Le retour de l’« honest broker » ? Tout en continuant d’appuyer l’offensive israélienne sur Gaza, l’administration Biden est en train de poser les jalons de l’après-guerre en mettant une certaine pression sur son allié. Samedi, le président démocrate a publiquement souligné pour la première fois que Washington était prêt à imposer des sanctions aux colons israéliens impliqués dans des attaques contre les Palestiniens en Cisjordanie. Soit la mesure punitive la plus importante prise par l’administration Biden à l’encontre d’Israël depuis son arrivée à la Maison-Blanche en janvier 2021. « J’ai insisté auprès des dirigeants israéliens sur le fait que la violence extrémiste contre les Palestiniens en Cisjordanie doit cesser et que les auteurs de cette violence doivent être tenus pour responsables, a déclaré Joe Biden dans une tribune publiée par le Washington Post. Les États-Unis sont prêts à prendre leurs propres mesures, notamment en interdisant les visas aux extrémistes qui attaquent les civils en Cisjordanie. » Depuis le 7 octobre, huit Palestiniens, dont un enfant, ont été tués par des colons israéliens dans les territoires occupés, portant le total des victimes à 205 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
La mesure annoncée par Joe Biden empêcherait les colons israéliens de bénéficier de l’intégration de leur pays au programme américain d’exemption de visa. Approuvée fin septembre par Washington et entrée en vigueur à la mi-octobre – soit plus d’un mois avant le délai prévu en raison de la triple incursion du Hamas –, cette décision a été accordée en échange de l’assouplissement israélien des restrictions de circulation pour les Américains d’origine palestinienne vivant à Gaza et en Cisjordanie. « Une grande partie des fonds destinés à la construction des colonies en Cisjordanie est financée par des organisations américaines et de nombreux colons sont des citoyens américains, avance toutefois Nicholas A. Heras, chercheur au Newlines Institute for Strategy and Policy. Pour l’instant, l’administration démocrate se concentrera sur les interdictions de visa et les sanctions potentielles à l’encontre d’hommes politiques israéliens et des colons qui n’ont pas la nationalité américaine. »
« De l’huile sur le feu »
Soutien inébranlable d’Israël, Washington s’est fermement tenu aux côtés de son plus proche allié régional depuis le 7 octobre, accroissant son aide militaire et refusant d’appeler à un cessez-le-feu. Si les États-Unis ne remettent pas en cause la nature de l’opération militaire visant à dissoudre le Hamas, l’administration Biden entend fixer des limites à l’État hébreu dans sa politique en Cisjordanie et ses plans pour le futur de Gaza. Il y a plus de deux semaines, les États-Unis ont ainsi autorisé Israël à acheter des milliers de fusils M16 à des sociétés de défense américaines seulement après avoir reçu l’assurance que ces armes n’iraient pas aux équipes d’intervention civiles dans les colonies juives de Cisjordanie, selon Axios. Dix jours plus tôt, lors d’un appel téléphonique avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, Joe Biden a exprimé en privé ses préoccupations concernant les violences commises par les colons, avant de déclarer publiquement le lendemain que ces attaques « jetaient de l’huile sur le feu ».
Des remontrances qui s’observent également sur le plan humanitaire. Selon deux responsables israélien et américain récemment cités par Axios, la colère est montée au cours des derniers jours à Washington face à l’engagement resté lettre morte de l’État hébreu à approuver la fourniture de carburant à Gaza sous blocus total. Face aux fortes pressions exercées par l’administration démocrate, le cabinet de guerre israélien a finalement approuvé jeudi un plan visant à autoriser l’entrée quotidienne de près de 60 000 litres de carburant par le poste-frontière de Rafah, une quantité jugée largement insuffisante par l’ONU. La veille, les Américains s’étaient contentés de s’abstenir lors du vote d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies – approuvée par 12 voix – appelant à « des pauses et des couloirs humanitaires étendus et urgents pendant un nombre de jours suffisant ». Un texte fustigé par Israël en raison de l’absence de dispositions condamnant les actes perpétrés par le Hamas le 7 octobre.
