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Lifestyle - Culte

La « kebbé labaniyé », la tarte à la mangue, le N de Noura… comme un goût de Beyrouth

Un restaurant, un hôtel, un bar, une boutique, une plage... Un lundi par mois, nous vous emmenons, à la (re)découverte d’un endroit inscrit, d’une manière ou d’une autre, dans la mémoire collective libanaise. À travers l’histoire de ces lieux, cette rubrique vous raconte surtout pourquoi ils sont encore, aujourd’hui... cultes. Pour ce quatorzième numéro, le traiteur, pâtissier, glacier et chocolatier Noura, fondé à Beyrouth en 1948.

La « kebbé labaniyé », la tarte à la mangue, le N de Noura… comme un goût de Beyrouth

Noura, un lieu qui véhicule de nombreux souvenirs culinaires. Photo Michèle Aoun

Noura, a priori un simple prénom féminin de chez nous qui signifie en arabe « lumineuse » ou « sa lumière ». Sauf que quand on est libanais, beyrouthin – et de Beyrouth-Est plus particulièrement –, il suffit d’entendre Noura pour qu’aussitôt s’éclaire en nous la mémoire d’un anniversaire d’enfant, d’une naissance sous les bombes, d’un baptême dans une maison de montagne, d’un cocktail de mariage dans un salon retapissé pour l’occasion, d’un enterrement aux étranges allures de fête ou d’un éternel déjeuner du dimanche. Il suffit de prononcer Noura pour qu’aussitôt nous reviennent tous ces goûts salés ou sucrés que l’on connaît par cœur.

Ceux de la tarte à la mangue, du N de Noura fondant à outrance, d’un « kebbé labaniyeh », d’une boîte de chocolats d’où s’échappe un flot sucré, d’une « valise » fourrée de pain de mie au thon, d’un fraisier ou d’une confiserie au massepain que le traiteur, pâtissier, glacier et chocolatier iconique perpétue avec la rigueur, la constance, la consistance et ce côté suranné qui le caractérisent depuis voilà soixante-quinze ans. Et ce qui rend Noura tellement culte, c’est qu’il abrite dans ses cuisines, ses désormais sept points de vente et son nouveau N Café ouvert à l’hôtel Phoenicia le mois dernier, tous ces goûts-là qui, une fois rassemblés, constituent la mémoire gustative d’un certain Beyrouth.

Des pâtisseries qui ont gardé leur goût « d’avant ». Photo Michèle Aoun

« Le salon de thé le plus luxueux d’Orient »

C’est en 1948 qu’Edwin Chaaraoui, un avocat de profession passionné de gastronomie, ouvre une pâtisserie doublée d’un salon de thé au centre-ville de Beyrouth, suivie d’une branche inaugurée sur la rue Monnot en 1952. Ça s’appellera Noura, du nom de sa fille aujourd’hui décédée. En 1965, son fils Habib, qui prendra par la suite les rênes de l’entreprise familiale, rejoint son père – après avoir poursuivi des études de gestion à la London School of Economics et effectué des stages en France et en Suisse – et lui conseille de proposer, en plus des pâtisseries et chocolats de la maison, des plats du jour inspirés par ceux de sa mère.

Aussitôt, ce qui est considéré à l’époque comme « le salon de thé le plus luxueux d’Orient » devient également un restaurant où la bourgeoisie beyrouthine afflue manger les recettes de la femme d’Edwin qui ont continué d’exister tout le long de l’histoire Noura, et même jusqu’à aujourd’hui : la « kebbé labaniyyeh à l’aleppine », la « mouloukhieh », la « kebbé arnabiyyé » et sa tempête d’agrumes, les feuilles de vigne farcies accompagnées de côtelettes, parmi tant d’autres plats mythiques. Agent exclusif du chocolat Lindt de cuisine, Noura déplace au début de la guerre ses petites boîtes enrubannés comme des cadeaux, ses confiseries, ses glaces, ses gâteaux et ses plats du jour, d’abord à Jounieh et dans le quartier de Sassine (où la boutique existe encore à ce jour), puis dans des locaux à Sioufi qui agissent depuis 1982 comme boutique et cuisine centrale.

Noura en 1952, un lieu déjà culte. Photo DR

Sous la houlette de Habib Chaaraoui, réputé pour son obsession de la rigueur et, en ce sens, ses légendaires slogans martelés en cuisine : « No Yalla, Bassita, Maalech, Mecheh el-Hal », Noura devient le traiteur et pâtissier de prédilection des beyrouthins de l’Est, et en tout cas une marque libanaise mythique, une sorte de « La Durée » traversée par des accents levantins. Si bien qu’au cours de la guerre civile, qui avait provoqué une émigration de masse des Libanais vers la France, une enseigne Noura apparaît à Paris. « Le propriétaire de l’enseigne parisienne a profité de la notoriété de notre marque auprès des Libanais et a usurpé notre nom pour développer son propre concept », déplorait à ce sujet Habib Chaaraoui dans un entretien avec le Commerce du Levant en 2013.

