Critiques littéraires Art & Histoire

Un diptyque rupestre en danger

Un diptyque rupestre en danger

Le monastère de Saint Jacques l’Intercis de Deddé en 1964 (Office national du tourisme 1964), surplombant la plaine côtière et, plus loin, la ville de Tripoli.

Le site de Sainte Marina de Qalamoun court un danger de disparition imminent. De la peinture murale, dernier témoin d’une activité monastique au Moyen-Âge, il ne reste que des lambeaux frileusement accrochés à la roche.

L’atypique programme iconographique présent, réunit et vénère deux saintes homonymes : Sainte Marina d’Antioche de Pisidie (vierge sauroctone et mégalomartyre, patronne des femmes en couches connue sous le nom de Sainte Marguerite d’Antioche en Occident) et Sainte Marina la déguisée (patronne de l’allaitement, plus connue au Liban). Toutes deux ont largement dépassé les frontières de l’Orient. La connotation féminine de ce programme iconographique interroge la fréquentation des femmes à des fins apotropaïques, et la probabilité d’un monastère régi par des moniales. Les indices relevés, comme par exemple les confusions dans les écrits hagiographiques, sont éclairants sur le rôle qu’a pu jouer le site de Qalamoun dans les échanges culturels et cultuels de ce point de rencontre entre marchands, troubadours, pèlerins et gens d’église.

Cette œuvre, comme plein d’autres, a été exposée aux altérations du temps et aussi aux interventions humaines. Celles-ci font partie de son histoire comme nos rides et nos cicatrices font partie de notre corps. Un travail de restauration a alors commencé, d’abord par un haut niveau d’attention, d’observation et de questionnement face à l’œuvre, exactement comme le ferait un soignant devant son patient, avant de passer aux interventions à la lueur des analyses. Ici, le restaurateur n’est pas dans une quête de la perfection, mais plutôt dans celle de la justesse de ses gestes, après s’être octroyé le temps nécessaire à la documentation, l’analyse et la compréhension autour de l’œuvre.

L’ouvrage académique Les Peintures murales médiévales de Sainte-Marina de Qalamoun. Dévotion et sainteté au féminin dans le Liban-Nord, sous la direction de Lina Fakhoury Soueid, réunit plusieurs disciplines des sciences humaines. Parmi celles-ci, l’histoire de l’art qui s’intéresse à l’aspect artistique de l’œuvre peinte (contribution d’Annemarie Weyl Carr), alors que la charge spirituelle que véhicule le site de Qalamoun est abordée par le biais de l’hagiographie et de l’anthropologie (contributions de May Davie, Sarah Mady et Nada Kallas). L’histoire, la géographie et l’archéologie (contributions de Michael Davie, Pierre Moukarzel et Sarah Mady) étayent la mise en contexte du site, tandis que l’analyse stratigraphique de la peinture murale (contribution de Lina Fakhoury Soueid) s’efforce de dissiper le brouillard autour du maître d’œuvre, du commanditaire et de ses intentions vis-à-vis du public qui a pu contempler l’œuvre originale.

Lina Fakhoury Soueid, architecte et restauratrice d’icônes qui a suivi une formation en muséologie et qui est actuellement en charge des archives de l’Académie Libanaise des Beaux-Arts (Alba), aimerait sensibiliser la jeune génération au patrimoine iconographique du Proche-Orient, dans le but d’assurer, à travers elle, la préservation et l’enrichissement des connaissances autour de ces joyaux encore peu connus du grand public. Pour elle, l’ouvrage de Qalamoun est un hommage à son professeur, le père Antoine Lammens, restaurateur d’icônes et chercheur en iconographie du monde byzantin, qui l’a chargée de transmettre son fonds d’archives à la communauté scientifique et aux générations montantes. Ce fonds se trouve actuellement à disposition, à l’Alba.

La publication Les Peintures murales médiévales de Sainte-Marina de Qalamoun vise à des appels multidirectionnels. D’abord, elle est une invitation à approfondir la recherche académique à travers une multitude de disciplines des sciences humaines : « Le site est porteur d’un matériel intellectuel inestimable… Le livre de Qalamoun garde encore bon nombre de pages à écrire », note Lina Fakhoury Soueid. La publication est aussi en quelque sorte une documentation préalable à une restauration future, si elle doit avoir lieu. Enfin, la finalité de faire revivre l’image des deux saintes qui ont vécu l’abnégation, l’humilité, le service des autres et la confiance en Dieu, n’est-ce pas aussi un appel au monde à se transfigurer ?

Les Peintures murales médiévales de Sainte-Marina de Qalamoun. Dévotion et sainteté au féminin dans le Liban-Nord, sous la direction de Lina Fakhoury Soueid, Éditions de l’Université de Balamand, 2023, 201 p.

Le site de Sainte Marina de Qalamoun court un danger de disparition imminent. De la peinture murale, dernier témoin d’une activité monastique au Moyen-Âge, il ne reste que des lambeaux frileusement accrochés à la roche.L’atypique programme iconographique présent, réunit et vénère deux saintes homonymes : Sainte Marina d’Antioche de Pisidie (vierge sauroctone et...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut