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Campus - RELIGION

À l’USJ, une table ronde décrypte la résurgence du religieux et le rôle des réseaux sociaux

À l’heure où les pires atrocités sont commises en Terre sainte au nom de Dieu, que la crainte d’un embrasement au Moyen-Orient s’accentue et que des actes antisémites et islamophobes se multiplient un peu partout, la faculté des sciences religieuses à l’Université Saint-Joseph (USJ) relance son diplôme universitaire Religions et médias.

À l’USJ, une table ronde décrypte la résurgence du religieux et le rôle des réseaux sociaux

Modérée par Marguerite el-Asmar Bou Aoun, enseignante-chercheuse et coordinatrice des programmes à la faculté des sciences religieuses, la table ronde a réuni le père Salah Abou Jaoudé s.j., vice-recteur de l’USJ et doyen de la faculté des sciences religieuses, le journaliste et enseignant universitaire Yazbek Wehbé et notre consœur Roula Azar Douglas. Photo Claude Matta Eid

À l’occasion de la redynamisation du diplôme Religions et médias, une table ronde a été organisée le 25 octobre par le département des sciences des religions de la faculté des sciences religieuses de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (FSR) sur le thème « La résurgence du religieux et le rôle des réseaux sociaux : exploration des points de vue sociopolitique et médiatique au Liban ». Cette initiative avait pour mission de penser l’entrelacs des religions et des médias, et d’interroger en profondeur la montée du discours religieux fondamentaliste et le fanatisme au Liban suivant trois angles bien distincts : les dynamiques sociopolitiques, l’impact des médias, et le rôle des plateformes et réseaux sociaux dans la désinformation et la diffusion de nouvelles religieuses fallacieuses et trompeuses. Modérée par Marguerite el-Asmar Bou Aoun, enseignante-chercheuse et coordinatrice des programmes à la faculté des sciences religieuses, la table ronde a vu le père Salah Abou Jaoudé, vice-recteur de l’USJ et doyen de la faculté des sciences religieuses, prendre la parole en premier lieu avant de la céder au journaliste et enseignant universitaire Yazbek Wehbé et à notre consœur Roula Azar Douglas.Distinguant entre appartenance religieuse et appartenance communautaire, le père Salah Abou Jaoudé s.j. a pointé du doigt les fragilités du système sociopolitique libanais structuré dès son origine par le confessionnalisme. « Les confessions, a-t-il rappelé, étaient tout d’abord des communautés religieuses actives qui ont évolué pour devenir des groupes supraconfessionnels, dans le sens où elles s’attribuent toutes les fonctions possibles et pas seulement les pratiques rituelles. » Obstacle majeur à l’édification d’un État démocratique moderne, le confessionnalisme d’après lui s’est en effet confirmé au fil des ans au détriment d’une « véritable appartenance nationale transcommunautaire » fondée sur la démocratie et la citoyenneté, de sorte que le Libanais enfermé dans un cercle vicieux est jusqu’à présent incapable de penser et d’agir rationnellement et ne regarde plus les affaires publiques que selon le prisme de son appartenance confessionnelle.D’après Yazbek Wehbé, les réseaux sociaux, destinés à l’origine à connecter et à rapprocher les gens, se sont malheureusement transformés en des moyens de mobilisation et d’endoctrinement, en des plateformes où, au lieu de dialoguer et de débattre, les gens s’entre-tuent. Escalades et agressions verbales, insultes, menaces, incivilités, intimidation, diffamation, discours de haine, radicalisation et incitation à la violence… Tout y passe. « La religion est censée prôner l’amour, la rencontre, la tolérance et la paix », estime-t-il avant de préciser qu’au nom même de cette religion, certains, médias et individus, parfois par inculture, parti pris ou autre, sont en train d’exacerber les tensions et de susciter la haine à travers un discours confessionnel. Pointant du doigt cet aspect pernicieux des réseaux sociaux mais aussi l’absence de médias totalement indépendants, M. Wehbé a jugé impératif, pour endiguer la marée montante de ce phénomène toxique et destructeur, d’instaurer une accalmie, de consolider et renforcer le sentiment d’appartenance à la patrie, mais aussi de cultiver une culture de la paix et de la tolérance.Dans cet espace virtuel où chacun peut s’exprimer à tout moment et de toutes les manières possibles, les canulars, les infox, les messages fabriqués et volontairement trompeurs, les images truquées, les clichés exagérés et les « deepfakes » font des ravages C’est pourquoi notre collègue Roula Azar Douglas a pour sa part invité les usagers à la vigilance et à une manipulation prudente des médias sociaux, soulignant l’importance de ne pas se faire piéger par de fausses informations. Pour se prémunir contre les nouvelles fallacieuses, elle souligne la nécessité de vérifier les sources, de croiser les informations, de privilégier les médias reconnus, les journalistes et les experts identifiés, d’exercer son esprit critique et analytique, de s’informer sur les techniques de manipulation des utilisateurs et, surtout, de se cultiver et d’acquérir des connaissances sur les différentes religions. Face à la désinformation, cette chercheuse en information et communication a également insisté sur l’importance de la sensibilisation, de l’impartialité, de la précision et de la communication responsable. Chiffres à l’appui, elle a méthodiquement décortiqué et énuméré les facteurs tant externes qu’internes qui sous-tendent la rapidité de propagation de cette pratique et de son mode de transmission : appartenance partisane, suivisme aveugle, fanatisme, absence d’esprit critique, biais implicites, biais de confirmation, exposition répétitive, faible littéracie numérique, mais aussi algorithmes intelligemment conçus, chambres d’écho, fermes à clics ou encore la circulation circulaire de l’information. Une éducation aux médias et au numérique est, à ses yeux, plus qu’indispensable. Tout comme l’éducation aux religions.

