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Nos Lecteurs ont la Parole

Le nationalisme et moi

Il est 6h du matin, je suis dans le TER en route vers Angers. Jamais je n’aurais pensé écrire en plein déplacement professionnel, mais en ce moment matinal, je ne sais pas quoi faire pour me distraire. J’attends avec impatience le lever du soleil. Je réfléchis à ma vie, à ma carrière professionnelle, à cette envie innée d’exceller, de voyager, de me chercher et de me retrouver. Mes pensées dérivent également vers mes voyages passés, les personnes que j’ai rencontrées, la magie de chaque instant et ce lien unique qui unit les 26 pays que j’ai visités jusqu’à présent : le nationalisme.

Qu’est-ce que le nationalisme ? Qui l’a créé ? Qui l’a inventé ? Pourquoi en parle-t-on souvent ? Pourquoi les sociétés à travers le monde l’interprètent-elles si différemment ?

Pourquoi un nationaliste français ne ressemble-t-il pas à un nationaliste libanais ? Pourquoi ce mot me

perturbe-t-il ? Quel est le lien entre ce mot et les personnes qui m’ont hébergé à Paphos, à La Valette, à Rotterdam, au Luxembourg, à Munich, à Istanbul, à Ljubljana ou encore à Damas ?

Nous faisons souvent référence au concept du nationalisme lorsque nous parlons d’indépendance, de mouvements anticoloniaux ou

anti-impériaux, de souveraineté nationale, de guerres ethniques, de conflits territoriaux et, dans certains cas, de génocides. Le nationalisme moderne tel que nous le connaissons n’est que le résultat des évolutions sociales et économiques des sociétés antiques. Ces sociétés étaient organisées différemment et les politiques qui les régissaient n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Les individus se sentaient affiliés à des empires tels que l’Empire romain ou perse, à des tribus, à des familles ou à des puissances divines. Ces appartenances fournissaient des traits identitaires aux individus. Beaucoup se sentaient liés par leur langue, leur culture, leur foi ou leur empire... Bien que la notion de la nation n’ait pas été si bien définie à l’époque, l’idée d’une loyauté envers une ethnie ou une communauté remonte à des décennies.

La conceptualisation moderne de cette idéologie a émergé progressivement au fil des siècles, ses fondamentaux étant marqués par de nombreux événements historiques, principalement la Révolution française. Cette révolution inspira d’autres mouvements en Europe à travers l’histoire et continue de le faire sur d’autres continents du monde, notamment l’Asie du Sud-Ouest ou l’Afrique du Nord, comme observé dans le cadre du printemps arabe. À l’époque de la Révolution française, des romanciers, des philosophes, des écrivains et des penseurs ont mis l’accent sur des réflexions identitaires en lien avec la culture, la langue, l’attachement émotionnel des populations à des terres natales et ancestrales ou autre. Ces réflexions ont permis au nationalisme romantique d’émerger et d’influencer la perception collective des populations sur la formation des États-nations. Johann Gottfried Herder, philosophe allemand, fut un des premiers écrivains qui influença d’autres narrateurs à aborder des sujets en lien avec l’identité. La vision herdérienne de l’importance des langues et des cultures, du lien entre la terre et le peuple ainsi que du rejet de l’universalisme joua un rôle essentiel dans la formation des mouvements nationalistes en Europe et constitua une base pour le nationalisme moderne.

Entre le nationalisme français et le nationalisme libanais, une énorme différence se manifeste, surtout en ce qui concerne la perception sociale. Au Liban, les drapeaux libanais sont omniprésents. Un Libanais à l’étranger n’hésitera jamais à évoquer son pays d’origine et à montrer son appartenance au pays des cèdres. Même si le nationalisme peut varier entre les communautés libanaises en fonction de leur religion, l’amour pour la patrie demeure inchangé. Les valeurs et la vision d’un Liban peuvent différer entre une communauté et une autre, mais l’amour pour le même territoire est indubitable. Pour beaucoup de Libanais, le nationalisme est une fierté. Cette fierté est le résultat d’une occupation ottomane et française, ainsi que d’une crainte liée à la présence palestinienne et syrienne sur le territoire libanais. Pour certains Français, le nationalisme moderne est la vitrine des partis politiques d’extrême droite. Un drapeau français sur le toit d’une maison peut choquer de nombreux citoyens. Le nationalisme en France peut également être régional ou départemental. Celui-là ne choque personne. Les gens ont du mal à différencier un Breton bien ancré dans sa Bretagne, un Corse, une Gersoise ou une Alsacienne d’un Français, qui évoque la même appartenance mais envers tout le pays.

À Chypre, les Chypriotes sont partagés entre une ethnicité grecque et une autre turque, avec deux douanes sur un même territoire, une nation divisée en deux, un gouvernement qui ne reconnaît pas l’autre. Le nationalisme invite certains à revendiquer l’indépendance, tandis que d’autres voient la réussite de la nation dans l’union des deux gouvernements. Des deux côtés, les citoyens chypriotes sont nationalistes. À Paphos, la fille de l’application « couchsurfing » qui m’a hébergé chez elle durant trois nuits, Irène, m’a expliqué l’histoire du pays. Irène n’a pas de solution pour Chypre, elle rêve d’un territoire où tous les citoyens chypriotes trouvent leur place et leur identité. Elle déteste le nationalisme, elle trouve que c’est cette idéologie qui divise les Chypriotes. Cependant, le lendemain, en partant à la mer, Irène n’hésita pas à insulter une Anglaise qui l’avait klaxonnée pour avoir roulé en sens inverse. Elle se justifia en expliquant que les Chypriotes n’en peuvent plus de la présence des Anglais à Chypre. Même si le pays a connu un long passé avec la Grande-Bretagne, son acte n’est-il pas un acte nationaliste ? N’est-ce pas la même idéologie qu’Irène déteste, mais sous une forme différente ?

À l’instant même où j’y pense, le soleil commence à se lever. Je regarde les rayons de soleil qui traversent ma vitre et je me dis profondément que je suis de ceux qui revendiqueront toujours les langues et les cultures, de ceux qui se battront pour les droits des indigènes et de ceux qui refuseront les occupations. Je suis également de ceux qui refuseront le nationalisme radical, qui se dissocieront de leur nation lorsque cette dernière aura tort. Je suis de ceux qui iront vivre à Saint-Malo, qui s’intégreront dans la culture bretonne mais qui écouteront Feyrouz le matin avant de partir au travail et qui cuisineront libanais avec des produits bretons. Je suis de ceux qui se battront pour leurs idées sans se laisser influencer par les idéologies des autres.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Il est 6h du matin, je suis dans le TER en route vers Angers. Jamais je n’aurais pensé écrire en plein déplacement professionnel, mais en ce moment matinal, je ne sais pas quoi faire pour me distraire. J’attends avec impatience le lever du soleil. Je réfléchis à ma vie, à ma carrière professionnelle, à cette envie innée d’exceller, de voyager, de me chercher et de me retrouver....

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