Il y a quelques jours donc, soit plus de 7 mois après avoir été désigné, au printemps dernier, par le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Souheil Abboud, pour se pencher sur les poursuites engagées le 25 janvier 2023 par le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, contre M. Bitar, pour « rébellion contre la justice » et « usurpation de pouvoir », le premier président de la cour d’appel de Beyrouth, Habib Rizkallah, a finalement franchi un premier pas dans l’instruction de l’affaire : il a fait parvenir une note à M. Oueidate lui demandant de rectifier « les actes de procédure » contenus dans sa plainte. Selon une source judiciaire interrogée par L’OLJ, l’expression « actes de procédure », signifie « des faits et des éléments de droit ».
En un temps et deux mouvements, la note envoyée par M. Rizkallah a fait l’objet vendredi d’un appel du procureur près la Cour de cassation devant une chambre d’accusation… qui n’existe pas. Cette instance ad hoc devait en effet être formée par le CSM, à travers la désignation de trois membres parmi des magistrats ayant un grade plus élevé que le juge Bitar. Or ceux-ci n’ont pas été nommés, vraisemblablement faute d’un accord interne.
Les poursuites de Ghassan Oueidate à l’encontre de Tarek Bitar avaient été engagées au surlendemain de la décision de ce dernier de reprendre l’enquête du port, après une étude juridique qu’il avait effectuée, selon laquelle « aucun texte de loi ne prévoit la récusation d’un juge d’instruction près la Cour de justice ». Le juge Bitar avait ainsi tenté de se dégager des multiples recours abusifs portés contre lui par des responsables mis en cause, qui gèlent les investigations depuis décembre 2021. Dans les faits, il avait lancé, le 23 janvier 2023, des poursuites à l’encontre de plusieurs personnalités du monde politique, sécuritaire et judiciaire, dont le procureur Oueidate, lequel, outre l'avoir accusé de « rébellion et (d’)usurpation de pouvoir », lui a interdit de voyager, tout en ordonnant aux fonctionnaires du parquet de cassation de ne pas notifier les personnes qu’il vise par des mandats d’amener ou d’arrêt.
« Absurde »
Selon les informations recueillies par L’OLJ, M. Rizkallah a notamment indiqué, dans sa note, que les investigations sur lesquelles s’est basé le parquet de cassation dans sa plainte « ne sont pas complètes ». En réponse, celui-ci lui aurait exposé « les grandes lignes d’éléments de preuve » qu’il détient, avant d’interjeter appel devant la chambre d’accusation non encore formée. Interrogé par notre publication, Joseph Samaha, ancien membre et ancien président par intérim de la Cour de justice, et ancien avocat général près du parquet financier, qualifie d'« illégal », voire « absurde » un appel présenté devant une juridiction « inexistante ».
Selon M. Samaha, la note écrite par Habib Rizkallah pour « rectifier les actes de procédure » ne fait pas partie des procédés qu’utilise fréquemment un juge d’instruction. Il explique que celui-ci y a généralement recours « lorsque l’identité de la personne poursuivie n’est pas suffisamment définie dans une plainte ». Ou encore, ajoute-t-il, si d’autres personnes sont présumées avoir participé au délit reproché, et que la plainte en question a omis de préciser que les poursuites visent « toute personne qu’impliquera l’enquête ». « Dans de tels cas, le juge d’instruction peut demander au procureur les rectifications nécessaires », explique-t-il.
Un magistrat ayant requis l’anonymat estime à cet égard qu'« en envoyant la note par laquelle il a demandé à M. Oueidate de corriger sa plainte, M. Rizkallah savait qu’elle allait faire l’objet d’un appel ». « C’est un moyen de faire assumer au parquet les entraves à l’affaire du port, dans une tentative d’échapper lui-même à la responsabilité du dossier». Ce à quoi un autre magistrat rétorque que « l’acte de M. Rizkallah ne doit pas être critiqué tant qu’il n’a pas été publié et consulté ».
Joseph Samaha se demande, pour sa part, pourquoi « le juge Rizkallah n’a pas cherché lui-même à vérifier la légalité des poursuites engagées par M. Oueidate, et n'a pas mené des investigations pour s’assurer de l’existence des délits reprochés à Tarek Bitar ». « À la suite de son enquête, il aurait prononcé un acte d’accusation, lequel aurait été alors susceptible d’appel », indique-t-il.
Pour M. Samaha , le juge Oueidate n’avait pas qualité à engager des poursuites contre M. Bitar, s’étant auparavant désisté du dossier pour cause de lien de parenté avec l’ancien ministre Ghazi Zeaïter, un des responsables visés par le juge d’instruction près la Cour de justice. Le même magistrat qui s’est exprimé sous anonymat renchérit en affirmant qu’en tout état de cause, « aucun texte de loi ne permet à un procureur général de porter plainte contre un juge d’instruction près la Cour de justice ».
Quelles répercussions ?
Au final, quelles pourraient être les répercussions de l’appel interjeté par M. Oueidate ? Interrogée, une source proche du CSM affirme ne pas être en mesure de répondre à la question de savoir quand la chambre d’accusation ad hoc sera nommée. Du côté du parquet de cassation, on indique que le juge Rizkallah ne sera pas en mesure de poursuivre son instruction, tant que l’appel du parquet n’aura pas été tranché par la juridiction de 2nd degré. Ce qui, observe un magistrat, risque de reporter aux calendes grecques la fin de la procédure. Selon un avis juridique contraire, l’appel n’empêche pas le juge Rizkallah de convoquer M. Bitar et de se prononcer, après l'avoir entendu, en faveur ou en défaveur de « la rébellion contre la justice et l’usurpation de pouvoir ».
Avant de publier son acte d'accusation, le juge Rizkallah devra le soumettre au parquet de cassation, dont le chef est Ghassan Oueidate, auteur des poursuites. Selon Joseph Samaha, « les problèmes ne seront solutionnés que par des nominations judiciaires générales ». « Afin que celles-ci aient lieu, elles doivent être approuvées par un décret pris en Conseil des ministres et promulgué par le président de la République. Pour cela, l’élection d’un nouveau chef de l’État et la formation d’un nouveau gouvernement sont urgentes », préconise le magistrat à la retraite.
Pour des proches de victimes de la double explosion, la demande du juge Rizkallah n’apporte que « plus de complications » à leur cause. « Après s’être tu pendant longtemps, le magistrat Habib Rizkallah nous a surpris en appelant le juge Ghassan Oueidate à rectifier sa plainte, alors qu’il aurait pu le faire dès la première semaine qui a suivi les poursuites contre le juge Bitar », ont-ils indiqué dans un communiqué publié lundi. « Il s’agit d’une preuve supplémentaire que nous sommes en présence de gangs politiques et judiciaires qui atermoient en vue de brouiller les pistes et enterrer le dossier », ont-ils ajouté.
Quand l'enquete sur l'assassinat de plus de 220 personnes et la destruction de plusieurs milliers de foyers est entravee par des juges, Que peut attendre le citoyen d'une telle justice ? La canaille judiciaire est aussi corrompue que la canaille politichienne. Gibier de potence. Et puisque vous avez devoye la justice elle meme, seule une justice sommaire pourra etre efficace. Kellon ya3ne kellon.
22 h 15, le 16 janvier 2024