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Culture - RENCONTRE

Sandra Ghosn : l’absence de récit national au Liban possède une dimension… libératrice

Avec une actualité foisonnante et une créativité bouillonnante, Sandra Ghosn poursuit sa quête artistique et existentielle, à l’encre et au crayon graphite, en noir et blanc.

Sandra Ghosn : l’absence de récit national au Liban possède une dimension… libératrice

Diptyque (42 x 60 cm, crayon sur papier, 2022) réalisé par Sandra Ghosn. Avec l'aimable autorisation de l'artiste

De but en blanc, Sandra Ghosn, qui s’est installée en France en 2008, précise qu’elle se sent impuissante et terriblement « éprouvée par l’ampleur de la catastrophe humanitaire au Proche-Orient. Rien ne justifie d’attaquer des populations civiles, assène-t-elle. « Je lutterai toujours dans mon travail pour la non-violence et la libération des traumatismes de l’histoire, même si la réponse ici n’est pas artistique, mais politique. Les puissances occidentales et arabes devraient exiger un cessez-le-feu immédiat afin que la solution à 2 États puisse être entendue. Mon expérience personnelle de la guerre civile libanaise (sans commune mesure avec celle vécue par les citoyens en Israël-Palestine, où la question des territoires occupés crée un rapport de force asymétrique) m’oblige aujourd’hui à me rapprocher au plus près de la vérité, j’espère ainsi pouvoir cocréer des liens d’émotion pure avec l’autre, par le dessin, là où la guerre et la colonisation nous déshumanisent », martèle celle qui a découvert à son arrivée en France le travail de Daisuke Ichiba, dont l’influence a été déterminante sur son œuvre. « Son impressionnant travail à l’encre de Chine, découvert à la galerie Arsenic, m’a donné envie de dessiner à la plume métallique en m’affranchissant de la laborieuse étape du crayonné préalable», précise la dessinatrice.

Œuvre réalisée dans le cadre de Villa Bloch de Poitiers, 40 x 40 cm (sans cadre), encre de Chine sur papier, 2021 © ADAGP

En dehors de son parcours académique à l’ALBA à Beyrouth, puis à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) à Paris, elle explique avoir beaucoup évolué sur un plan expérimental au sein des collectifs d’artistes auxquels elle a participé, au Liban puis en France. « J’ai par la suite continué à publier dans des fanzines et à exposer avec des collectifs d’artistes. Je me souviens avec émotion de l’une de mes premières expositions collectives, à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), lorsque j’ai redécouvert mes dessins pour la première fois, articulés tel un corps autonome dans l’espace», évoque l’artiste, qui a participé en septembre dernier à la foire internationale d’art moderne et contemporain, dédiée aux artistes du monde arabe, Menart Fair, au palais d’Iéna, au sein de l’espace Art Absolument. À cette occasion, ont été présentés des extraits de sa série sur les rêves, réalisée à la suite de l’explosion du port de Beyrouth, en 2020. « J’avais alors entamé une thérapie, et ces diptyques au graphite et à la pierre noire faisaient partie du processus. Il y avait, dans mes premiers dessins à l’encre, une certaine densité d’expression, je cherchais à jouer avec la superposition des trames, à pousser la saturation de la hachure jusqu’à sa limite, à n’abandonner aucun tracé à sa nudité. Au fur et à mesure que j’avançais, le blanc du papier, ou ce que l’on appelle malencontreusement « l’espace négatif » dans le milieu des arts graphiques, prenait progressivement une place importante dans la composition, à l’image de l’évolution du vide dans ma perception », constate la jeune femme, dont le travail a été sélectionné pour le prix David Weill et exposé à l’Académie des beaux-arts de Paris, au printemps 2023. Le choix du graphite et de la pierre noire pour cette série des rêves lui a ouvert des perspectives. « J’ai longtemps dessiné à l’encre de chine, dont j’apprécie le caractère indélébile, puis j’ai choisi un médium plus souple, avec le graphite et la pierre noire, qui a provoqué un basculement paradigmatique : pour dessiner, j’effaçais souvent », explique Sandra Ghosn, dont une autre pièce de la série est actuellement exposée à la Biennale d’Issy-les-Moulineaux, au Musée français de la carte à jouer, dans le cadre de l’événement « Le rêve a ses raisons », qui se termine le 12 novembre. Ensuite, l’artiste participera à Art Montpellier avec la galerie qui la représente, Art Absolument, entre le 16 et le 19 novembre. Dans la foulée, elle prendra part à une exposition collective à Paris, dans le Marais, au SEPT, le 2 décembre.

L'artiste libanaise Sandra Ghosn. Photo Gilbert Hage

« La conjonction des opposés » au Liban

Alors que ses dessins traversent la France, où à Angoulême la couverture dessinée pour Samandal en 2020 est exposée à l’occasion des 40 ans de l’artothèque, Sandra Ghosn n’a de cesse de poursuivre ses recherches graphiques.

Deux perspectives se profilent en 2024 pour présenter des œuvres inédites : une exposition collective à Nogent-le-Rotrou en avril, et une autre en solo, à Paris, en automne prochain. « Je prépare un très grand format pour lequel j’ai choisi un papier de faible grammage. Lorsque je travaille, je le touche à peine avec ma plume, ou alors je le blesse exprès », explique celle qui envisage l’existence avec une sensibilité junguienne, dans sa quête d’un éveil et d’une conscience affûtée pour saisir le réel. « Le dessin est un territoire de jeu qui marque les étapes d’un processus comme autant de fragments révélés de l’invisible », avance la graphiste, qui insiste sur la part importante du Liban dans son travail. Selon elle, l’absence de récit national entraîne une multitude de narrations qui tentent de s’imposer et qui, finalement, sont assez… libératrices. « Il n’y pas de récit hégémonique au Liban, ce qui, dans le meilleur des mondes, pourrait nous inciter à faire le deuil du récit unique et nous ouvrir à l’écoute active de l’autre, accueillant ses différences comme ses similitudes », imagine la dessinatrice, qui, malgré tout, insiste sur une certaine créativité au Liban. «La société civile travaille activement sur la mémoire et propose sans cesse de nouvelles formes de cohésion par des gestes artistiques forts», rappelle Sandra Ghosn. Ce processus de «conjonction des opposés» que connaît le Liban, pour rendre une formule junguienne, serait-il le passage obligé vers un éveil collectif ? À vérifier. 

De but en blanc, Sandra Ghosn, qui s’est installée en France en 2008, précise qu’elle se sent impuissante et terriblement « éprouvée par l’ampleur de la catastrophe humanitaire au Proche-Orient. Rien ne justifie d’attaquer des populations civiles, assène-t-elle. « Je lutterai toujours dans mon travail pour la non-violence et la libération des traumatismes de l’histoire, même...

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