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Politique - Récit

Mandat de Joseph Aoun : dans les coulisses d'une affaire rocambolesque

Des tractations politiques et diplomatiques d'une intensité jamais vue ont eu lieu pour maintenir le commandant en chef de l'armée en poste.

Mandat de Joseph Aoun : dans les coulisses d'une affaire rocambolesque

Un manifestant, le 15 décembre 2023 lors d’un rassemblement de militaires libanais à la retraite devant le Grand Sérail à Beyrouth. Photo An-Nahar

Joseph Aoun est sorti gagnant de la bataille. Vendredi, il a réussi à obtenir de la Chambre des députés la prorogation de son mandat à la tête de l'institution militaire pour un an supplémentaire, malgré toutes les tentatives de tourner sa page dès le lendemain de son départ à la retraite (initialement prévu le 10 janvier) et, par la même occasion, de le neutraliser politiquement. Cette affaire peut être considérée comme la seule échéance à avoir été précédée de tractations politiques et diplomatiques aussi intenses. Ainsi, malgré la soif du chef du CPL, Gebran Bassil, de revanche contre Joseph Aoun, ce dernier s'est imposé, aux yeux de la communauté internationale mais aussi d'une partie de l'échiquier politique local, comme une nécessité pour préserver la stabilité du Liban et l'unité de l'institution militaire. C'est d'autant plus le cas à l'heure où le Hezbollah a érigé le Liban-Sud en front de soutien à Gaza, où la guerre entre Israël et le Hamas fait rage. La prorogation du mandat du général Aoun aura également des retombées sur la scène politique, liées notamment à l'élection présidentielle dans laquelle il est perçu comme un prétendant sérieux. Car pour certains, la prorogation du mandat du soldat en chef équivaut à son maintien – pour un an supplémentaire – dans la course à Baabda, en attendant le règlement politique de l'après-guerre à Gaza. D'autant que, pour le grand malheur de M. Bassil, l'alignement des astres, aux niveaux local et international, qui a ouvert les portes du Parlement en vue d'amender la loi sur la Défense nationale, pourrait un jour se reproduire en vue de conduire Joseph Aoun au palais présidentiel.

Mikati cède aux pressions
Il a fallu des semaines de contacts entre la classe politique et les chancelleries internationales pour que ce feuilleton se termine. Durant cette période, des messages contradictoires sont parvenus aux Libanais concernant la position internationale. Certains ont en effet considéré que ce qui importe le plus aux Américains, c'est d'éviter tout vide à la tête de l'armée après la date fatidique du 10 janvier. Pour ceux-là, Washington souhaitait tout simplement éviter ce scénario, que ce soit par le maintien du commandant actuel ou par un accord sur la nomination d'un chef d'état-major (druze), le numéro deux de la troupe censé assurer l'intérim en cas de vacance au sommet (un poste maronite). Certains acteurs politiques au Liban ont donc basé leur position sur cette donnée. « Lors de la réunion entre le vice-président du Parlement, Élias Bou Saab, et l'émissaire américain pour la Sécurité énergétique, Amos Hochstein, à Dubaï, il y a deux semaines, rien n'indiquait de façon claire et décisive que Washington réclamait un maintien de Joseph Aoun », raconte une source au courant de la teneur de ce tête-à-tête. C'est pour cela que lors de ses entretiens avec le président de la Chambre, Nabih Berry, M. Bou Saab est resté sur sa position, refusant le maintien en poste de Joseph Aoun. Par contre, le reste du quintette (les Français, les Saoudiens, les Qataris et les Égyptiens) était plus direct dans sa façon de souligner la nécessité de proroger le mandat du chef de l'armée et de faire parvenir le message aux acteurs libanais à travers plusieurs canaux. C'est dans ce cadre qu'est intervenue, deux jours avant la séance parlementaire, la visite à Bkerké de l'ambassadeur saoudien Walid Boukhari qui a également mené des contacts avec plusieurs forces politiques et envoyé plusieurs messages à M. Berry.

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Dès lors, le maintien de Joseph Aoun sonne comme une victoire de la communauté internationale face aux pièges et au comportement vindicatif de certains, notamment du CPL. Car depuis que ce dossier a été sérieusement posé sur la table, ce camp politique, dont fait partie le ministre de la Défense, Maurice Slim, s'y est farouchement opposé. Pendant ce temps, les autres acteurs se renvoyaient la balle du gouvernement sortant dirigé par Nagib Mikati au Parlement. Si c'est finalement la Chambre qui a dû trancher, Nabih Berry ne cessait de répéter, y compris vendredi en pleine séance plénière, qu'il aurait préféré que ce soit le cabinet qui « assume ses responsabilités ». Dans un premier temps, le tandem Berry-Mikati s'était d'ailleurs mis d'accord sur la démarche à suivre : un décret visant à retarder le départ à la retraite de Joseph Aoun accompagné de la nomination du chef d'état-major et des autres postes vacants au conseil militaire. Mais le Premier ministre a fini par céder face aux multiples appels – locaux comme internationaux – insistant sur la nécessité de proroger le mandat du patron de la troupe à travers une loi au Parlement. Car un décret du gouvernement aurait été facilement invalidé par un recours devant le Conseil d'État, surtout si la décision est prise en l'absence du premier concerné, le ministre de la Défense. Une perspective surtout redoutée par l'Église maronite, qui craignait de voir le commandement de l'armée confié à un druze.

