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Bas-fonds de bassin



C’est par la tête que le poisson commence à pourrir, dit l’adage ; et il va de soi que de décapiter la bête ne pourra retarder en rien l’implacable processus de décomposition. Telle est la peu appétissante image qu’offre périodiquement, à chaque échéance constitutionnelle, notre très singulière démocratie. Plutôt que de s’en remettre aux prescriptions de la loi, ce n’est alors en effet que grossiers bricolages et bidouillages : que recours à la triche, dite de nécessité, sous prétexte qu’ il faut bien faire avancer le bourricot étatique ployant sous la surcharge.

Puisqu’il faut bien commencer par la tête, c’est la vacance de la présidence de la République, déjà vieille de quatorze mois, qui aura enclenché un pervers effet domino. Car sans chef de l’État il devenait délicat de pourvoir, dans les règles, ces hautes charges que sont le gouvernorat de la Banque du Liban et le commandement de l’armée : toutes deux vouées par la tradition aux maronites, toutes deux menacées de vacance à plus ou moins long terme. Or, si la succession à la BDL a été assurée au finish par les vice-gouverneurs, et à leur tête le premier de ceux-ci, un chiite ; si pour ménager les susceptibilités sectaires, c’est un maronite qui a pris la relève d’un chiite à la Sûreté générale, autrement plus complexe s’est avéré le maintien à son poste du général Joseph Aoun.

Pour en venir là, on aura d’abord vu le législatif et l’exécutif s’essayer à concocter ensemble une sortie de crise. Peu après ces organes se rejetaient à qui mieux mieux la patate brûlante pour passer à l’émulation en se saisissant tous deux de la question, au mépris du principe de la séparation des pouvoirs. Le gouvernement d’expédition des affaires courantes n’ayant pu se réunir hier faute de quorum, c’est donc le Parlement qui gagnait par forfait la course à la pêche miraculeuse en prorogeant d’un an le mandat des divers chefs à vocation sécuritaire.

De cet invraisemblable taboulé constitutionnel faut-il rappeler que l’Assemblée nationale est la première responsable, et pas seulement en la personne de son président, le très talentueux Nabih Berry, vissé aux cuisines ? Car le Parlement, source de tous les pouvoirs, ne s’est pas acquitté, en temps voulu, de l’obligation impérieuse qui lui était faite de se réunir d’office, en collège électoral, à seule fin de désigner un chef de l’État. Sans même parler des conséquences (les funestes dominos) la Chambre des députés se mettait elle-même ainsi en situation d’illégalité, sinon d’illégitimité. C’est tout de même un comble pour une démocratie qui se veut précisément parlementaire ; aussi a-t-on pu voir dans cette déchéance générale des institutions, dans leur lente mais inexorable agonie, un coup d’État au ralenti : un putsch rampant…

Remarquable est à cet égard l’ambiguïté dont a fait montre le Hezbollah en assurant, par sa présence dans l’enceinte parlementaire, la régularité de la séance d’hier, puis en évacuant la salle au moment du vote. Ce faisant, la milice ménageait visiblement son turbulent allié Gebran Bassil qui vit dans la hantise d’une accession du commandant de l’armée à la présidence. Et qui, dans sa virulente campagne contre ce dernier, en perd bien davantage que les bons usages de la politique : la mémoire.

On peut bien sûr trouver de tout dans les profondeurs de la piscine aux requins, et même des poissons qui en dépit des lois de la physiologie ne manquent pas d’air. Mais de là à oser accuser le patron de la troupe d’avoir barboté dans la caisse quand on est soi-même responsable d’un gigantesque trou dans les finances publiques ; quand on a même écopé de sanctions américaines pour cause de corruption…

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

C’est par la tête que le poisson commence à pourrir, dit l’adage ; et il va de soi que de décapiter la bête ne pourra retarder en rien l’implacable processus de décomposition. Telle est la peu appétissante image qu’offre périodiquement, à chaque échéance constitutionnelle, notre très singulière démocratie. Plutôt que de s’en remettre aux prescriptions de la loi, ce...