Pourquoi Israël a-t-il divisé Gaza en deux ?

« Les troupes opérant dans Gaza l’ont coupée en deux », soulignait dimanche soir le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari. Lundi, l'armée israélienne a affirmé avoir encerclé la ville de Gaza, divisant l'enclave assiégée en deux, Gaza-Nord et Gaza-Sud, alors qu'Israël se prépare à lancer une attaque terrestre dans un environnement urbain tentaculaire.

Au jour 31 du conflit entre Israël et le Hamas qui a éclaté en représailles à l’assaut meurtrier de l’organisation palestinienne islamiste contre Israël, le 7 octobre dernier, le lieutenant-colonel Richard Hecht, porte-parole de l'armée israélienne, a déclaré : « Nous avons achevé notre encerclement, séparant les bastions du Hamas au nord et au sud. » Son objectif annoncé, détruire le commandement du Hamas.

Selon le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, la troupe se trouvait mardi soir « au cœur de la ville », la plus grande de l'enclave, malgré les craintes que les combats rapprochés ne fassent d'innombrables victimes parmi les civils.

Que veut donc dire que Gaza est coupée en deux ?  Deux hypothèses quant aux objectifs ultérieurs de l’armée israélienne

Selon le professeur d'affaires internationales et publiques à l’Université de Columbia, Stephen Biddle, lorsqu'une armée coupe une force adverse en deux, il s'agit généralement de couper la moitié de celle-ci du réapprovisionnement et d'empêcher que les forces ne soient transférées d'une moitié à l’autre. « Cela permet de les vaincre, pas à pas », observe le professeur Biddle, également chercheur principal adjoint pour la politique de défense au sein du think tank Council on Foreign Relations. « Je suppose que cela fait partie du raisonnement de l’armée israélienne à Gaza », précise-t-il.

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Dans ce contexte, le chercheur pose deux hypothèses quant aux objectifs ultérieurs de l’armée israélienne. « Certains ont émis l'hypothèse que Tsahal utilisera les zones prises comme bases pour les raids de commandos dans le sud de Gaza. Si tel est le cas, alors peut-être qu'elle ne choisira pas d'occuper le reste de la bande », observe Stephen Biddle. Il rappelle en revanche l'hypothèse habituelle de l’armée israélienne de « réoccuper toute la bande, même si ce n'est que temporairement, si elle veut trouver et détruire toute la structure militaire du Hamas ».

Une capture d'écran prise à partir d'une vidéo montre des Palestiniens tenant des drapeaux blancs alors qu'ils marchent du nord de Gaza au sud, près d'un char israélien dans un endroit donné comme Gaza, obtenue par Reuters le 7 novembre 2023. Photo Armée israélienne/Handout via Reuters

« Le long chemin » d'Israël pour détruire le Hamas

Les objectifs atteints par l’armée israélienne sont donc pour l’instant des « objectifs militaires intermédiaires », selon l’universitaire. « L’armée de Tsahal a tué des dirigeants du Hamas, elle a détruit des tunnels et des caches d'armes du Hamas, et apparemment coupé le nord de Gaza du sud », affirme le professeur Biddle. « Mais ce ne sont que des objectifs intermédiaires, rappelle-t-il. L'objectif déclaré de la guerre israélienne est de détruire le Hamas – le chemin est long avant d'y parvenir. »

Depuis que l’armée israélienne a annoncé avoir coupé Gaza en deux, « ses troupes se rapprochent lentement de la ville de Gaza », indiquait lundi le lieutenant-colonel Richard Hecht. « La force aérienne et la marine de Tsahal ont touché plus de 450 cibles au cours des 24 heures précédentes, y compris des complexes militaires du Hamas, des postes d'observation et des positions de tir », précise sur son site web l’Institut pour l’étude de la guerre et des menaces critiques (ISW), un organisme de recherche non partisan et à but non lucratif sur les politiques publiques basé à Washington DC. « L’armée israélienne a aussi déclaré s’être emparée d'une position du Hamas utilisée pour diverses opérations militaires », ajoute ISW.

