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Culture - PORTRAIT

Ramsey Chahine, un athlète libanais de la peinture à New York

Ce peintre autodidacte installé à New York a construit sa propre pratique, privée et indépendante, à travers laquelle il se balade entre ses huiles graves et ses pastels plus lumineux. 

Ramsey Chahine, un athlète libanais de la peinture à New York

Ramsey Chahine, "Autoportrait après l'explosion du port de Beyrouth". Avec l'aimable autorisation de l'artiste

Ramsey Chahine a grandi en Californie, dans l’une de ces petites villes côtières où l’on imagine la vie qui ronronne, tranquille, parfois un peu monotone, bercée par les va-et-vient du Pacifique, irisée par les couleurs du soleil de là-bas, avec des surfeurs éternellement bronzés, en sandales et maillot de bain. Et pourtant, c’est au milieu de ce qui semblerait être un quotidien paisible ; du moins très loin de celui du Liban de son versant paternel, que très jeune, Chahine voit ses nuits secouées par des rêves de plus en plus vivides et réels. C’est ensuite son corps qui se met à développer des symptômes, comme des signaux, à cause de ces rêves-là : asthme, douleurs. Voulant absolument saisir ce monde chaotique qu’il rencontrait en dormant, Ramsey Chahine se met d’abord à l’écriture, à travers laquelle il déballe tout ce qui se cachait dans les recoins de ses pensées et rêves nocturnes, avant d’instinctivement se tourner vers la peinture, à l’âge de 14 ans. « Tout de suite, ce médium dont je ne connaissais rien était devenu pour moi une manière de libérer toute cette énergie emmagasinée en moi, d’activer cette vie intérieure et l’imagination qui me venait en dormant », raconte-t-il, par Zoom, depuis son atelier de Brooklyn, à New York.

L'artiste dans son studio de Brooklyn, New York. Photo Michael Sharkey

Une addiction à la peinture

À l’adolescence, si les mots lui viennent plus facilement que l’usage de ses mains, le Libanais de 32 ans se met en premier lieu à dessiner ou peindre ce qu’il écrivait. « Ce qui m’a séduit dans le dessin, c’est le nombre de symboles, de textures et donc de lectures que propose une toile. C’est un médium qui, à mon sens, permet d’exprimer une pléiade d’émotions plus efficacement », réalise-t-il à ce moment là. 

Lorsqu’un ami lui donne des pots de peinture et des pinceaux, Ramsey Chahine, 17 ans à l’époque, se pose devant un miroir et passe 6h d’affilée à s’essayer à sa première toile en bonne et due et forme. En autodidacte de la technique, il se découvre surtout, aussitôt, une véritable addiction à la peinture. « Je me suis mis à peindre chaque jour, tout le temps. Dans un premier temps, c’était ma façon d’investiguer la peinture d’un point de vue presque artisanal », dit celui qui ressent un véritable déclic en découvrant l’œuvre de Gustave Courbet puis la fresque réalisée par Michel-Ange le long du plafond de la chapelle Sixtine à Rome. « Cette fresque-là représente en fait l’idée d’un idéal auquel on ne peut qu’accéder à travers la peinture, l’idée d’une sorte d’appel vers l’aventure. En voyant ça, je me suis dit que je voulais aussi que ma vie soit une aventure où la peinture me guiderait », confie-t-il. Si Chahine s’éloigne d’une certaine manière de cet appel, faisant ses armes à la New York University – entre littérature, écriture et études de religions du monde –, la peinture revient le tirer par la manche. « Je partageais ma vie entre mes études la journée, les arts martiaux pour lesquels j’allais en compétition et la peinture, tout le reste du temps. » Sauf qu’avant de décrocher son diplôme, le peintre autodidacte vend une première puis une deuxième toile, « c’était pour moi le signe qu’il fallait que je me consacre à ça. » Parole tenue puisque dès lors, Ramsey Chahine vit de et pour la peinture, en marge des structures traditionnelles – galeries, agents etc.– dont il préfère s’éloigner pour rester libre et sincère, dit-il. « Lorsqu’on revoit les premiers dessins préhistoriques qui datent d’il y a 40 000 ans, par-delà la technique ou le sujet, il y a quelque chose de profondément sincère, quelque chose de viscéral, de presque instinctif que ces civilisations avaient besoin de documenter. Je tends sans cesse vers cette sincérité, et c’est la raison pour laquelle je me suis construit une pratique privée, travaillant seul et vendant mes toiles directement à des collectionneurs et acquéreurs. »