Dîner Aoun-Frangié
Alors que ces tractations étaient en cours, M. Mikati a provoqué un différend avec M. Slim en lui envoyant un courrier lui indiquant la nécessité de proposer en Conseil des ministres la prorogation du mandat du chef de l'armée. Ce à quoi le ministre de la Défense s'est opposé. Nabih Berry s'est alors essayé à une médiation entre les deux hommes, accueillant M. Slim à Aïn el-Tiné. Lors de leur entretien, ce dernier a expliqué son point de vue, affirmant qu'il ne pouvait pas tolérer un empiètement sur ses prérogatives et une prorogation du numéro un de la troupe sans sa signature. Nabih Berry s'est alors montré compréhensif et a demandé au ministre : « Qu'est-ce que vous proposez donc ? » Ce dernier a proposé la nomination du chef d'état-major et des membres du conseil militaire malgré l'absence d'un président de la République. Et en réponse à une question du président du Parlement, il s'est engagé à faciliter la procédure même si le parti dont il dépend (le CPL) s'y oppose. M. Mikati a toutefois refusé cette solution, ayant promis à Bkerké de maintenir Joseph Aoun en poste.

Pour mémoire

Tout sauf Joseph Aoun

Les tractations se sont alors poursuivies en vue de trouver une sortie de cette impasse. Nabih Berry et le Hezbollah ont compris que la prorogation du mandat du chef de l'armée était une exigence internationale incontournable. Toutefois, le chef du législatif a voulu tirer profit de cette situation. Tout d'abord, il y a vu une occasion de mener les différentes factions politiques – en particulier les Forces libanaises et l'opposition chrétienne – au Parlement pour une séance législative (et non électorale), pour la première fois depuis le début de la vacance présidentielle. Ensuite, il a cherché à vendre cette concession aux membres du quintette. Tout comme Sleiman Frangié, le candidat du tandem chiite à la magistrature suprême, d'ailleurs. Ce dernier s'opposait dans un premier temps à l'idée de maintenir en poste un homme qui « ne communique pas avec nous, ne nous reconnaît pas et continue de nous attaquer », en référence à l'attitude adoptée par le patron de la troupe face à toute la classe politique. L'Orient-Le Jour a appris qu'à ce moment-là des efforts ont été déployés par des acteurs locaux et internationaux, notamment Bkerké via l'archevêque Samir Mazloum, pour faciliter un contact entre les deux hommes. Ces contacts ont été couronnés de succès et MM. Frangié et Aoun se sont retrouvés autour d'un dîner jeudi soir, sur invitation du chef de l'armée. « Joseph Aoun a également envoyé des représentants à Paris pour discuter de la question. Les Français ont alors assuré que la prorogation aura sûrement lieu. »

Joumblatt entre en scène
Gebran Bassil ne s'est pas estimé vaincu pour autant. Il a alors menacé de présenter un recours devant le Conseil d'État si la prorogation était actée en Conseil des ministres, ou devant le Conseil constitutionnel si elle est votée par la Chambre. Dès lors, des efforts ont été déployés pour parvenir à une démarche conjointe des deux branches du pouvoir. Parallèlement, les contacts se sont intensifiés entre le Hezbollah et M. Bassil, ce dernier considérant qu'un feu vert du parti chiite relèverait d'« un coup de poignard dans le dos ». La formation de Hassan Nasrallah a alors véhiculé un message assurant que ses ministres ne participeront pas à un Conseil des ministres dédié à la question. Et quand M. Mikati a tout de même convié à une séance gouvernementale vendredi, en parallèle à la réunion du Parlement convoquée par Nabih Berry, le Hezbollah savait que le quorum (au Sérail) ne sera pas atteint.

