Le marathon suédois pour intégrer l’OTAN risque de se compliquer davantage. Alors que la Turquie entretient le flou sur sa volonté de lever son veto et permettre à Stockholm de rejoindre l’alliance transatlantique, malgré les pressions occidentales, un dernier rebondissement vient de mettre en lumière une possible ingérence russe dans le dossier.
Selon des informations de la chaîne de radiotélévision publique finlandaise Yle, dévoilées le 4 décembre, Moscou aurait incité à l’organisation de manifestations antiturques et anti-islam dans toute l’Europe, notamment en Suède et en Finlande, deux pays qui ont candidaté à l’OTAN, précipités en cela par l’invasion russe en Ukraine.
Moscou voit en effet d’un mauvais œil l’élargissement jusqu’à ses frontières de l’alliance occidentale, cible répétée de ses campagnes de propagande, et sa possible interférence pourrait traduire une volonté de saper les avancées en ce sens. Ces révélations, qui s’appuient sur des documents confidentiels des services de renseignements russes, ont été initialement divulguées par le Dossier Center, un centre de journalisme d’investigation russe lié à l’opposition.
Si Ankara a approuvé le 30 mars dernier l’adhésion de la Finlande au traité transatlantique, celle de la Suède est loin d’être acquise, le président Recep Tayyip Erdogan pointant du doigt la soi-disant complaisance du gouvernement suédois avec des groupes de militants kurdes, notamment du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), classé terroriste par la Turquie, l’Union européenne et les États-Unis. Le président turc avait annoncé lever son veto à l’issue du sommet annuel de l’OTAN à Vilnius en juillet, mais sa ratification officielle, qui dépend du Parlement, ne semble pas encore mise sérieusement à l’ordre du jour.
Parmi les points de crispation, Ankara citait également les nombreuses protestations dans les pays nordiques au début de 2023, notamment les corans brûlés et piétinés qui ont provoqué une véritable indignation populaire en Turquie, suivie d’une brouille diplomatique entre Ankara et Stockholm. Rien n’indique cependant que le plan cité dans le rapport secret ait été mis en application dans son entièreté. Selon les informations connues jusqu’ici, le projet prévoyait « d’attiser encore cette tension » liée à la recrudescence d’actes islamophobes, notamment en Suède.
Se moquer d’Erdogan
Un cas semble aller dans ce sens : Rasmus Paludan, militant d’extrême droite dano-suédois qui avait brûlé un livre sacré près de l’ambassade de Turquie à Stockholm, aurait noué des liens avec Chang Frick, journaliste de la chaîne de télévision pro-Kremlin Russia Today, qui aurait financé le permis de manifester de Paludan la veille de l’autodafé, selon Dossier Center. Une participation confirmée par l’intéressé, qui nie toutefois toute implication dans l’incitation à brûler le livre religieux.
Par ailleurs, la note des renseignements aurait explicitement encouragé la tenue de manifestations se moquant de Recep Tayyip Erdogan dans de grandes villes européennes. « L’une des méthodes mentionnées dans le document consiste à inscrire le plus grand nombre possible de graffitis muraux contre l’islam et Erdogan dans des endroits bien connus », précise-t-il, prévoyant également un relais massif de ces images sur les réseaux sociaux. Ce projet aurait abouti notamment lors de manifestations, en mars à Paris contre l’islam et la Turquie, considérées comme des « opérations achevées » dans les documents divulgués.
Cette méthode est familière pour le Kremlin. En mai, le quotidien français Le Monde révélait comment Moscou orchestrait des mises en scène de protestations contre l’Ukraine et l’OTAN à Paris, Bruxelles ou La Haye à travers des images diffusées en masse sur les réseaux sociaux.
Selon le média Middle East Eye, des sources officielles turques auraient en tout cas confié ne pas être surprises par les suspicions qui pèsent sur Moscou quant à ses rapports avec certaines manifestations en Europe. Mais dans le dossier suédo-turc, il est impossible pour l’heure de savoir quels effets ces révélations auront sur l’aboutissement ou non du processus d’intégration à l’OTAN, alors que les Occidentaux s’impatientent. Mercredi, M. Erdogan a formellement lié la ratification du Parlement à l’obtention d’avions de chasse américains F-16, dont la vente est jusqu’à ce jour bloquée par Washington.
commentaires (3)
Oui, peut-être. Sans doute. Votre article utilise prudemment le conditionnel. Tout est possible. Après tout, cette méthode a été fréquemment utilisée par l’empire britannique… les russes ne sont que des enfants de chœur comparés aux anglais…
Esber Arwad
15 h 19, le 08 décembre 2023