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Le Louvre, témoin des mondialisations

Le Louvre, témoin des mondialisations

D.R.

Fantômes du Louvre. Les Musées disparus du XIXe siècle de Pierre Singaravélou est issu de cinq conférences faites au Louvre portant sur l’existence de « musées » – on dirait aujourd’hui « départements » – qui ont existé au XIXe siècle et qui ont disparu depuis, généralement au profit de musées plus spécialisés.

La vision commune est de voir le Louvre consacré aux antiquités gréco-romaines avec ensuite l’adjonction des antiquités égyptiennes et orientales, et des peintures européennes jusqu’au milieu du XIXe siècle. Les autres collections se trouvent ainsi rabaissées à un niveau intérieur. Il est vrai que ce parcours Égypte, Orient, Grèce, Rome, Europe correspondait à ce que la fin du XVIIIe siècle définissait comme le trajet des « sciences et des arts » et que le siècle suivant appelait « l’histoire de la civilisation ». Les « arts de l’islam » ont été d’abord classés dans les objets avant de passer aux « antiquités orientales ». Depuis 2012, ils ont été promus au rang de département à part entière.

L’auteur part des controverses sur les objets dits « ethnographiques », redéfinis ensuite comme « arts premiers ». Tout au long du XXe siècle, différentes personnalités ont demandé leur entrée au Louvre. En 1850, un « musée ethnographique » a bien été inauguré au Louvre : 2 760 pièces venues des « peuples sauvages » de plusieurs continents l’ont composé. Au début du XXe siècle, cette collection sera dispersée au profit des Antiquités nationales de Saint Germain en Laye, puis du Musée ethnographique du Trocadéro qui se transformera en Musée de l’Homme en 1937. Certaines pièces iront finalement au musée du Quai Branly.

Lié à l’expansion coloniale, le Louvre a aussi abrité un « musée de la marine » à partir de 1827. Il a eu un grand succès public, en particulier en raison des maquettes de vaisseaux. Sa présence a été très critiquée par les conservateurs des Antiques et des Beaux-arts. Finalement il est transféré en 1937 au palais de Chaillot. Il vient tout juste de rouvrir après une belle rénovation.

L’archéologie française s’est nourrie d’acquisitions faites dans un contexte colonial, notamment en Afrique du Nord. Ainsi a été constitué un « musée algérien » en 1847, ce qui a provoqué les protestations des Français d’Algérie. Il sera finalement fermé en 1895, les pièces étant transférées aux Antiquités grecques et romaines.

En 1850 est inauguré un « musée mexicain » à partir d’achat de collections privées. Il s’agit d’art précolombien. Il suscite l’hostilité des conservateurs qui obtiendront son transfert au musée ethnographique du Trocadéro. Il y aura un projet de « musée indochinois » avec la découverte des « antiquités khmères ». Les pièces iront finalement au Trocadéro en 1884.

Plus proche de nous est l’histoire de la collection de peintures espagnoles rassemblée par le roi Louis-Philippe dans des circonstances un peu douteuses. Elle a été exposée au Louvre à partir de 1838. Elle est très hétérogène avec des attributions incertaines. Après la chute de la monarchie, elle a été vendue aux enchères à Londres en 1853. L’exposition n’a donc duré qu’une dizaine d’années et a servi à faire émerger l’idée d’« École espagnole ».

Depuis longtemps, les arts chinois et japonais étaient présents et le Louvre a d’abord fait l’acquisition de collections privées. Le sac du Palais d’Été en 1860 a conduit à une arrivée massive d’objets asiatiques. Les pièces du Louvre quittent le musée de la Marine pour rejoindre les objets d’art. Un musée chinois est créé en 1850. La « salle japonaise » participe à l’essor du japonisme en France. Les pièces sont en partie dispersées dans différents musées dans la première moitié du XXe, avant d’être pour la plus grande part rassemblées au musée Guimet à partir de 1945.

L’auteur s’intéresse aussi aux réactions des visiteurs orientaux devant les différents musées du Louvre.

Ce livre montre que ces musées fantômes nous offrent une autre histoire du Louvre, « musée microcosmique qui a eu l’ambition d’accueillir le monde entier en ses murs, tel un laboratoire de réflexion sur la mondialisation des arts ». Il se lit avec un très grand intérêt, offrant beaucoup de réflexions sur l’évolution des sensibilités artistiques que permet l’histoire des musées et des collections d’objets d’art, ne serait-ce que dans l’opposition entre l’ethnographique et l’artistique.

C’est une nouvelle et importante contribution de Pierre Singaravélou à l’histoire des objets et de leurs circulations dans les mondialisations successives. Il montre une nouvelle fois qu’il est l’un des plus importants historiens de sa génération.

Fantômes du Louvre. Les Musées disparus du XIXe siècle de Pierre Singaravélou, Louvre, 2023, 144 p.

Fantômes du Louvre. Les Musées disparus du XIXe siècle de Pierre Singaravélou est issu de cinq conférences faites au Louvre portant sur l’existence de « musées » – on dirait aujourd’hui « départements » – qui ont existé au XIXe siècle et qui ont disparu depuis, généralement au profit de musées plus spécialisés.La vision commune est de voir le Louvre...

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