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Piratages sans frontières

Le pirate piraté ! D’aucuns ont pu trouver piquante, savoureuse et à la limite cocasse la cyberattaque de lundi qui a perturbé durant un bon moment les opérations d’affichage des vols et d’inspection des bagages à l’Aéroport international de Beyrouth : le tout agrémenté, pensez donc, d’une virulente diatribe contre le Hezbollah qui passe pour avoir la haute main sur ce site public proprement vital. Nombre de citoyens, en revanche, ont frémi à l’idée que qui a cyber-volé volera. Et que la prochaine fois on pourrait s’en prendre à cette tour de contrôle dont les aiguilleurs sont déjà en sous-nombre et surmenés : angoissante perspective en vérité, pour un peuple qui a la bougeotte et qui ne communique avec l’extérieur que par ce poumon solitaire qu’est l’AIB.


Pour l’instant, les officiels penchent pour la thèse d’une attaque menée de l’extérieur : ce qui, assez paradoxalement, serait plutôt rassurant, du moins au plan interne. On voit d’ici en effet quels remous sectaires escomptaient les hackers en signant leur manifeste du logo d’un petit groupe chrétien notoirement hostile au Hezbollah mais qui a promptement décliné toute responsabilité dans cette affaire. Ouf, bien sûr ; mais on n’est pas pour autant sorti de l’auberge. Car à y penser de fil en aiguille, n’est-ce pas le Liban tout entier qui se trouve aujourd’hui piraté, hacké et même arnhacké, embarqué, mouillé jusqu’à la taille dans une guerre qui fait rage à sa frontière sans que sa population, dans son écrasante majorité, l’ait voulue, y ait jamais souscrit ?


Heureux développement néanmoins lourd d’incertitudes, la canonnade de Gaza et du Liban-Sud s’accompagne désormais d’une intense activité diplomatique visant à désamorcer un embrasement régional. La vedette principale en est, comme de tradition, le secrétaire d’État américain qui en est à sa cinquième tournée au Moyen-Orient depuis le début du conflit. Au gré de ses escales, Antony Blinken ne s’est pas contenté d’appeler à la coopération internationale pour l’établissement d’un État palestinien indépendant. Alors que le martyre de Gaza entre dans son quatrième mois et que le bilan y frôle les 23 000 morts, il a insisté auprès de Netanyahu sur l’impérieuse nécessité d’en épargner la population civile. Et c’est avec le même et délirant optimisme qu’il s’est efforcé de convaincre MBS qu’un ralliement du Trône saoudite au processus de normalisation arabe avec Israël demeurait plus que jamais de mise.


En ce qui nous concerne, le chef de la diplomatie US n’a cessé de répéter qu’un élargissement du conflit serait néfaste tant pour Israël que pour le Liban et le Hezbollah (notez bien la distinction au sein du couple national !). Ce n’est pas Blinken cependant, mais le négociateur spécial Amos Hochstein qui viendra bientôt à Beyrouth pour y explorer les chances d’une stabilisation durable. En annonçant la nouvelle, le Premier ministre sortant a confirmé qu’il y est fortement question d’un retrait du Hezbollah au nord du fleuve Litani, encore que le Liban exige un règlement global fondé sur une réactualisation de l’accord d’armistice de 1949 dans ses dispositions topographiques, ce qui résoudrait ipso facto l’épineuse question de l’armement du Hezbollah. Tout au long de son interview à la chaîne américaine al-Hurra, Nagib Mikati a paru être en phase avec le chef de la milice pro-iranienne qui, la semaine dernière, se disait ouvert à un accord sur le fond du problème, mais seulement après l’arrêt des agressions israéliennes contre Gaza.


Artisan du récent accord sur la délimitation de la frontière maritime avec Israël, c’est donc sur la terre ferme que va s’affairer cette fois Hochstein dont les performances sont visiblement très appréciées ici, en dépit de sa double citoyenneté israélienne et américaine. À chaque étape ou virage d’un parcours qui s’annonce aussi long que hasardeux, ce sont cependant les mêmes interrogations qui vont continuer de s’imposer. Le brasier de Gaza a-t-il vraiment dépassé toute démesure, au point de commander enfin une solution du problème de Palestine, et aussi des litiges qui sont venus s’y greffer ? Les divers protagonistes, et à leur tête Israël et l’Iran, sont-ils tous conscients que la cote d’alerte est largement enfoncée déjà ? Après tant d’aventureuses équipées en solo du Hezbollah, faut-il croire à une tardive et miraculeuse convergence d’intérêts entre le Liban et la milice ?

Pour finir dans la note du piratage de l’aéroport, le temps serait-il venu pour l’État de prétendre à davantage que son rôle de gentil hackompagnateur ?

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Le pirate piraté ! D’aucuns ont pu trouver piquante, savoureuse et à la limite cocasse la cyberattaque de lundi qui a perturbé durant un bon moment les opérations d’affichage des vols et d’inspection des bagages à l’Aéroport international de Beyrouth : le tout agrémenté, pensez donc, d’une virulente diatribe contre le Hezbollah qui passe pour avoir la haute main sur ce site...