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L’État hachoir

La décision de partage de la Palestine par la création de l’État juif est une des erreurs les plus considérables de la politique contemporaine. D’une chose apparemment petite, les conséquences les plus surprenantes vont sortir. Et ce n’est pas offenser la raison que d’écrire que cette petite histoire contribuera à ébranler la terre dans ses fondements.

                                                                                                                                                                                                             (Michel Chiha, Le Jour du 5 décembre 1947)

La bande de Gaza coupée en deux en attendant le prochain épisode ? Pour surchargé de morts et de destructions qu’il soit, l’épouvantable tableau n’est en réalité que la dernière illustration, sur le terrain, d’une vocation israélienne immuablement fondée sur le découpage, le dépeçage, le charcutage.

La première victime en était cette portion de Palestine provisoirement rescapée du plan de partage de 1947 et puis de la Nakba, mais qu’Israël occupait militairement vingt ans plus tard. Par la suite, les accords d’Oslo accordaient aux Palestiniens un dérisoire bantoustan en Cisjordanie, le reste étant toutefois livré à une colonisation effrénée. À l’autre bout et sans la moindre liaison terrestre avec Ramallah restait le moignon de Gaza, qu’Ariel Sharon se décidait à faire évacuer en 2005. Plus payant en effet que le cloisonnement territorial s’avérait celui des cœurs, des esprits, de l’appartenance et de l’obédience : en favorisant ici l’émergence des islamistes, on affaiblissait d’autant, là-bas, l’Autorité palestinienne dominée par le Fateh.

On sait quelle terrible issue devait connaître, par un certain 7 octobre, le hasardeux pari. Les impardonnables atrocités commises ce jour-là par les infiltrés du Hamas ont certes fait se révulser une bonne partie de la planète. Mais la réaction non moins barbare de Benjamin Netanyahu, assénée à une tout autre échelle, a fini par bousculer l’équation de l’horreur. Après s’être évertué à diviser les Palestiniens, et sans probablement l’avoir cherché, Israël en est aujourd’hui à saucissonner une opinion publique mondiale naguère bien tolérante face à ses excès. Plus significatif que le clivage planétaire suscité par le martyre de Gaza est d’ailleurs celui observé à l’intérieur même des puissances occidentales qui, dès le fatidique 7 octobre, ont clamé leur soutien inconditionnel à l’État hébreu.

À tout seigneur tout honneur : l’Amérique, qui n’a jamais connu autant d’actes de haine, ni de manifestations propalestiniennes d’une telle ampleur, estime désormais que les choses vont décidément trop loin. Or si Joe Biden se borne à demander que soit protégé le principal hôpital de Gaza (et tous les autres alors ?), c’est son diplomate en chef qui s’est chargé de fixer des limites précises à l’offensive israélienne en interdisant explicitement toute réoccupation de ce secteur et tout déplacement forcé de sa population. Antony Blinken vient de faire encore mieux en admettant publiquement que la contestation va bon train dans son propre département, et en promettant qu’il en sera tenu compte à l’avenir.

Sans que l’on puisse pour autant parler de fronde, c’est un même débat sur la politique étrangère de la France, jugée dangereusement déséquilibrée, que révèle une note signée de plusieurs ambassadeurs et adressée au quai d’Orsay ainsi qu’à des hauts fonctionnaires de l’Élysée. Censée par ailleurs rassembler le pays, la légitime marche contre l’antisémitisme de dimanche dernier à Paris n’a fait au contraire qu’accentuer la fracture nationale, du moment qu’elle ignorait cet autre antisémitisme qu’est l’islamophobie. La veille même à Londres, c’est encore un déferlement populaire sans précédent en faveur de la Palestine qui avait pour imprévisible effet un spectaculaire remaniement du gouvernement de Sa Majesté : Rishi Sunak s’étant vu contraint d’éjecter sa ministre de l’Intérieur qui accusait la police de partialité pour les manifestants.

Les dégâts ne s’arrêtent pas là cependant pour Netanyahu. Par un juste retour de bâton, l’homme qui avait réussi à diaboliser les auteurs israéliens des accords d’Oslo se voit fortement contesté à son tour par ses concitoyens, même si prévaut pour le moment l’inviolable règle de l’union sacrée dans la guerre. Au sein de la diaspora en revanche, chaque jour plus nombreuses sont les courageuses voix qui s’élèvent pour condamner le forcené.

Périlleux outil, décidément, que le hachoir ; à vouloir trop en faire, le boucher de Gaza s’est déjà tranché plus d’un doigt.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

La décision de partage de la Palestine par la création de l’État juif est une des erreurs les plus considérables de la politique contemporaine. D’une chose apparemment petite, les conséquences les plus surprenantes vont sortir. Et ce n’est pas offenser la raison que d’écrire que cette petite histoire contribuera à ébranler la terre dans ses fondements....