La nécessité de sensibiliser les gens aux dangers des informations fallacieuses

Interrogé par L’OLJ en marge de cette rencontre, le père Salah Abou Jaoudé s.j. a expliqué que la décision de raviver et de moderniser le DU Religions et médias « provient tout d’abord de la nécessité de conscientiser les gens aux dangers des médias, aux principes moraux et éthiques de leur utilisation, mais aussi à la responsabilité personnelle et collective dans l’usage de ces moyens de communication qui, bien qu’indispensables, présentent un grand danger à l’individu, à la morale et à la paix civile ».S’adressant à tout un chacun, mais surtout à ceux et celles engagés dans des médias notamment religieux, ce diplôme vise à outiller et à former les professionnels et cadres, « invités à éviter les biais et à améliorer le traitement médiatique de l’information ayant un lien avec les religions ». Un traitement qui, de l’avis du père Abou Jaoudé, est plutôt « catastrophique et irresponsable », d’autant que « certains médias ne respectent aucun principe professionnel ou moral en transmettant les nouvelles ». Refusant néanmoins de « généraliser » puisqu’il existe toujours des médias, écrits ou audiovisuels, qui font preuve d’une grande responsabilité vis-à-vis du public, ce dernier a tenu à souligner le rôle capital que jouent les moyens de communication qui s’intéressent à cette question. « L’intérêt que certains médias accordent à ce sujet est très vital, estime-t-il. Ces derniers peuvent créer des plateformes qui permettent qu’une discussion sérieuse, responsable et rationnelle puisse vraiment avoir lieu, qu’il y ait un espace de dialogue et de débat, ou un espace pour une réflexion et une discussion publiques. Et c’est ce qui manque fort malheureusement. » « Au Liban, il y a des insultes publiques, des hypocrisies publiques, des hostilités publiques, mais jamais de discussion publique, parce qu’il n’y a pas de démocratie, et c’est ce qu’on essaye de créer à l’université », ajoute-t-il. N’existe-t-il pas une certaine connivence entre les médias libanais, les communautés religieuses et la classe politique ? Le manipulateur n’est-il pas à son tour manipulé ? « Oui et non », répond-il. « Il y a parfois une certaine complicité, je ne dirais pas non. Et cela se voit facilement dans les réactions qui sont produites, il y a donc une complicité bien réfléchie, un peu méthodologique, si je peux dire. En revanche, il y a aussi cette manière libanaise spontanée de réagir de façon confessionnelle immédiate à tout ce qui se passe, et cela peut être également transmis par les médias, parfois de bonne volonté et non de mauvaise foi. Il s’agit donc de notre manière de réfléchir », avance-t-il. Comment y remédier ? « Il n’y a que l’éducation, affirme le vice-recteur de l’USJ. Notre université remet constamment en question la manière dont elle forme les jeunes, ou la façon dont elle nourrit et fait naître un sentiment national sain. Il y a plusieurs initiatives qui ont été prises à cet égard et qui n’existaient pas par le passé, comme par exemple l’Académie de la citoyenneté ou encore la Journée de la démocratie... » Et d’ajouter : « Pour l’université, il y a maintenant un choix stratégique, celui de travailler pour une culture démocratique. Ce choix va en fait à l’encontre du confessionnalisme. On n’appelle pas à un refus catégorique ou à une révolte vis-à-vis du confessionnalisme, mais à une libération qui se fait par étapes, graduellement. »

