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Nos Lecteurs ont la Parole

La psychologie historique au chevet du Liban : réconcilier géographie et histoire du Liban et des Libanais

On peut résumer les plus graves problèmes de psychologie politique des Libanais, qui se traduisent par des palabres et des comportements dans la vie publique, par l’exigence de concilier, enfin, la géographie de l’État (sic) du Grand Liban, proclamé le 1er septembre 1920, et ses 10 452 km2, avec toute l’histoire autrefois fragmentée du Liban en émirats, régions et provinces durant toute la période antérieure à 1920.

Il y a des Libanais qui vivent dans l’inconscient collectif le Petit Liban imaginaire d’autrefois, avec le slogan : « Bienheureux celui qui a un bercail de chèvres au Mont-Liban ! » Cet inconscient est exploité par des politicards, des imposteurs, des délinquants politiques et des démagogues pour mobiliser une population et une communauté bernées. D’où, à différentes périodes, des appels à une fédération territoriale pratiquement expérimentée et impossible ou à une décentralisation équivoque qui, dans cet inconscient collectif, camoufle des arrière-pensées autonomistes non moins impossibles.

Le problème est commun à nombre de sociétés qui étaient autrefois dissociées en émirats, provinces, cantons autonomes… et qui se sont unifiées à travers un processus historique d’édification nationale contractuelle, par ce qu’on appelle au Liban « pacte », « tanzimât Chakib effendi », « accord de Taëf »… et, dans d’autres pays, dont la Suisse, l’Autriche, les Pays-Bas, l’Irlande du Nord… « alliance », « covenant », « junktim », « Friday Agreement »…

Des politicards, imposteurs et démagogues d’une communauté, surtout depuis 2016, exploitent l’imaginaire collectif d’une population qui, dans sa psychologie historique, se perçoit exclue et marginalisée par rapport à l’émergence de l’État du Grand Liban !

La remédiation à l’imaginaire collectif quant à la géographie des 10 452 km2 et l’histoire de tout le Liban et des Libanais n’est pas constitutionnelle, mais culturelle, pédagogique, psychanalytique et mentale.

L’imaginaire de l’espace fragmenté durant les années de guerres multinationales au Liban en 1975-1990, avec des démarcations et des barricades, autrefois profondément décrites par Salim Nasr, constitue l’expression objective d’une psychanalyse politique morbide et condamnée à l’échec.

Nombre de sociétés continuent à vivre l’imaginaire collectif d’un espace d’autrefois ! Les conséquences sont néfastes pour la stabilité et la légitimité de l’État. Un ouvrage récent le décrit en détail à propos d’États européens (Béatrice von Hirschausen, Les provinces du temps : frontières fantômes et expériences de l’histoire, CNRS éditions, 2023).

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Nombre d’historiens versent dans un historicisme idéologique quand ils ne tiennent pas compte des rapports conflictuels, harmonieux ou équivoques, entre « espace » et « identité culturelle ». Une historiographie scientifique, surtout pour nombre de sociétés plurielles, doit renouer « avec une compréhension générale du rapport espace/histoire/culture » (Von Hirschhausen, p. 245). Au Liban on a construit un « géorécit » segmenté du Mont-Liban et on continue à écrire ce géorécit particulier.

Du géorécit du Mont-Liban, pôle fondateur institutionnel de l’État du Grand Liban de 1920, en vogue dans l’historiographie du Liban et de l’enseignement de l’histoire, on ne détermine pas clairement la géographie ni son extension ! Il camoufle une idéologie identitaire exploitée dans la mobilisation politique. C’est dire que l’État (sic) du Grand Liban n’a pas été, après le 1er septembre 1920, déculturé dans la conscience collective des Libanais et de tout le Liban.

