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Les oubliés de la terre


Le brasier de Gaza a déjà gagné le reste de la Palestine arabe, le Liban-Sud et même la mer Rouge, allant jusqu’à lécher de ses flammèches ce front du Golan à l’apathie légendaire. Menace-t-il maintenant de s’étendre par ricochet, tel feu de savane, au sous-continent indien, comme a pu le laisser craindre l’échange de frappes survenu ces derniers jours entre ces deux colosses que sont l’Iran et le Pakistan, ce dernier étant, de surcroît, doté de l’arme nucléaire ?

Crier à l’apocalypse serait aller trop vite en besogne. Faut-il ne voir alors dans cette escarmouche qu’un épisode de la sourde rivalité sunnito-chite qui sévit en diverses parties du Proche et du Moyen-Orient ? Même pas, et cela pour la bonne (?) raison que si chacun des protagonistes se permet d’aller casser du Baloutche sur le territoire de l’autre, c’est seulement parce qu’ils en veulent tous deux au même ennemi. Vivant pour ainsi dire à califourchon sur les frontières de l’Iran, de l’Afghanistan et du Pakistan, ce peuple de nomades guerriers aspire depuis longtemps à faire sécession générale. À se doter d’un État bien à lui.

Il n’est pas le seul d’ailleurs à nourrir de longue date cette obsession dans cette partie du globe où la décolonisation, censée tenir compte de l’éveil des nationalités, sinon des nationalismes, a rarement tenu ses promesses de justice et d’équité. Sempiternelle chair à canon, tour à tour exploitée et lâchée par divers manipulateurs, les Kurdes de Turquie, d’Iran, d’Irak et de Syrie attendent toujours d’obtenir cet État que leur faisait miroiter le traité de Sèvres conclu à la fin de la première Guerre mondiale. Non moins tragique est le cas de ces Baloutches, infortunées vedettes du moment : ils peuplent la province pakistanaise la plus grande et la plus riche en ressources (pétrole, gaz et même mines d’or !), mais n’en tirent guère profit, ostracisés qu’ils sont par les autorités d’Islamabad. Tout aussi motivante que les haines ethnico-raciales s’avère ainsi la cupidité des gouvernements.

Bien plus proche de nous, à tous points de vue, demeure bien sûr la tragédie de Palestine. Favorisée par les puissances, cautionnée par l’ONU, la création d’Israël s’est soldée par une injustice sans nom commise envers les Palestiniens, une injustice qui perdure à ce jour dans d’effroyables bains de sang. Il aura ainsi fallu le carnage de Gaza pour que le monde se souvienne de l’impérieuse nécessité d’œuvrer à concrétiser la solution de deux États. Mais encore reste-t-il à vaincre cette hallucinante réédition d’une des pages les plus sombres de l’histoire : on y voit en effet les Israéliens se récrier à juste titre contre les négationnistes réfractaires à l’horrible réalité de l’Holocauste, dans le même temps qu’ils s’obstinent eux-mêmes à réfuter jusqu’à l’existence du peuple qu’ils persécutent à tour de bras.

Quoi qu’il en soit, la flambée irano-pakistanaise quittait dès hier le centre de l’actualité, les deux parties convenant en effet d’une rapide désescalade. Elle aura amplement illustré néanmoins à quel point d’ébullition en est notre partie du monde avec une telle multiplication des foyers de tension. Chaque jour, s’offre plus clairement à la vue le gâchis qu’ont laissé derrière eux les empires et puissances des siècles derniers. Ils ont institué un cruel jeu de chaises musicales avec pas assez de sièges pour la multitude de spécificités nationales, de singularismes identitaires que recelait déjà la région.

Grace au mandataire français, grâce aussi aux hommes d’État qu’il était alors en mesure d’aligner, le Grand Liban eut certes la chance insigne de trouver alors fauteuil à son arrière-train. Sur quelle baraka peut-il compter, maintenant que la partie est tout autre ; et que, face à la succession de tempêtes, il ne s’agit rien moins que de garder debout la baraque ?


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Le brasier de Gaza a déjà gagné le reste de la Palestine arabe, le Liban-Sud et même la mer Rouge, allant jusqu’à lécher de ses flammèches ce front du Golan à l’apathie légendaire. Menace-t-il maintenant de s’étendre par ricochet, tel feu de savane, au sous-continent indien, comme a pu le laisser craindre l’échange de frappes survenu ces derniers jours entre ces deux...