Un diplôme pour apprendre à transmettre l’actualité religieuse de manière professionnelle

Dispensé en arabe et composé de 30 crédits distribués sur trois semestres, à raison de deux après-midi par semaine, le DU Religions et médias permettra aux candidats inscrits, selon Marguerite el-Asmar Bou Aoun, de transmettre l’actualité religieuse à travers les médias de manière professionnelle, d’analyser de façon critique les relations et les enjeux entre médias et religions, de résoudre des problèmes de communication de manière innovante et stratégique, mais surtout de pratiquer le journalisme de manière responsable au service des droits de l’homme. « Ça fait un an qu’on est en train de redynamiser le département des sciences religieuses, d’autant qu’on a de plus en plus conscience de l’importance d’approcher le fait religieux d’un point de vue scientifique et humain, et non seulement à travers le regard croyant, chrétien ou musulman », précise-t-elle. « Notre vision consiste à aborder le phénomène religieux par le biais des sciences humaines, de la psychologie, de la sociologie et de l’histoire à travers plusieurs approches, théorique, analytique et technique », ajoute-t-elle, soulignant au passage que l’objectif de ce diplôme est de répondre aux besoins des organisations religieuses chrétiennes, musulmanes ou autres qui, aujourd’hui, ont recours de plus en plus aux moyens de communication et souhaitent investir dans leur capital humain, d’une part, et, d’autre part, former les professionnels des médias et approfondir leur culture religieuse pour qu’ils ne déforment pas la mission et l’essence de toute religion, à savoir la paix et l’amour, et puissent la refléter et la transmettre correctement. Ces derniers seront ainsi amenés, entre autres, à identifier les concepts relatifs à la religion et utiliser à bon escient les différentes terminologies religieuses, analyser d’une manière critique la réalité sociopolitique libanaise, décrypter les discours religieux et politiques selon des critères scientifiques, reconnaître l’influence des systèmes religieux et médiatique sur le raisonnement et le comportement humain, reconnaître la diversité de la réalité libanaise et les valeurs communes entre les religions et les sectes, ou encore identifier le rôle stratégique de la communication et concevoir une politique médiatique appropriée pour les questions religieuses et tenir un discours respectueux de la diversité religieuse et de la déontologie des médias.

À noter que les cours débuteront en janvier prochain. Pour en savoir plus c'est ici.

À l’occasion de la redynamisation du diplôme Religions et médias, une table ronde a été organisée le 25 octobre par le département des sciences des religions de la faculté des sciences religieuses de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (FSR) sur le thème « La résurgence du religieux et le rôle des réseaux sociaux : exploration des points de vue sociopolitique et...
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