« C’est justement ce caractère iconique, la force de cette marque 100 % libanaise mais en même temps internationale, qui nous a séduits », racontent les deux frères Julien et Pierre Khabbaz, tous deux issus de la finance, qui rachètent la boîte fin 2016. « Nous avions travaillé auprès de notre père Georges qui avait fondé les magasins d’habillement Khabbaz, et Noura avait ce même aspect réconfortant, rassurant, inscrit dans la mémoire collective. » Une fois l’acquisition faite, les frères Khabbaz rêvent « de prendre ce bijou et de le développer, histoire de le rendre plus universel, ou en tout cas pas uniquement réservé à un “Beyrouth chrétien”, comme c’était le cas jusque-là », confient-ils.  

Noura downtown, le respect du passé avec un regard sur le futur. Photo DR

Noura 2.0

En l’espace de sept ans seulement, et en dépit du contexte socio-économique qui prévaut au Liban depuis, les frères Khabbaz développent Noura et transforment l’enseigne en une machine de guerre gastronomique. Les chiffres sont là qui le prouvent : près de 5 000 bûches et 600 dindes confectionnées à Noël, deux cents employés distribués entre la cuisine centrale et sept boutiques au total, Sioufi, Sassine, Zalka, Jounieh, l’hôtel Mzaar Intercontinental, le centre-ville de Beyrouth et, depuis le mois dernier, le N Café « au tout aussi iconique hôtel Phoenicia, c’était comme une évidence ». « C’était une manière de boucler la boucle, en revenant à l’essence de ce qu’était Noura au départ, en proposant un café de 200 places au total, à la fois décontracté mais fidèle à la qualité et l’excellence de Noura, avec une carte se prolongeant du petit-déjeuner, au brunch, au déjeuner, au thé et jusqu’au dîner », explique Julien Khabbaz.

Certes, le chantier était de taille et aurait pu faire lever les sourcils des habitués de cette maison à la fois sophistiquée mais quasi artisanale, notamment « nos clients qui jusqu’à ce jour commandent nos plats du jour 300 jours de l’année ». Mais rien de cela. « L’idée n’était pas de changer l’esprit, l’âme de Noura, mais plutôt de placer nos recettes vieilles de 60 ans dans le présent. On ne voudrait jamais faire de Noura un lieu à la mode, loin de là. C’est la raison pour laquelle, à part développer nos activités, nos produits et notre offre en ligne, nous n’avons rien changé, ni nos employés ni nos recettes », nuance Pierre Khabbaz. D’ailleurs, rien que pousser la porte de Noura Sioufi ou Noura Sassine – les deux seules boutiques qui conservent leur décor d’origine aux couleurs de chocolat – équivaut aujourd’hui à aller rejoindre les chemins de la mémoire, et surtout retrouver tous ces éléments (gustatifs) cultes d’un passé de Beyrouth.

L’indétrônable Danielle qui fait la pluie et le beau temps chez Noura, Sioufi. Photo Michèle Aoun

D’abord l’éternelle Danielle, toujours empêtrée dans ses bloc-notes froissés et qui d’une main prend une commande et de l’autre décroche le combiné avec son légendaire : « Noura bonjour ! », en vous proposant des menus d’anniversaire, de Noël, de Pâques, de repas de fête, et qui connaît par cœur les fidèles de Noura et leurs goûts. Ensuite, de la cuisine, les effluves des plats qui ont l’odeur d’un dimanche de famille à Beyrouth et que souvent des chauffeurs viennent se mettre en file pour récupérer à midi. Mais aussi, enveloppés dans de la cellophane, des gâteaux d’anniversaire au massepain, les inimitables valises en forme de tortue qui renferment des pains de mie, les chocolats en tout genre, les tuiles et les dragées pour les jours de fête, les pains au lait emballés dans leur papier blanc que des serveurs à nœud papillon font circuler dans les enterrements beyrouthins. Et puis, bien entendu, parmi les iconiques tartes à la mangue, les fraisiers, les bombes glacées mangue-fraise, le N de Noura dont la maison seule a le secret, tous ces monticules d’œufs au chocolat dans leur papier argenté, les bûches et les dindes de Noël qui n’ont pas bougé depuis les années 80.

« Nous sommes les gardiens d’un patrimoine culinaire local », concluent les frères Khabbaz qui, en l’ignorant peut-être, détiennent dans leurs cuisines la précieuse saveur de Beyrouth…

Noura, a priori un simple prénom féminin de chez nous qui signifie en arabe « lumineuse » ou « sa lumière ». Sauf que quand on est libanais, beyrouthin – et de Beyrouth-Est plus particulièrement –, il suffit d’entendre Noura pour qu’aussitôt s’éclaire en nous la mémoire d’un anniversaire d’enfant, d’une naissance sous les bombes, d’un baptême...

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Z’avez oublié de mentionner la fameuse « Forêt noire » de Noura, recette iconique entre toutes.

Marionet

01 h 55, le 18 décembre 2023

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Commentaires (1)

  • Z’avez oublié de mentionner la fameuse « Forêt noire » de Noura, recette iconique entre toutes.

    Marionet

    01 h 55, le 18 décembre 2023

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