Critiques littéraires Bande dessinée

Joseph Kai, prestidigitateur graphique

Joseph Kai, prestidigitateur graphique

L’Intranquille de Joseph Kai, Casterman, 2021, 168 p.

Ce sont tous les membres d’une génération d’auteurs de bande dessinée libanais qui, tour à tour, publient leurs premiers albums chez des éditeurs français. Après Tracy Chahwan, Noémie Honein et Raphaëlle Macaron, voici que Casterman publie, en septembre, L’Intranquille de Joseph Kai.

Joseph Kai fait partie de ceux qui ont repris avec succès et inspiration les destinées du collectif Samandal depuis quelques années. En parallèle de cette intense activité collective, on savait, de loin en loin, et au fil de ses passages entre Paris et Beyrouth, qu’il travaillait sur une histoire longue.

La voici enfin concrétisée. Joseph y dépeint la vie, les errances, les audaces et les réflexions de X, jeune homme entre la vingtaine et la trentaine, vivant au cœur de Beyrouth. Auteur de bande dessinée, X vit sous le poids d’une société anxiogène à plus d’un titre et à laquelle il est particulièrement perméable. Assumer son identité sexuelle, vivre son rapport au corps, que ce soit dans le cadre privé des appartements, semi-privé des spectacles ou le cadre public des rues relève bien souvent du parcours du combattant. Contextualisées dans la révolution d’octobre 2019, ces considérations prennent la dimension d’un combat.

Une scène marquante et qui fait figure de prise de conscience pour le lecteur est celle où, déambulant, X se fait la réflexion suivante : « Je pense à mon corps. Je me demande ce qu’il serait sans le poids du rejet, de la menace et de la peur. J’aurais tellement voulu me connaître sans ça. »

Joseph Kai traite de sujets amples tout en pariant sur une économie de moyens : un nombre de personnages restreint, des fils narratifs qu’on ne lâche pas du début à la fin du récit.

Le trait qu’il emploie est fascinant : aérien, il donne à respirer, invitant le lecteur à s’engouffrer dans les vides, avec l’impression d’être en suspens. Serpentueux, il se permet des jeux graphiques qui savent rester à l’écart de tout aspect décoratif. Son dessin n’obéit à aucun système, si bien que de cases en cases, les compositions s’inventent et se réinventent. Un parti pris qu’il est difficile de tenir sur la longueur, mais que Joseph maîtrise à merveille.

Ajoutons à cela une audace dans le traitement des couleurs, parfois fluorescentes, dégradées et planantes et le constat est là : il y a, dans ce premier album la mise en place d’une identité graphique assumée et jusqu’au-boutiste qui marque.

Tant dans le récit que dans la forme, l’album bascule d’une scène à l’autre entre lâcher prise émotionnel et réflexion, entre expression brute et retenue. Dans cette alternance, c’est un récit qui ressemble à la vie.

Nous vous avions parlé il y a quelques mois de l’album de Noémie Honein (De l’importance du poil de nez). Comme elle, Joseph Kai semble synthétiser et entremêler dans ce premier album tous les sujets qui lui tiennent à cœur. Sans bouder notre plaisir à la lecture de L’Intranquille, la curiosité est déjà là quant à savoir ce que sera le prochain récit de Joseph Kai. Celui qui se créera dans un monde où « l’intranquille » existe déjà.


L’Intranquille de Joseph Kai, Casterman, 2021, 168 p.Ce sont tous les membres d’une génération d’auteurs de bande dessinée libanais qui, tour à tour, publient leurs premiers albums chez des éditeurs français. Après Tracy Chahwan, Noémie Honein et Raphaëlle Macaron, voici que Casterman publie, en septembre, L’Intranquille de Joseph Kai.Joseph Kai fait partie de ceux qui ont repris...

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