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Nos Lecteurs ont la Parole

Les régimes parlementaires pluralistes

Les travaux internationaux et comparatifs, depuis surtout les années 1970, sur les régimes parlementaires pluralistes (Suisse, Belgique, Autriche, Pays Bas, Irlande du Nord, îles Fidji, île Maurice, Ghana, Afrique du Sud, Liban…), régimes autrefois considérés particuliers, sui generis, par rapport à des régimes bien connus et exclusivement concurrentiels, n’ont pas débouché ultérieurement sur un approfondissement théorique et opérationnel à propos de leur viabilité et des modalités constitutionnelles et culturelles de leur gestion ou plutôt de gouvernabilité.

Pire encore ! Des recherches internationales et comparatives sur les régimes parlementaires pluralistes, avec des appellations diverses dont : consociation, consensuel, concordance, proporzdemocratie… ont été exploitées et manipulées avec la bénédiction d’intellectuels sans expérience, des idéologues de la modernité et du nation building, et des politicards. Un habitus mental fait obstacle à la remise en question d’un savoir juridique et constitutionnel considéré comme bien établi et consacré.

1. La littérature constitutionnelle libanaise

La littérature constitutionnelle libanaise est le plus souvent déroutante sur le problème fondamental de la classification : régime parlementaire, présidentiel, semi-parlementaire, semi-présidentiel, « confessionnel » (est-ce une « catégorie » ?)… pour déboucher enfin sur la… particularité, sui generis et, aujourd’hui, hors-la-loi !

Or il n’y a rien de sui generis. Tout phénomène se rattache à une catégorie et comporte aussi des spécificités. Un régime sui generis est soit un miracle qui n’arrive qu’une seule foi, soit un mystère non encore élucidé.

Dans des ouvrages de droit constitutionnel, il y a encore la catégorie des « régimes d’assemblée », catégorie devenue fourre-tout où des auteurs incluaient l’ex-URSS et… la Suisse pour dire enfin qu’ils ne sont pas pareils, qu’il y a des particularités et qu’il s’agit de… cas spéciaux !

Depuis les années 1970, la recherche comparative internationale a essayé de fouiller dans ces « cas spéciaux », devenus nombreux et qui couvrent, à des degrés variables, plus de quarante pays ! On a essayé de catégoriser ces régimes.

Les appellations variées, qui traduisent le même contenu et en conformité aux normes constitutionnelles, ont alors fait l’objet dans des pays occidentaux de commentaires débridés et, au Liban, d’une manipulation par des politicards et des imposteurs.

2. Classification et non doctrine !

Nombre de travaux internationaux, dont nous avons essayé de dresser une bibliographique sélectionnée, ont appréhendé les recherches en tant que « doctrine » ou « philosophie », comme capitalisme, communisme, socialisme, libéralisme…

Or il s’agit de classification, de typologie. C’est la classification qui doit favoriser ultérieurement la théorisation à travers des études de cas pour dégager quelles sont les pathologies de ces régimes et quelles sont les thérapies. Tout système, tout aménagement humain, comme le corps humain (œil, cœur, estomac, foie…) comporte des pathologies et des normes de bon fonctionnement. Le Liban dès l’origine a été considéré comme cas fondateur de la classification, ou typologie.

Les systèmes parlementaires pluralistes ont leurs pathologies, tout comme les systèmes concurrentiels de gouvernement ont aussi leurs pathologies, à savoir notamment le risque d’hégémonie et d’exclusion. Les principales pathologies des régimes parlementaires pluralistes, dont il faut, à partir d’elles, déterminer les thérapies, sont notamment :

– La faiblesse ou l’absence d’une « opposition » agissante ;

– le blocage et la lenteur de la décision ;

– l’application sauvage de la règle du quota, ou discrimination positive ;

– la faiblesse de l’autorité étatique ;

– la perméabilité à des ingérences extérieures ;

– la communautarisation, ou pillarisation communautaire ;

– le compromis à outrage et interélites jusqu’à la compromission, et même le non-droit, et des ententes interélites au sommet aux dépens du principe de légalité.

Tout système comporte les germes de sa propre corruption, à défaut de mécanismes permanents qui en assurent la régulation. Le régime constitutionnel libanais n’est ni sui generis, ni un régime « confessionnel » (ce n’est pas une catégorie), ni un régime hors la loi !...

3. Parlementarisme à réguler : art. 49 et gouvernement « exécutoire »

La Constitution libanaise institue un régime parlementaire. Cela est parfaitement clair et explicite (préambule, al. 3 et art. 16-20), basé sur la séparation des pouvoirs (préambule, al. 5), et le principe du pacte de coexistence (préambule, al. 10).

C’est la référence au pacte de coexistence qui implique que le régime, tout en étant parlementaire, est pluraliste. Cela signifie qu’il associe au parlementaire classique des processus à la fois coopératifs et compétitifs à travers la règle de discrimination positive (art. 95), l’autonomie segmentaire sur une base personnelle, ou fédéralisme personnel, en matière de statut personnel et d’enseignement, avec une garantie constitutionnelle à cette autonomie (art. 9, 10 et 19), et un processus décisionnel avec une majorité qualifiée (la règle majoritaire étant universelle pour des raisons pragmatiques) et restrictivement pour certaines décisions (art. 65).

Le régime est régulé au sommet par le nouvel art. 49 de la Constitution grâce à un président de la République, « chef de l’État » (maronite), roi constitutionnel, garant de la suprématie de la Constitution en faveur de tous, à l’instar du président Fouad Chéhab et d’autres chefs d’État au Liban dans des circonstances souvent difficiles.

Hors de l’Église, il y a le salut. Mais hors d’un président de la République « chef de l’État », point de salut au Liban ! Il s’agit aussi de revenir au chapitre IV de la Constitution libanaise avec des gouvernements « exécutoires » (ijrâ’iyya) et non des mini-Parlements qui transforment le régime en régime d’assemblée et dictature camouflée.

Antoine MESSARRA

Ancien membre du Conseil constitutionnel, 2009-2019

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Les travaux internationaux et comparatifs, depuis surtout les années 1970, sur les régimes parlementaires pluralistes (Suisse, Belgique, Autriche, Pays Bas, Irlande du Nord, îles Fidji, île Maurice, Ghana, Afrique du Sud, Liban…), régimes autrefois considérés particuliers, sui generis, par rapport à des régimes bien connus et exclusivement concurrentiels, n’ont pas...

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