Il a fallu près de trois jours au Hezbollah pour planifier et exécuter une riposte qu’il considère appropriée – en visant samedi par des dizaines de roquettes une base militaire dans le nord d’Israël – à l’assassinat du numéro deux du Hamas Saleh el-Arouri et de ses six compagnons, mardi au cœur de la banlieue sud de Beyrouth. Pour le commun des mortels, il s’agirait d’une frappe relativement banale, en tout cas qui ne sort pas du cadre militaire que s’est fixé le Hezbollah depuis qu’il a décidé d’entrer à sa manière dans le conflit qui se déroule à Gaza, en tant que front de soutien au Hamas. Toutefois, des experts militaires ne cessent, depuis l’annonce de l’attaque, d’expliquer qu’il s’agit d’une frappe stratégique de nature à déstabiliser les Israéliens. Dans un communiqué sur l’attaque, le Hezbollah a estimé qu’il s’agit d’une première riposte, mais de l’avis des experts militaires, elle serait de poids, alors que les Israéliens ont commencé par garder le silence ne reconnaissant que deux jours plus tard la réalité de la frappe et son importance.
En effet, la base aérienne de Meron n’est pas n’importe quelle base pour les Israéliens. Sur l’ensemble du territoire israélien il n’y en a que deux, une au Nord et une seconde au Sud, à Mitzbe Ramon. Il s’agit de bases aériennes d’aiguillage et de surveillance de l’espace aérien, mais aussi des activités militaires. La base de Meron couvre ainsi le Liban, la Syrie, la Turquie, jusqu’au nord de la Méditerranée. C’est d’ailleurs à partir de la base de Meron que les missiles téléguidés au laser qui ont frappé l’immeuble où se trouvait Saleh el-Arouri et ses compagnons ont été pilotés. Ce n’est donc pas par hasard que le Hezbollah a choisi de frapper cette base en particulier. Mais l’opération n’était pas facile, parce que la base est installée à plus de 1 200 mètres de hauteur, sur le mont Jarmak et, par conséquent, elle n’est pas atteignable par les missiles utilisés jusque-là par le Hezbollah dans le conflit qui se déroule à la frontière sud. Des experts militaires s’accordent ainsi à dire qu’il s’agit d’une attaque audacieuse et totalement inattendue pour les Israéliens, d’autant que la base est située à 8 km de la frontière et, par conséquent, les missiles Kornet traditionnels ne peuvent pas l’atteindre à partir du Liban. De plus, dans son communiqué, le Hezbollah a affirmé avoir lancé 62 missiles contre la base, et les Israéliens se demandent depuis comment le bouclier antimissiles n’a pas réussi à les intercepter. Ce qui les pousse à croire qu’il s’agit de missiles Kornet modernisés et revus, pour avoir une plus longue portée sans être interceptés. Selon la presse israélienne, l’armée ne savait même pas que le Hezbollah possédait de telles armes.
Pour compléter l’opération, le Hezbollah a aussi filmé le lancement des missiles et leur explosion une fois leur cible atteinte. Ce qui signifie, toujours selon des experts militaires, qu’au moment de leur lancement, les missiles étaient accompagnés de drones chargés de filmer l’opération. Il s’agit donc d’une attaque complexe et perfectionnée qu’en général, seules les grandes armées peuvent mener. Ce qui devrait être de nature à déstabiliser encore plus les Israéliens.
Au final, le Hezbollah considère avoir mené une attaque ciblée, avec de nouvelles armes et dans un espace géographique plus grand que d’habitude, tout en frappant un lieu considéré comme très secret, sans toutefois avoir dépassé ce qu’il appelle « les règles d’engagement » en vigueur depuis 2006. Le Hezbollah estime que cette attaque (et celles qui devraient suivre parce qu’il parle d’une première riposte), destinée à faire mal aux militaires israéliens en leur montrant un nouvel aspect de ses propres moyens et capacités, a essentiellement pour objectif de les ramener à ces fameuses règles qu’ils n’ont cessé selon lui de transgresser depuis le 8 octobre. D’ailleurs, le Hezbollah est convaincu que le fait que les médias israéliens aient tardé à parler de cette attaque serait dû au fait que l’armée de l’État hébreu aurait mis du temps à la digérer. Il estime ainsi qu’ils ont été tellement déstabilisés qu’ils ont mené des raids au Liban-Sud de façon désordonnée, dont un sur un immeuble dans le village de Kaouthariyet el-Siyad, à une trentaine de kilomètres de Saïda. Les dégâts matériels sont impressionnants, mais il n’y a ni morts ni blessés. Selon les habitants du village, le raid a touché un appartement loué par un membre du Hezbollah mais qui n’est pas encore habité parce qu’inachevé. Comme quoi, commente le Hezbollah, les informations recueillies par les Israéliens sont encore incomplètes.
À ce stade, le Hezb considère donc qu’il a réussi à faire mal aux Israéliens tout en leur donnant un aperçu de ce qui pourrait les attendre s’ils décident d’élargir le champ du conflit. Le parti, lui, ne souhaite pas un tel élargissement, comme il l’a déclaré à plusieurs reprises, et il estime l’avoir prouvé même dans sa riposte. Pour lui, la balle est donc dans le camp des Israéliens et des Américains. Toutes les offres qui lui ont été transmises par différents émissaires et qui peuvent être considérées comme alléchantes – parce qu’elles devraient permettre au Liban de retrouver pratiquement une bonne partie de son territoire qui reste occupé, notamment les fermes de Chebaa, les collines de Kfarchouba, la partie libanaise de la localité de Ghajar et même le point stratégique dit B1, moyennant un retrait éventuel des armes sophistiquées et des combattants du Hezbollah de la zone au sud du Litani – ne seront étudiées qu’une fois la guerre à Gaza terminée. En effet, le Hezbollah considère que ces offres sont faites actuellement parce que les Américains voudraient régler le conflit dans le Sud du Liban, quittes à pousser les Israéliens à faire des concessions, pour leur permettre de concentrer leurs forces et leurs efforts contre Gaza. Or c’est justement la raison pour laquelle le Hezbollah refuse de les examiner dans un tel contexte. Si elles sont maintenues après la fin de la guerre à Gaza, elles seront alors étudiées sérieusement.
Comme d'habitude , excellente analyse de Mme Haddad . Cette fois ci il semble qu'il n'y a pas beaucoup de pourfendeurs pour critiquer celle-ci . :-) .
17 h 31, le 11 janvier 2024