Critiques littéraires Romans

L’Irak de l’exil, fleuve secret d’une mémoire perdue

L’Irak de l’exil, fleuve secret d’une mémoire perdue

© Philippe Matsas

Feurat Alani est né en France, en 1980, et son nom ne ressemble à aucun nom connu dans son lycée, ni parmi les Français de souche, ni parmi les camarades maghrébins. Minoritaire parmi les Français, il est aussi minoritaire parmi les jeunes arabes. Il est issu d’une famille irakienne, ce qui est plutôt rare, la diaspora irakienne se tournant plus naturellement vers les pays anglophones. Feurat est le nom arabe de l’Euphrate, ce fleuve nourricier, avec le Tigre, de l’antique Mésopotamie. Vers 9 ou 10 ans, l’enfant est envoyé en Irak pour les vacances d’été. Sans doute pour y trouver lui-même les réponses aux questions qu’il se pose sur ses origines et sa famille auxquelles son père taiseux ne peut répondre. C’est au retour de ces immersions périodiques que se dessine pour Feurat sa future vocation de journaliste. Très vite, il se sent investi de la mission de raconter l’histoire, grande et petite, du pays dont, à la maison, on ne parle qu’en murmurant. En 2003, lors de la Seconde guerre du Golfe, il est encore étudiant en journalisme, quand il réalise ses premiers reportages en Irak. Il est notamment l’auteur, en 2010, d’une enquête fondamentale, Irak : les enfants sacrifiés de Falloujah, sur les enfants qui naissent frappés d’anomalies, suite aux bombardements par l’armée américaine de missiles à l’uranium appauvri. En 2019, son livre Le Parfum d’Irak lui vaut le prix Albert Londres. Je me souviens de Falloujah est son premier roman, déjà couronné du prix Senghor du premier roman 2023 et du prix Amerigo-Vespucci 2023.

Le père est le personnage central de ce roman dont la matière est puisée à la réalité d’une histoire douloureuse. Quand il arrive à Paris dans les années 1970, cherchant « une terre d’accueil sans prison pour les idéalistes », il se promet de ne jamais se trahir. Or, la carte de réfugié politique est assortie d’un prix : « On veut tout savoir. » C’est ainsi que sans statut, sans carte, sans avenir, celui qui rêvait de réussir sa vie va se contenter de vendre des cartes postales sur le parvis de Notre-Dame. Cette activité non déclarée fait de lui un habitué des arrestations intempestives et des séjours aux commissariats. Parfois il retrouve des compatriotes irakiens dans un café, le Stop Cluny, boulevard Saint-Germain. Il y emmène son fils, Euphrate dans le roman, qui s’initie aux débats politiques, souvent enflammés, menés par ces réfugiés. Bribes après bribes, Euphrate reconstitue un profil de ce père sociologue, nourrissant des ambitions politiques, trotskyste quand les autres se soumettaient au parti Baas et à la dictature de Saddam Hussein.

Tout commence chambre 209, clinique Bizet. Le père, atteint d’un cancer et vivant ses derniers jours, est frappé d’amnésie. C’est paradoxalement cette condition erratique de la mémoire qui va ouvrir les vannes d’un passé que le fils a toujours cherché à connaître. S’ensuit le récit bouleversant, émaillé d’images vives, qu’on lit larmes aux yeux de bout en bout, d’un homme à qui l’histoire, avec ses soubresauts, a presque tout pris. « Je me souviens de Falllujah », dit-il. Que signifie réussir sa vie ?

Je me souviens de Falloujah de Feurat Alani, J.-C. Lattès 2023, 288 p.

Feurat Alani est né en France, en 1980, et son nom ne ressemble à aucun nom connu dans son lycée, ni parmi les Français de souche, ni parmi les camarades maghrébins. Minoritaire parmi les Français, il est aussi minoritaire parmi les jeunes arabes. Il est issu d’une famille irakienne, ce qui est plutôt rare, la diaspora irakienne se tournant plus naturellement vers les pays anglophones....
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut