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Idées - Commentaire

Nettoyage ethnique : Israël est-il prêt à s’assumer en État paria ?

Nettoyage ethnique : Israël est-il prêt à s’assumer en État paria ?

Les Palestiniens qui s’étaient réfugiés dans des abris temporaires retournent chez eux dans l’est de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, pendant les premières heures d’une trêve de quatre jours dans les batailles entre Israël et les militants du Hamas, le 24 novembre. Mahmud Hams / AFP

Le 7 octobre représente beaucoup de choses pour Israël, mais surtout la confirmation que les ambitions de ses dirigeants actuels sont dans une impasse. L’attaque du Hamas ayant démontré le caractère illusoire d’une paix avec ses voisins arabes sans horizon politique pour ses Palestiniens subjugués, méprisés et humiliés en permanence, les Israéliens se rendront vite compte qu’il ne leur reste véritablement que deux choix pour en sortir : soit conclure un accord de paix durable, soit trouver un moyen de transférer de force les Palestiniens vers les pays voisins.

Si la paix est la meilleure solution, les Israéliens semblent cependant plus susceptibles de préférer son alternative : le nettoyage ethnique. L’ensemble du spectre politique israélien apparaît convaincu que le 7 octobre a montré que la coexistence entre Juifs et Palestiniens était impossible et que la seule solution qui reste est de se débarrasser du plus grand nombre d’entre eux – le Premier ministre Benjamin Netanyahu allant même à demander à ses homologues européens de faire pression sur l’Égypte pour accueillir ceux qui seraient repoussés dans le Sinaï.

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La notion de « transfert » des Arabes hors de Palestine a toujours été présente dans le débat israélien et constituait une pièce maîtresse de la pensée sioniste, comme l’a montré l’historien palestinien Nur Masalha dans un ouvrage de référence (Expulsion of the Palestinians: The Concept of « Transfer » in Zionist Political Thought, 1882-1948, ‎ IPS, 1992). Les données démographiques d’aujourd’hui ne font que rendre plus aiguës cette perception.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) définit le nettoyage ethnique comme « une politique délibérée d’un groupe ethnique ou religieux visant à éliminer, par des moyens violents et inspirant la terreur, la population civile d’un autre groupe ethnique ou religieux de certaines zones géographiques ». Or, fin octobre, le site Mekomit révélait ce que les autorités de Tel-Aviv ont présenté comme un « document conceptuel » du ministère du Renseignement israélien. Ce document propose notamment qu’Israël « évacue la population de Gaza vers le Sinaï », « crée une zone neutre de plusieurs kilomètres à l’intérieur de l’Égypte et n’autorise pas la population à reprendre ses activités ou sa résidence près de la frontière ». Si l’on en croit la définition du CICR, ces propositions dévoilent sans équivoque les étapes d’un projet de nettoyage ethnique des Palestiniens vivant dans l’enclave.

Approche « soft »

Face à la levée de boucliers suscitée par cette fuite, certains hommes politiques israéliens ont tenté une autre approche. Deux d’entre eux, Danny Danon du Likoud et Ram Ben-Barak du parti Yesh Atid, ont publié une tribune dans le Wall Street Journal dans laquelle ils appellent les pays du monde entier à accueillir ce qu’ils désignent comme « un nombre limité de familles gazaouies qui ont exprimé le désir de se réinstaller ». Étant donné qu’Israël a détruit de grandes parties de la ville, les rendant inhabitables, ce qu’ils ont choisi de présenter comme un plan humanitaire pour un nombre limité de Palestiniens finirait plus probablement par séduire un nombre bien plus important de déplacés forcés.

Il n’est pas surprenant que cette tactique de nettoyage ethnique « soft » ait été approuvée par les éléments les plus extrémistes de l’« establishment » politique israélien, dont Bezalel Smotrich, le chef du Parti sioniste religieux. Ce dernier avait lui-même présenté un « plan décisif » en 2017, dans lequel il appelait à une expansion massive des colonies dans les territoires occupés, de sorte que « le rêve arabe d’un État en Judée et en Samarie ne soit plus viable ». Deux possibilités s’offriraient alors aux Palestiniens, « renoncer à leurs aspirations nationales (…) et vivre en tant qu’individus dans l’État juif » ou recevoir « une aide pour émigrer vers l’un des nombreux pays où les Arabes réalisent leurs ambitions nationales ou vers n’importe quelle autre destination dans le monde ».

