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Vivre au bord du pays

Le nouveau roman de Cathie Barreau explore la notion de pays, dans l’entrelacement de méandres géographiques, amoureuses et généalogiques.

Vivre au bord du pays

D.R.

Après des années de pérégrinations qui l’ont mené du Liban aux confins du Canada, Lucas revient dans son pays natal sur la côte atlantique française. C’est avec ses yeux, chargés de tous ses voyages, que l’on découvre l’intimité de son pays, suspendu entre océan et marais.

Le lecteur entre dans ce roman comme un enfant dans une mappemonde, avec le regard ébloui, explorant les lignes de crêtes, les courbes de niveau, et recréant tout un territoire de vallées, de cours d’eau et de chemins à partir du récit de Lucas. « J’avais mis 20 ans à revenir mais je sus très tôt que j’aimais le marais et l’océan, tout ce sable, cette boue, l’iode et les vents d’ouest  ; c’est pour mieux aimer que l’on s’éloigne. »

En même temps qu’il pénètre dans la géographie de Lucas, le lecteur découvre sa cartographie amoureuse animée par trois femmes : Kamila dont la figure se mêle à la lumière bouleversante du Liban, Sakari saisie dans les prairies enneigées du Saskatchewan et Valentine, rencontrée lors de ce retour dans les marais, et qui « réunit dans son corps et ses yeux toutes les femmes » que Lucas porte en lui. Car dit Lucas, « quand j’aime une femme, c’est tout un pays en elle, autour d’elle que j’apprivoise, qui me bouleverse et entre en moi ».

Les femmes aimées en exil prennent refuge en lui et leurs souvenirs cohabitent avec les autres personnages qui désormais traversent sa vie.

Autour de Lucas, dans ce retour au pays d’enfance, c’est tout un arbre généalogique qui est mobilisé, du vieil oncle Lucien au neveu Grégoire, les présents dans les marais mais aussi les absents..Et le lecteur comprend, au fil des méandres de l’histoire, que la filiation et les secrets de famille sont au cœur du récit de Lucas.

Dans ce village aux personnages taiseux, une tempête arrive qui va bouleverser l’ordre de ce monde. Le tourbillon menace le pays de disparition. Devant les angoisses et le sens de l’urgence, dans la tourmente des éléments naturels, les solidarités s’organisent et Lucas va se révéler dans cette épreuve et s’ancrer davantage dans l’amour pour lequel il s’ouvre désormais.

Le roman interroge la famille, ses liens, ses secrets qui traversent les générations. Et la construction du roman familial suit le bel imprévu des méandres, des cours d’eau et des sentiments.

L’architecture du récit emprunte aux courbes et détours de la carte. L’écriture épouse les sinuosités des marais  ; on y entend la saveur de la mer, le goût salé, la volatilité des éléments. Dans cette écriture poétique, la phrase, généreuse, dit davantage que ce qu’elle raconte.

Et l’objet qui donne son titre au roman, l’avion du neveu baptisé « l’oiseau blanc », incarne ce processus de création en cours. Dans cet oiseau blanc qui se construit tout au long de l’histoire, le lecteur aperçoit les coulisses du récit, les doutes et les recommencements, les tâtonnements et l’entraide, tout ce qui permet à l’avion de finir par voler, et au récit de s’élancer également. Longtemps après cet envol, les personnages de « l’oiseau blanc » habitent toujours ce lieu intrigant en nous, ce lieu qui surprend tout lecteur prêt à accueillir les êtres de phrases et de flot.

L’Oiseau blanc de Cathie Barreau, éditions L’Œil ébloui, 2023, 164 p.

Après des années de pérégrinations qui l’ont mené du Liban aux confins du Canada, Lucas revient dans son pays natal sur la côte atlantique française. C’est avec ses yeux, chargés de tous ses voyages, que l’on découvre l’intimité de son pays, suspendu entre océan et marais.Le lecteur entre dans ce roman comme un enfant dans une mappemonde, avec le regard ébloui, explorant les...

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