Preuve en est que dans des manuels scolaires d’histoire on confond autonomie (idâra zâtiyya) et indépendance (istiklâl) avec l’expression « l’indépendance du Liban au cours des siècles » ! C’est ainsi qu’État, indépendance de 1943 et souveraineté sont banalisés et manipulés jusqu’à nos jours !

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Bachir Gemayel résume par son expérience, son combat et sa vision du Liban, surtout lors de son élection comme chef de l’État (art. 49 de la Constitution), toute l’expérience d’une jeunesse libanaise. Il faut repenser l’expérience de Bachir Gemayel à la lumière de l’expérience cumulée et actuelle des Libanais, depuis l’accord du Caire de 1969 et un accord du Caire revisité du 6 février 2006.

Bachir Gemayel est parmi les jeunes quand il s’est engagé dans la résistance nationale libanaise. Il a tracé son cheminement contre des traditions de compromission sur la souveraineté du Liban et contre la perception du pacte national fondateur de 1943 à un arrangement interélite ! Il avait dit dans son expérience de jeunesse : « Le pacte est mort et enterré... » Il s’agit ici de tout arrangement compromissoire et non des valeurs fondatrices du Liban.

Son expérience douloureuse et exaltante jusqu’à son élection par le Parlement libanais en tant que chef de l’État débouche sur sa proclamation tonitruante. « Liban des 10 452 km2 » et, aussi, le retour renforcé au pacte national de 1943 en tant que contrat social fondateur qui réconcilie toute la géographie de la « proclamation de l’État du Grand Liban » du 1er septembre 1920 avec « toute l’histoire », intégrale et intégrée, du Liban et de tous les Libanais.

Contrat social fondateur ? Il le résume, le lendemain même de son élection à la présidence de la République, avec le retour au sens même de République, chose publique (res publica), et des années d’agissements miliciens : « À partir de demain, nous allons appliquer la loi ! » Le lendemain, aucun fonctionnaire défaillant ne s’est absenté de son travail !

Dans des palabres sur l’élection présidentielle bloquée, Edmond Rizk a pleinement raison de dire : « Depuis l’élection présidentielle de Bachir Gemayel, il n’y a pas eu véritablement de chef d’État au Liban ! » Il faut admirer la détermination de chefs d’État libanais, après l’attentat terroriste contre Bachir Gemayel, de René Moawad… dans une situation persistante d’occupation.

Il faut donc repenser la trajectoire de Bachir Gemayel et les valeurs fondatrices du Liban, hors de polémiques conflictuelles du passé, avec une « vision prospective et opérationnelle » en faveur d’une « nouvelle jeunesse libanaise » assoiffée de confiance, enfin, dans le Liban des 10 452 km2 et de l’histoire commune et partagée de « tout le Liban », histoire intégrale et intégrée de tous les Libanais.

Mon ouvrage État et vivre-

ensemble au Liban : culture, mémoire et pédagogie (publications de l’USJ et préfaces du recteur de l’USJ et du ministre de l’Éducation nationale, 2023) sera suivi d’un programme historiographique, culturel et pédagogique sur l’acculturation de l’État (sic) du Grand Liban, en conformité parfaite avec le préambule de la Constitution libanaise et le « Cadre général de l’enseignement préuniversitaire » qui a été proclamé au Grand Sérail en décembre 2022.

Antoine MESSARRA

Chaire Unesco – USJ

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On peut résumer les plus graves problèmes de psychologie politique des Libanais, qui se traduisent par des palabres et des comportements dans la vie publique, par l’exigence de concilier, enfin, la géographie de l’État (sic) du Grand Liban, proclamé le 1er septembre 1920, et ses 10 452 km2, avec toute l’histoire autrefois fragmentée du Liban en émirats, régions et...

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Maintenant il y a deux Liban , malheureusement.

Eleni Caridopoulou

17 h 13, le 22 novembre 2023

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Commentaires (1)

  • Maintenant il y a deux Liban , malheureusement.

    Eleni Caridopoulou

    17 h 13, le 22 novembre 2023

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