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Cependant, en supposant que des Palestiniens optent pour le premier choix, qu’est-ce qui les attend réellement ? Si l’on se fie au passé, ils seront très probablement condamnés à accepter un statut secondaire permanent dans le cadre d’un système juridique qui traite inégalement les Juifs et les Palestiniens, ce qui est la définition de l’apartheid. Si dire cela constitue apparemment un exemple d’antisémitisme – selon le responsable de la politique étrangère de l’Union européenne Josep Borrell, qui a adopté la définition controversée du terme par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste –, un nombre croissant d’Israéliens semblent pourtant partager cette opinion. Dans un rapport publié en mars 2023, le Forum des professeurs de droit israéliens pour la démocratie pointe du doigt par exemple le fait que l’administration civile de la Cisjordanie occupée ait été placée – par le biais d’un accord de partage du pouvoir gouvernemental – sous la tutelle du ministre délégué à la Défense Belazel Smotrich. Il s’agit d’une rupture avec le passé, lorsque la Cisjordanie était gérée par l’armée occupante et non par le gouvernement israélien. Selon ce groupe de juristes, cela a pour conséquence d’approfondir « les différences (juridiques) qui existent déjà entre les Israéliens et les Palestiniens résidant en Cisjordanie (…) et intensifie la discrimination entre ces populations, (ce) qui valide les affirmations selon lesquelles Israël pratique l’apartheid », notent-ils. Une conclusion partagée par d’autres observateurs, dont Amnesty International, Human Rights Watch et le rapporteur spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés depuis 1967.

Leçons

Gaza a enseigné aux Israéliens plusieurs leçons sur la manière de traiter la population palestinienne en son sein. Premièrement, lorsque Israël est perçu comme une victime, la communauté internationale n’hésite pas à l’autoriser à violer le droit international et perpétrer des crimes de guerre. Deuxièmement, les actions humanitaires peuvent facilement servir de camouflage pour de plus sombres objectifs : si Le Caire a rejeté la mise en place d’un couloir humanitaire vers le Sinaï, c’est parce qu’il savait que cela aurait potentiellement donné à Israël l’occasion de fermer la porte et d’empêcher le retour des réfugiés. Troisièmement, le 7 octobre a été perçu par de nombreux Israéliens comme une menace existentielle pour leur État (ce que ses ennemis n’ont jamais nié), ce qui les a rendus plus déterminés à traiter la présence des Palestiniens par des mesures encore plus radicales.

Le glissement à droite de l’électorat israélien, l’extrémisme du gouvernement Netanyahou et la facilitation par les États-Unis de leurs politiques les plus controversées ont conduit les Israéliens dans un mur. En refusant d’envisager un État palestinien, en sapant l’Autorité palestinienne, en soutenant les activités illégales des colons juifs dans les territoires occupés, en asphyxiant Gaza, en poussant les Palestiniens dans des enclaves de plus en plus petites, Israël est devenu un État dont l’objectif principal, semble-t-il, est de refuser leurs droits aux millions de Palestiniens sous son contrôle. En d’autres termes, lorsqu’ils envisagent de s’engager sur la voie du nettoyage ethnique ou de conserver simplement un système d’apartheid, les Israéliens doivent se demander s’ils veulent consolider un statut d’État paria aux yeux de plus en plus de personnes dans le monde. La réponse est peut-être oui, mais quelle sécurité cela représente-t-il et pour combien de temps ? Les Israéliens doivent se sentir assiégés et nombre d’entre eux sont confrontés à une marée montante d’antisémitisme. Étant donné le nombre important de Juifs en Israël et à l’extérieur qui rejettent la logique impitoyable de l’occupation israélienne, l’antisémitisme n’est pas seulement une réaction odieuse à ce que fait Israël, c’est aussi une réaction particulièrement stupide. Alors qu’Israël se trouve devant deux alternatives cruciales, ceux qui, dans le monde arabe et ailleurs, veulent la paix doivent trouver une cause commune avec les Juifs du monde entier qui recherchent la même chose.

Lorsque les réactions au 7 octobre s’apaiseront enfin, beaucoup se rendront compte de ce qui devrait déjà être une évidence : Juifs et Arabes n’ont pas d’autre choix que de coexister, car aucun des deux peuples ne parviendra jamais à se débarrasser de l’autre, même si les efforts déployés pour y parvenir diminuent l’un et l’autre.

Ce texte est une traduction synthétique d’un article publié en anglais sur Diwan, le blog du Carnegie MEC.

Rédacteur en chef de Diwan.

Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: An Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).

Le 7 octobre représente beaucoup de choses pour Israël, mais surtout la confirmation que les ambitions de ses dirigeants actuels sont dans une impasse. L’attaque du Hamas ayant démontré le caractère illusoire d’une paix avec ses voisins arabes sans horizon politique pour ses Palestiniens subjugués, méprisés et humiliés en permanence, les Israéliens se rendront vite compte qu’il ne...
commentaires (9)

L'état d'Israël ne sera jamais en paix parce qu'il repose sur une injustice et sur le mensonge de la "terre sans peuple", qui était peuplée. Ils peuvent prétendre "éradiquer" qui ils veulent, personne n'est dupe et il ne font que semer le vent pour récolter la tempête. Et la mauvaise foi des pays qui les soutiennent est assourdissante

Politiquement incorrect(e)

20 h 02, le 26 novembre 2023

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Commentaires (9)

  • L'état d'Israël ne sera jamais en paix parce qu'il repose sur une injustice et sur le mensonge de la "terre sans peuple", qui était peuplée. Ils peuvent prétendre "éradiquer" qui ils veulent, personne n'est dupe et il ne font que semer le vent pour récolter la tempête. Et la mauvaise foi des pays qui les soutiennent est assourdissante

    Politiquement incorrect(e)

    20 h 02, le 26 novembre 2023

  • La plus grande erreur pour les sionistes , c'est d'avoir choisi la Palestine millénaire pour y ériger leur Etat usurpateur et d'avoir rejeté et méprisé d'autres options bien plus viables dans d'autres continents . Ils en payeront le prix ad vitam aeternam .