Une autorité palestinienne « revitalisée »
À travers ses déclarations, l’administration Biden entend montrer à quel point elle est déterminée à relancer la solution à deux États. Samedi, le président démocrate a également déclaré dans sa tribune que « dans notre quête de paix, Gaza et la Cisjordanie devraient être réunies au sein d’une structure de gouvernance unique, sous l’égide d’une Autorité palestinienne revitalisée, alors que nous travaillons tous à la mise en place d’une solution à deux États ». Un projet peu détaillé pour le moment et qui « dépendra de la réduction des colonies en Cisjordanie, car leur expansion sape la souveraineté palestinienne », estime Nicholas Heras. Et si Israël était jusqu’à présent éloigné du positionnement américain, le pays semble avoir assoupli sa ligne – du moins sur le plan de la rhétorique – sous la pression de son allié. Tandis que Benjamin Netanyahu déclarait le 6 novembre qu’Israël aurait la « responsabilité globale de la sécurité » de l’enclave palestinienne pour une durée indéterminée, une fois que son opération contre le Hamas prendrait fin, le Premier ministre est apparu plus nuancé samedi. Si la solution à deux États est inconcevable pour l’État hébreu, le chef de l’exécutif a ouvert la voie à une possible gouvernance palestinienne par l’AP, mais pas « sous sa forme actuelle », comme il l’a déclaré en conférence de presse samedi, rejoignant ainsi l’exigence américaine d’une Autorité palestinienne « revitalisée ». Des propos qui pourraient s’inscrire dans la nécessité de trouver un accord sur la libération des otages, auquel subsistent quelques obstacles « mineurs », selon des déclarations de Mohammad ben Abderrahmane al-Thani, le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar, en présence du secrétaire d’État américain Anthony Blinken dimanche.
Sur la corde raide
Côté américain, le recul nuancé du soutien infaillible à Israël semble répondre à des préoccupations internes marquées par des critiques de plus en plus bruyantes de l’opinion publique et du camp démocrate vis-à-vis du blanc-seing accordé par Washington à l’opération militaire israélienne. Bien qu’inédites, les mesures annoncées par Joe Biden semblent engager les États-Unis à moindre coût, alors que Washington n’est toujours pas mobilisé en faveur d’un cessez-le-feu immédiat. « L’administration Biden marche sur la corde raide en ce qui concerne sa politique à l’égard d’Israël et de la Palestine : elle veut soutenir Israël autant que possible dans la guerre tout en réduisant les critiques qu’elle reçoit de la part du Parti démocrate », affirme Nicholas A. Heras.
À moins d’un an de l’élection présidentielle américaine, le leader démocrate est dans une position périlleuse. Au sein de sa famille politique, la ligne tenue par son administration est de plus en plus isolée. En l’espace d’un mois, la cote de popularité du président auprès des démocrates a chuté à 75 %, soit une baisse record de 11 %, selon un sondage Gallup réalisé entre le 2 et le 23 octobre. Dans les rangs de son corps diplomatique, les oppositions ont du mal à rester contenues au sein des administrations, notamment au département d’État d’où sont remontées des centaines de notes alertant du risque de rupture des relations américano-arabes. Dans ce contexte, la défiance des pays arabes vis-à-vis des États-Unis pourrait laisser un vide favorable à l’émergence de nouveaux acteurs apparaissant comme plus fiables sur le dossier. Lundi, des ministres d’États régionaux se rendront en Chine dans le cadre d’une tournée visant à mettre fin à la guerre à Gaza et comprenant l’Arabie saoudite, partenaire privilégié des États-Unis dans la région. Quant à l’opinion publique américaine, elle comprend de moins en moins la position de l’administration Biden, la population réclamant pour deux tiers l’arrêt des combats tandis que la communauté musulmane du pays, traditionnellement fidèle au camp démocrate, multiplie les signaux d’alarme contre l’émotion tardive de la Maison-Blanche face aux massacres de civils palestiniens.
commentaires (7)
Allez, commencez à démanteler les colonies sionistes en Cisjordanie, à condamner les assassinats des palestiniens par les colons, libérez Marwan Barghouti et tous les jeunes palestiniens, les femmes, les vieillards, les malades des prisons israéliennes et d’ailleurs et que la France libère Georges Ibrahim Abdallah, et que l’on parle enfin d’une véritable paix où seront exclus tous les extrémistes de tous bords.
Mohamed Melhem
06 h 17, le 22 décembre 2023