de reconnaissance, lentement mais très sûrement, nos héros deviennent une nostalgie, telles d’anciennes photos jaunies par le temps qui passe. Avec le temps, on se souvient à peine du timbre de leur voix, de leurs slogans, de leurs projets, qui ne veulent désormais plus dire grand-chose.

Ni vainqueurs ni vaincus, avec le temps nos traîtres sont pardonnés, nos héros oubliés.

Nous n’avons plus ni héros ni traître. Le phare des héros ne nous guide plus. Le rejet des traîtres ne nous propulse plus loin d’eux.

Le bateau ivre en bois de cèdre flotte au gré des vagues. Les passagers sont grisés. Ils ne savent plus d’où ils viennent. Ils ne savent plus où ils vont… et ça leur convient parfaitement.

Député

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« Et tu, Brute ? » s’exclama Jules César avant de rendre l’âme le 15 mars de l’an 44 av. J.-C. La lame de Brutus a transpercé un cœur qui l’aimait tant. Soixante-dix-sept ans plus tard, autour d’un dîner de la Pâque, l’on entend ces paroles : « En vérité je vous le dis, l’un de vous me trahira. » Plus meurtrier que le poignard de...

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Eleni Caridopoulou

17 h 48, le 25 janvier 2024

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  • Super

    Eleni Caridopoulou

    17 h 48, le 25 janvier 2024

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