    Chucri Abboud

    16 h 19, le 26 novembre 2023

  • @LA LIBRE EXPRESSION. VERITES ! EQUITE ! : 140 mille israélites ont été expulsé d'Algérie avec un ratio de 1 à 3 pourquoi ne pas envoyer 500 mille Azaouis en Algérie le plus grand support des falestiniens, sont jeunes et bien éduqués. En 1967, les Pogrom à Tunis contre le quartier juif et la grande synagogue ont donné le signal de départ pour les 100 mille israélites de Tunisie. C'est cela un nettoyage ethnique ?

    Dorfler lazare

    13 h 08, le 26 novembre 2023

  • ou peut-être même avec le plan de Trump en 2019 qui sera bien meilleur que ce qu’ils vont subir . L’histoire hélas est impitoyable avec ceux qui n’ont pas de vision ou de pensée stratégique, Les arabes ont déjà compris que les jeux étaient faits d’où leur refus de perdre des ressources sur cette cause qui ne sera pas résolue. Objectivement les Palestiniens n’ont plus aucun allié à part l’Iran qui les utilise comme cher à canon pour embêter l’occident, sinon comment expliquer rationnellement la folie ou je dirai la bêtise du 7 Octobre Fin

    Liban Libre

    12 h 39, le 26 novembre 2023

  • Le problème c’est qu’ils se comportant comme s’ils avaient gagné toutes ces guerres et le monde leur a donné la fausse impression que le temps joue pour eux et qu’il ne faut rien compromettre sur des droits qui n’existent que sur le papier, ceci et leur propre myopie a en fait joué contre leur intérêt, Israël a eu tout le tempos de changer la démographie en Cisjordanie et a ce point aucun gouvernement de gauche ou de droite ne peut ramener les colons de Cisjordanie, Par manque de vision stratégique les Palestiniens ont laissé passer leur dernière chance en 2000 2ieme partie

    Liban Libre

    12 h 39, le 26 novembre 2023

  • Tour ce que dit cet article est vrai, et je le sais par des gens résidants sur place. La politique ne se décide ni par des sentiments ni par des droits. Les palestiniens ont hélas pour eux raté plusieurs occasions d’avoir un état viable que ce soit en 1967,1973,en 1993 ou en 2000 avec à chaque fois de conditions moins bonnes dues a leur état d’éternels vaincus . .. 1ere partie

    Liban Libre

    12 h 38, le 26 novembre 2023

  • - NETTOYAGE ETHNIQUE ! PAS D,AUJOURD,HUI. - UNE PRATIQUE DES USURPATEURS, - HIER, LES PEAUX-ROUGES ANEANTIS, - ET PUIS LES CHRETIENS DE L,ASIE MINEURE, - PUIS VINT LA SHOAH DES JUIFS DE L,EUROPE. - D,AUTRES PEUPLES ONT EUT LE MEME SORT. - ICI, CE QUI FRAPPE MEME L,OEIL MYOPE, - C,EST L,IDENTITE DE QUI FONT LE TORT. - VICTIMES D,UN TERRIBLE GENOCIDE, - ILS S,EMPARERENT DES TERRES D,AUTRUI. - A LEUR TOUR UN HORRIBLE GENOCIDE, - ILS COMMETTENT ENCORE SANS MERCI. - UN SECOND NUREMBERG DEVRAIT S,OUVRIR, - ET JUGER CES NAZIS SANS COUP FERIR.

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    12 h 00, le 26 novembre 2023

  • Il vaut mieux être en bon termes avec ses voisins les plus proches ET avec ceux de sa maison.. que de se mettre à dos ses voisins ET avoir de bonnes relations avec une personne basée de l’autre côté de la planète ( USA. Par ex). Or la politique Israélienne des dernières décennies…contrairement aux apparences … elle s’est mis à dos tous ses voisins… les citoyens arabes. Israël est de plus en plus isolée ( des populations voisines) et même de nombreux pays du monde qui revoient leurs positions politiques quant à cette cause palestinienne qui s’avère encore présente.

    LE FRANCOPHONE

    02 h 51, le 26 novembre 2023

  • Il y aura encore plus d’antisemitisme silencieux

    Eleni Caridopoulou

    20 h 01, le 25 novembre 2023

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