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Culture - Roman

« Un après-midi sous la neige » de Samer Nouh, une lecture de saison

Le premier opus du jeune auteur libanais lui a valu le prix Roman Gay dans la catégorie Découverte, organisé par les éditions Du Frigo. Une œuvre qui oscille entre l’onirisme, le fantasme et l’ancrage dans le terroir du Liban-Nord.

« Un après-midi sous la neige » de Samer Nouh, une lecture de saison

Dans « Un après-midi sous la neige, Samer Nouh campe le décor d’un village traditionnel un peu suranné. En couverture, un dessin de Joseph Kai. Photo DR

La première de couverture du roman, traversée d’ombres violettes et dessinée par Joseph Kai, représente deux jeunes garçons en route vers l’école sur des sentiers neigeux. Elle suggère une atmosphère de mystère dans cette enfance à la montagne en 2005. L’hiver est long, et le village fourmille de coutumes et d’histoires qui se transmettent et se transforment pendant les veillées autour des fourneaux brûlants, comme celle de l’excentrique Saba, qui vit comme un ermite dans une vieille maison isolée. Émile, qui a 14 ans, se plaît à passer devant, pour se faire peur, jusqu’à ce qu’il se rapproche de celui qui est perçu comme un prophète ou un démon, et dont le destin prend forme au fil des pages. Au cours de ce parcours initiatique, Émile reçoit un baiser interdit de Taïm, un camarade d’école, avant que ce dernier ne disparaisse. La lecture du roman Un après-midi sous la neige (Tropismes éditions) de Samer Nouh est plaisant et parvient à recréer le silence des sombres journées d’hiver en montagne, portées par les récits les plus fantasques de ses habitants. La trajectoire des mots épouse celle d’une caméra, qui alterne les travellings et les arrêts sur image, ce qui n’est pas tout à fait un hasard.


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En effet, Samer Nouh a commencé ses études d’audiovisuel à Beyrouth. Né en 1991, il est originaire d’un village du nord du Liban, Hadchite. Son premier court-métrage, Dans les détails, réalisé en 2013, a participé à plusieurs festivals au Liban et a reçu le premier prix du Festival européen de Beyrouth. « J’ai ensuite obtenu un master en études cinématographiques à Paris I, où j’ai réalisé un autre court-métrage, News from Beirut, en 2017, et rédigé mon mémoire de fin d’études sur le désir homosexuel dans le cinéma égyptien », explique l’artiste, qui devient peu à peu romancier. « Tout en travaillant dans l’audiovisuel, j’avais une histoire en tête et je prenais beaucoup de notes, je pensais en faire un film ; c’est devenu un roman, fondé sur mes souvenirs d’enfance et mon imagination. C’est la maison d’édition Tropismes qui a publié mon texte, ils sont spécialisés dans la traduction de textes étrangers, mon roman est un des rares écrits francophones parus chez eux», ajoute Samer Nouh.

Un après-midi sous la neige campe le décor d’un village traditionnel un peu suranné. « C’est le paysage d’enfance qui est resté en moi, avec ses dédales de rues qui relient les foyers, sa forêt de genévriers, son église Saints-Sarkis-et-Bakhos. Dans le livre, il y a beaucoup d’incertitudes et de zones d’ombre, ce sont aussi celles de la mémoire. En écrivant, il m’arrivait de voir le cadrage du village, les mouvements des personnages : le cinéma a inspiré mon écriture », précise le réalisateur.

« La façon dont la grande histoire efface la petite histoire »

La vie de village est un élément essentiel de la construction narrative du roman. « J’ai eu besoin de cristalliser certains moments, comme la période du carême, avec les aliments qui se transforment pour éviter viande et laitages. Il y a des scènes-clés, comme celle de « khamissl-sakara » (jeudi qui précède le carême) ou le moment où les villageois brûlent une immense peluche fourrée de chaume qui symbolise Judas. Ils la pendent sur la place du village, et cette tradition est toujours actuelle», confie Samer Nouh. L’immolation de Judas n’est pas sans rappeler celle de Saba, à la fin du livre. On peut d’ailleurs se demander si cette scène punitive n’est pas la projection de la culpabilité du jeune garçon qui a transgressé un interdit en embrassant Taïm et qui craint une forme d’ostracisme. « Je ne voulais pas écrire un énième récit qui raconte l’histoire d’un adolescent qui découvre son homosexualité et qui fait face à l’homophobie. Je souhaitais présenter l’homosexualité comme un combat intérieur et intime, fidèle au contexte. Émile a 14 ans, il ne va pas se lancer dans un combat militant, il va garder son expérience pour lui et se dire qu’il s’en occupera plus tard. L’homosexualité n’est pas le sujet principal du roman », affirme l’auteur.

Entre le jeune adolescent et Saba, s’opère un jeu de miroirs intéressant. « L’histoire de Saba va profondément transformer la vision du monde d’Emile, mais aussi son rapport au corps, à la sexualité et aux mots. Dans le récit d’un rêve qui associe Saba, Taïm et un ange, le narrateur utilise un excès d’adjectifs pour se venger des injonctions de son professeur qui souhaitait en limiter l’usage aux élèves. Le récit met en valeur une maturité de la langue et des images et permet de mieux comprendre le poids du passé », ajoute-t-il.

Un fragment du village a été déplacé en Australie et la place de cette diaspora est très importante, aussi bien dans les récits que dans les événements et dans les esprits. Sa charge symbolique est souvent ambivalente. « À Hadchite, il y a eu une forte émigration vers l’Australie. Taïm disparaît car il a émigré : ces départs soudains étaient assez fréquents, on vivait avec. Ils laissaient un grand vide. Régulièrement, on venait chercher des ouvriers, des étudiants et des femmes dans le village pour les faire voyager, ce que l’on vivait comme un vol de la part de l’étranger», analyse l’écrivain, dont le texte raconte l’espoir de l’année 2005 avec la fin de l’occupation syrienne. « J’avais envie de parler de cette période, les gens s’attendaient à un départ qui allait les libérer. On retrouve dans le roman les grandes manifestations ; lorsque les gens campaient sur place, il y avait beaucoup de ferveur. Aujourd’hui, on ne sait plus qui doit partir et qui doit rester... L’état d’esprit est très différent, même si, très vite, les déceptions ont suivi ce moment de liesse... » ajoute Samer Nouh, dont le livre a été bien accueilli dans différents médias et lors de rencontres en librairie, en France et au Liban. « Un lecteur m’a fait la remarque que la mort de Saba coïncidait avec le départ des Syriens. Nous avons parlé de la façon dont les villageois, préoccupés par l’actualité politique, sont peu disponibles au moment du décès de Saba : la grande histoire efface la petite histoire», conclut l’auteur sobrement.

Samer Nouh a commencé son prochain roman autour des rapports père-fils et de l’ancrage dans la terre. Il se passera après les manifestations de 2016 et en pleine crise des réfugiés : l’occasion de revisiter une période chargée en changeant de cadrage.

La première de couverture du roman, traversée d’ombres violettes et dessinée par Joseph Kai, représente deux jeunes garçons en route vers l’école sur des sentiers neigeux. Elle suggère une atmosphère de mystère dans cette enfance à la montagne en 2005. L’hiver est long, et le village fourmille de coutumes et d’histoires qui se transmettent et se transforment pendant les...

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