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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Liban et ses négociations maritimes

L’ouvrage de Michel Ghazal, à contenu multiple et interdisciplinaire, est une investigation juridique sur le droit maritime international, une étude de cas au jour le jour sur les processus de négociation et de médiation, et une analyse politique des plus pertinentes sur les rapports de force et les capacités de négociation dans un État qui ne jouit pas de sa pleine souveraineté (Occasion manquée ? Les secrets des négociations maritimes Liban-Israël, Dar an-Nahar, 2023, 272 p.).

Pour les milieux universitaires et les instituts de formation, au Liban et dans le monde, on dispose désormais d’un ouvrage, « vade mecum », avec un cas relaté au jour le jour, avec les détails concrets et pertinents de la part d’un acteur spécialiste qui s’est associé à un processus des plus pénibles dans un contexte national, régional et international complexe.

1. Le droit maritime international : c’est dans l’ouvrage de Michel Ghazal que j’ai, enfin, compris les difficultés et jurisprudences du droit maritime international. L’éminent Antoine Fattal nous l’expliquait en DES de droit public à l’Université Saint-Joseph en 1962-1963. J’étais rebelle à une explication docte et sophistiquée. L’ouvrage de Michel Ghazal me réconcilie avec son explication, vraiment explication (« explicare », déployer, faire connaître en détail), avec le droit international maritime et le droit public international en général. Le problème verse en effet dans des palabres et des discours politiques polémiques sur la ligne 23 et la ligne 29 et les critères de leur détermination. Le droit maritime international sert-il cependant de référence dans un monde régi exclusivement par des rapports de force ? L’auteur rapporte la réponse d’Amos Hochstein à ceux qui demandent l’amendement du décret 6433 : « Good luck » (p. 242) !

2. Les processus de négociation : il y a dans l’ouvrage les détails au quotidien de la négociation, la psychologie, les rapports de force, les obstacles, l’action des médiateurs, les risques et chances d’aboutissement dans une stratégie qui se veut gagnant-gagnant et même, dans le cas du Liban et des Libanais comme ils sont et des sociopathes au pouvoir, les intérêts personnels. Michel Ghazal écrit : « Il serait désolant de constater qu’un intérêt personnel aurait primé sur l’intérêt collectif » (pp. 207 et 255).

3. L’analyse politique de l’effectivité : l’analyse de Michel Ghazal de l’accord-cadre du 1er octobre 2020 publié en annexe est profondément politique, ce qui est rare même de la part de politologues chevronnés. Il s’agit d’une analyse profondément politique, c’est-à-dire qui tient compte de tout le champ du possible et des alternatives. Le titre de l’ouvrage est à la fois critique et interrogatif : Occasion manquée ?

L’auteur rapporte la recommandation fort profonde de Henry Kissinger sur la négociation en général : « Il faut être toujours prêt à négocier, mais ne jamais négocier sans être prêt » (p. 253). Être prêt implique l’existence d’un État pleinement souverain. Michel Ghazal écrit en conclusion : « Conduire une négociation maritime internationale n’est pas chose facile. Du fait de la multiplicité des acteurs présents, du grand nombre de points à traiter et des spécificités d’une communication interculturelle, il s’agit de l’un des types de négociations les plus complexes à mener » (p. 253).

L’analyse politique de Michel Ghazal est liée à une réflexion éthique : « Ne valait-il pas mieux un accord médiocre plutôt que pas d’accord du tout ? Bien sûr, la réponse à cela est oui. À la condition toutefois de ne pas chercher à les tromper et les mener en bateau en édulcorant la vérité de son contenu » (p. 255).

4. Le courage et le sens de l’État : l’ouvrage complète et enrichit le travail fort documenté et analytique de Khalil al-Gemayel et Mazen Basbous (« Hakîkat tarsîm al-hudûd al-bahriyya al-lubnâniyya ». La vérité sur la délimitation des frontières maritimes du Liban, armée libanaise, Direction des affaires géographiques, 2023). L’auteur observe : « Le Liban n’a pas toujours montré un front uni derrière l’équipe ou les personnes mandatées pour cette négociation » (p. 254).

Ce qui se dégage enfin de l’ouvrage, c’est le courage. Courage de l’auteur à rapporter son expérience avec le souci de la vérité et de l’honnêteté intellectuelle. Quelles leçons pour l’avenir ?

Les Libanais vont-ils continuer à marchander avec des problèmes de souveraineté ? L’auteur rapporte cette analyse constitutionnelle : pour dénoncer éventuellement l’accord sur les frontières maritimes, il faudrait, au départ, se référer à la souveraineté de l’État libanais lors de sa conclusion. Est-ce que l’État, au cours des négociations et de la conclusion de l’accord, est le détenteur exclusif des quatre attributs régaliens (rex, regis, roi) de l’État, dont le monopole de la force organisée (une armée et non deux armées) ainsi que le monopole des rapports diplomatiques ?

Antoine MESSARRA

Ancien membre du Conseil constitutionnel, 2009-2019

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L’ouvrage de Michel Ghazal, à contenu multiple et interdisciplinaire, est une investigation juridique sur le droit maritime international, une étude de cas au jour le jour sur les processus de négociation et de médiation, et une analyse politique des plus pertinentes sur les rapports de force et les capacités de négociation dans un État qui ne jouit pas de sa pleine...

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