Le jour J arrivé, des militaires à la retraite ont entamé un mouvement de protestation dans les alentours du Sérail.  « Cela ne peut être dissocié des pressions au Liban et à l'étranger pour éviter une prorogation par le gouvernement », estime une source politique bien informée. D'ailleurs, dès jeudi soir, les forces politiques étaient conscientes que la séance gouvernementale n'aura pas lieu. C'est alors que le leader druze Walid Joumblatt est entré en scène, mécontent de voir la promesse de la nomination d'un chef d'état-major s'éloigner. L'ancien président du Parti socialiste progressiste considérait en effet que ce qui se passait était une manipulation du destin du pays et de l'institution militaire, ce qu'il a fait savoir à Wafic Safa, responsable de l'unité de coordination au sein du Hezbollah. Ce dernier a répondu que le parti chiite ne souhaitait pas entrer en confrontation avec son allié chrétien, mais ne s'opposait pas au principe de maintien du commandant en chef de l'armée. À ce moment-là, M. Joumblatt a déclaré que le parti « s'est épuisé et le pays avec pour satisfaire Gebran Bassil », annonçant à Wafic Safa qu'il allait entrer en contact avec le chef du CPL. La conversation entre les deux hommes était tendue, révèle une source proche de Moukhtara. Le leader druze a considéré qu'il n'était pas permis d'exposer un sujet aussi sensible aux méandres de la politique politicienne et des considérations personnelles. Il a également contacté MM. Berry et Mikati pour leur dire que Abbas Halabi, ministre de l'Éducation proche du PSP, ne participera pas au Conseil des ministres. Résultat : une issue a été trouvée, consistant à proroger le mandat de Joseph Aoun lors d'une séance législative à laquelle les députés du Hezbollah n'ont pas assisté, sans pour autant la saboter. En parallèle, le gouvernement devra s'atteler, mardi prochain au Sérail, à la nomination d'un chef d'état-major et des membres du conseil militaire.

Joseph Aoun est sorti gagnant de la bataille. Vendredi, il a réussi à obtenir de la Chambre des députés la prorogation de son mandat à la tête de l'institution militaire pour un an supplémentaire, malgré toutes les tentatives de tourner sa page dès le lendemain de son départ à la retraite (initialement prévu le 10 janvier) et, par la même occasion, de le neutraliser...

commentaires (10)

Qui vivra verra! Mais quoi au fait? Encore des acrobaties et des manigances pour camoufler les échecs successifs!

Michel KARAM

19 h 38, le 19 décembre 2023

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Commentaires (10)

  • Qui vivra verra! Mais quoi au fait? Encore des acrobaties et des manigances pour camoufler les échecs successifs!

    Michel KARAM

    19 h 38, le 19 décembre 2023

  • Et c'est reparti : Soyons à la mode, allons à la recherche d'un ridicule nouveau.....

    aliosha

    17 h 16, le 18 décembre 2023

  • Rocambolesque ????? Mais non ! Tout juste grand-guignolesque....

    Michel Trad

    16 h 06, le 18 décembre 2023

  • "Le chef s'est imposé, aux yeux de la communauté internationale ". Eh non... le chef de la troupe s'est plutôt imposé grâce à l'appui de la communauté internationale laquelle, d'ailleurs, ne fait rien gratuitement.

    Hitti arlette

    15 h 27, le 18 décembre 2023

  • Ce n'est vraiment pas sérieux tout cela ! Quelle république bananière et pire !

    Chucri Abboud

    13 h 47, le 18 décembre 2023

  • - LE QUORUM ON VOUS L,A ASSURE, - VOUS ETES HEUREUX, DIT LE BARBU. - A VOTRE TOUR DE NOUS L,ASSURER, - POUR LA PRESIDENCE DU FRANJU ! - IL Y EU *HORS BORDS-BARBU* ACCORD. - *AOUN-SLEIMEN* DINERENT EN RENFORT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 23, le 18 décembre 2023

  • Finalement ce 'Grand Liban', c'est aussi une grande connerie!

    Georges MELKI

    10 h 02, le 18 décembre 2023

  • "… Des tractations politiques et diplomatiques d'une intensité jamais vue …" - Hep! Entre nous… c’est arrivé à combien de "fresh" la voix?

    Gros Gnon

    07 h 41, le 18 décembre 2023

  • Comment peut-on parler d’une soif de revanche de la part de M. Bassile quand la motivation de ce dernier est simplement le respect des lois et de la constitution? Ce n’est pas du tout une défaite pour le CPL, le seul parti qui respecte les principes et la constitution! De plus, miser sur le fait que la présidence est maintenant acquise pour Joseph Aoun est une allégation totalement fausse. Qui vivra verra!

    Sami NAJJAR

    04 h 14, le 18 décembre 2023

  • Mais plus besoin d'en faire des articles, les vrais articles de vrais journalistes, sont des articles qui font part de recherches, d'analyses, de realite, de denonciation, d'un travail de journalistes. Gardez vos articles pour la culture, pour la literature, dans cet entourage quoi. Pour le reste, ce que vous pensez appeler politique, c'est la meme mafia, a tous les niveaux, et surtout ne jamais oublier que chaque Dimanche il faudrait octroyer un "article" au "patriarche" qui porte une certaine tunique de moine mais que tout le monde saque l'habit ne fait pas .. En gros c'est termine, le Liban

    Abdallah Barakat

    03 h 20, le 18 décembre 2023

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