Les bombardements israéliens contre le territoire palestinien ont déjà fait 10 328 morts, en majorité des civils dont 4 237 enfants et 2 741 femmes, selon le dernier bilan mardi en milieu de journée donné par le ministère de la Santé du Hamas, qui évoque également 26 000 blessés. Plus de 1 400 personnes sont décédées en Israël d’après les autorités, majoritairement des civils tués le jour de l’attaque du Hamas, la plus meurtrière de l’histoire du pays. Le mouvement islamiste palestinien a également fait plus de 240 otages, emmenés à Gaza. « Cela a été un mois complet de carnage, de souffrances incessantes, d'effusions de sang, de destruction, d'indignation et de désespoir », a déploré ce mardi dans un communiqué le Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Volker Türk qui entamait au Caire une visite de cinq jours au Moyen-Orient. « Les violations des droits humains sont à l'origine de cette escalade et les droits humains jouent un rôle central dans la recherche d'un moyen de sortir de ce tourbillon de douleur », a-t-il ajouté.

Le couloir humanitaire

Dans le nord de la bande de Gaza, les combats entre Israël et le Hamas font rage depuis le 27 octobre, date du début de l’opération terrestre de l’armée israélienne dans l’enclave côtière. « Les forces terrestres israéliennes ont avancé le long de la côte nord-ouest de Gaza dans le cadre de rapports d'affrontements avec le Hamas dans la zone », rapporte ISW. Selon le site Middle East Eye, les troupes israéliennes ont également effectué une percée sur le front est. « Elles ont progressé de 6 km environ le long de la côte nord-ouest autour de Beit Lahia et atteint le sud-est du quartier Zeitoun depuis leur avancée autour de Juhor el-Dik », précise Middle East Eye.

« Les frappes sont menées contre les infrastructures souterraines du Hamas, dans diverses zones peuplées, par des troupes au sol, l’infanterie, l’artillerie, le génie de combat qui conduisent la bataille avec les forces aériennes et l’intelligence au sol », observe pour sa part le porte-parole de Tsahal, Jonathan Conricus, dans une vidéo publiée sur X (ex-Twitter). « Nous mettons l’accent sur les militants du Hamas et plus particulièrement son commandement », révèle-t-il encore. « Nos troupes à l’intérieur de Gaza et particulièrement les unités terrestres procèdent quartier par quartier, maison par maison. Nous nettoyons les sous-sols, soutenus par des tirs de l’artillerie et de l’aviation », ajoute-t-il.

De leur côté, les brigades al-Qassam – l'aile militaire du Hamas – ont publié des images de leurs militants opérant aux alentours du camp de réfugiés d'al-Shati (dans le nord-ouest de la bande de Gaza). De même, les brigades al-Quds – l'aile militaire du Jihad islamique palestinien (PIJ) – et la brigade des martyrs d'al-Aqsa ont déclaré avoir ciblé des véhicules israéliens dans le nord-ouest de Gaza le 5 novembre, relève encore ISW.

C’est dans ce cadre que le colonel Conricus a appelé lundi les civils à quitter le nord de Gaza. « Nous serons moins limités » pour agir, a-t-il affirmé. « Nous serons alors en mesure de démanteler le Hamas, bastion après bastion, bataillon après bataillon, jusqu'à ce que nous atteignions l'objectif ultime, qui est de débarrasser la bande de Gaza – toute la bande de Gaza – du Hamas », a-t-il déclaré. L’armée israélienne annonce avoir ouvert un couloir humanitaire afin de permettre aux civils du nord de Gaza et de Gaza ville de rejoindre le sud, au-delà de Wadi Gaza. « Nous permettons encore un passage pour les civils du nord de Gaza et de la ville de Gaza vers le sud », a fait remarquer Daniel Hagari à l’heure où des centaines de milliers de personnes se trouveraient encore dans le nord. Ce passage, qui était accessible lundi entre 10 et 14h, est situé sur la voie principale Salaheddine qui traverse en son milieu la bande de Gaza du nord au sud, sur une longueur de 45 km. Les départs d'habitants du nord de la bande de Gaza vers le sud se poursuivent aujourd'hui.