Ramsey Chahine dans son atelier inondé de lumière à Byblos. Photo Tarek Moukaddem

Une recherche d’idéal

Pendant longtemps, Ramsey Chahine a participé à des championnats d’art martiaux avant d’opérer un virage vers la course de marathon dès l’âge de 26 ans ; glanant les ultramarathons qui, dit-il, « m’ont permis de construire et aiguiser ma capacité à être patient, ce qui est essentiel pour la peinture ».

Même si la peinture est devenue, au gré du temps, le centre et le décor de sa vie, le pan athlétique de sa personnalité a inéluctablement laissé ses traces sur son œuvre artistique. Il suffit de parcourir sa série d’autoportraits, des peintures à l’huile où le niveau de précision est poussé jusqu’à presque de l’obsession, pour se rendre compte de leur côté fondamentalement dynamique, corporel, presque charnel. « Je cherche la précision, les détails et je ne me repose que lorsque j’atteins ce point-là », confirme Chahine. Et tandis qu’une certaine facilité pourrait nous faire croire que cette série d’autoportraits part de velléités un peu narcissiques, c’est au contraire leur vulnérabilité qui finit par se révéler au détour d’un regard clair-obscur, d’un muscle tendu, ou d’un trait tiré. « Je me mets volontairement au cœur de la scène, comme une certaine performance où je cherche à être jugé, où ma fragilité est centrale », explique le peintre qui se plaît à se mettre en scène, tantôt en Quasimodo devant son miroir, et tantôt en créature à la plastique parfaite mais entouré de fragments de corps qui ne sont pas sans rappeler ses cauchemars d’enfants. Il y a surtout cet autoportrait troublant où Ramsey Chahine apparaît nu, avec derrière lui des mains qui se tendent de partout, un corps sans tête et un cochon qui tend la tête d’à travers une petite ouverture. Cette toile-là, il l’a réalisée suite à l’explosion au port de Beyrouth, après 16 mois de travail au cours desquels il n’a cessé de peindre et repeindre sur chacune des couches posées la veille. « Que ce soit le processus ou le sujet lui-même, tout dans cette toile était ma manière de peindre l’émotion que j’ai pu ressentir après cette explosion. Un mélange de culpabilité, d’absurdité et, en fait, d’impossibilité de réfléchir et d’avancer », explique-t-il. Et alors que la plupart de ses huiles sont tramées par quelque chose de dramatique qui évoque les toiles antiques et de la Renaissance, le travail en pastel de Ramsey Chahine éclaire tout d’un coup une facette plus légère de son œuvre. « La peinture à l’huile, c’est tout le corps qui s’y implique, c’est comme du drama qui s’empile, couche après couche. Alors que les pastels, c’est du jeu, c’est plus rapide, moins contraignant. » On pense à ses visages élancés, qui s’étendent de bord en bord de ses papiers, souvent avec deux paires d’yeux, leurs traits sûrs et élancés que vient lézarder quelque chose qui se rapproche du surréalisme.

Cet été, pour la première fois, Ramsey Chahine a installé un petit atelier à Byblos, dans un immeuble en construction. À l’issue de ses visites à Baalbeck ou encore au musée national de Beyrouth, il déploie sur ses papiers d’une trentaine de centimètres des visages inspirés par les sculptures antiques, « ma façon à moi de croiser le monde antique et une sensibilité plus moderne ». Et, aussi, de redonner une autre vie aux passés de son pays.

Ramsey Chahine a grandi en Californie, dans l’une de ces petites villes côtières où l’on imagine la vie qui ronronne, tranquille, parfois un peu monotone, bercée par les va-et-vient du Pacifique, irisée par les couleurs du soleil de là-bas, avec des surfeurs éternellement bronzés, en sandales et maillot de bain. Et pourtant, c’est au milieu de ce qui semblerait être un quotidien...

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