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Apprêts sur images


Ah ! Je ris de me voir si belle en ce miroir ! Que de fois, enfants, n’avons-nous ri nous-mêmes de toutes nos petites dents en regardant, au fil des albums de Tintin, la cantatrice Bianca Castafiore interpréter avec autant d’assurance que d’assourdissants décibels la Marguerite de Faust ! Nos juvéniles cervelles captaient déjà le ridicule d’une situation où l’on voit une matrone s’obstiner à ignorer l’implacable verdict du miroir : lequel en effet nous montre tels que nous sommes, tels que nous voient les autres. C’est d’ailleurs ce même accessoire de toilette qui, dès notre plus jeune âge, nous avait appris à nous identifier à l’intrigant reflet qu’il nous offrait…

C’est un peu ce même jeu de miroirs, en bien plus angoissant évidemment, que vit aujourd’hui notre partie du monde où jamais la capricieuse guerre des images n’a pesé aussi lourd : plus lourd même peut-être que celle des canons, des missiles et des chars, comme l’actuel conflit qui menace d’embraser le Proche et le Moyen-Orient. Le 7 octobre dernier, le monde quasiment entier s’indignait des exactions contre les civils qui ont accompagné l’opération Déluge d’al-Aqsa menée par le Hamas contre Israël. Il en oubliait, le monde, la somme de frustrations et de souffrances endurées des décennies durant par les Palestiniens régulièrement dépossédés de leurs terres.

Le barbare pilonnage de Gaza, son insensé bilan, l’épouvantable spectacle repassant en boucle depuis plus de trois mois sur les écrans de télé les ratonnades perpétrées par les colons en Cisjordanie – mais aussi la révoltante rhétorique des dirigeants israéliens –, tout cela a fini par changer notablement la donne. Par susciter un planétaire élan de sympathie pour un peuple palestinien persécuté de la sorte et privé de ses droits les plus naturels. Par ternir l’image d’un Israël outrageusement conquérant, occupant, expansionniste et se prévalant effrontément du droit de légitime défense. C’est cette même thèse d’ailleurs que brandit obstinément Israël devant la Cour internationale de justice, saisie en urgence par l’Afrique du Sud d’une plainte pour génocide.

Nul, c’est vrai, n’attend de cette juridiction, la plus haute des Nations unies, qu’elle donne entière satisfaction au plaignant ; ou même qu’une sentence pourtant moins infamante (et néanmoins contraignante) soit exécutée par un État hébreu qui fait bien peu cas des résolutions onusiennes. Dans cette chaude bataille de la communication, cruciale est en revanche la portée morale de l’initiative de Pretoria, du fait de l’énorme charge symbolique qu’elle recèle. Car apartheid et génocide sont deux monstrueux fléaux qui vont fatalement de pair. Et en fait d’apartheid, nul au monde ne s’y connaît mieux que les Sud-Africains qui en ont souffert des siècles durant, qui ont vécu ce que vivent aujourd’hui les Palestiniens : l’acharnement des colons racistes à fragmenter leur patrie en pitoyables bantoustans.

Cette sarabande de perceptions que provoque l’affaire de Gaza n’épargne guère la superpuissance américaine elle-même. Mais en dépit de ses actuels efforts diplomatiques (lesquels n’empêchaient en rien les frappes américano-britanniques d’hier contre les houthis du Yémen), l’administration Biden ne s’est pas débarrassée pour autant de ses œillères, de sa flagrante partialité pour Israël. Pour Antony Blinken qui vient de clôturer une cinquième tournée dans la région, une acceptation arabe d’Israël et la garantie de sa sécurité ouvriraient une voie à l’établissement d’un État palestinien. Mais n’est-ce pas là mettre la charrue devant les bœufs ? Car si le secrétaire d’État US a beau jeu d’appeler à l’émergence d’une classe dirigeante palestinienne rénovée et jouissant du respect international, il passe lestement sous silence le monumental lifting qui s’impose de l’autre côté de la barricade, où règne l’équipe la plus criminellement extrémiste jamais notée.

Car si Israël aspire à la paix, il lui faut, peuple et gouvernement, se décider à se regarder dans le miroir avec tout le réalisme que commande l’explosif contexte. L’image que lui renverra en temps réel ce dernier correspond-elle vraiment à son idéal ? Sa formidable puissance militaire en fait-elle effectivement un havre sûr ? Cela prendra sans doute le temps qu’il faudra ; mais une fois assouvie l’actuelle soif de vengeance, c’est de l’intérieur que pourra un jour venir tout changement.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Ah ! Je ris de me voir si belle en ce miroir ! Que de fois, enfants, n’avons-nous ri nous-mêmes de toutes nos petites dents en regardant, au fil des albums de Tintin, la cantatrice Bianca Castafiore interpréter avec autant d’assurance que d’assourdissants décibels la Marguerite de Faust ! Nos juvéniles cervelles captaient déjà le ridicule d’une situation où l’on voit une matrone...