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Culture - Disparition

Leila Baalbaki, « la Françoise Sagan des lettres arabes », n’est plus

Décédée à l’âge de 86 ans, l’écrivaine libanaise a longtemps représenté la femme arabe qui, cernée par le contrôle parental, décide enfin de s’affranchir. De ses expériences dans le monde sont nés de merveilleux ouvrages.

Leila Baalbaki, « la Françoise Sagan des lettres arabes », n’est plus

Leila Baalbaki a longtemps revendiqué les droits de la femme arabe. Photo DR

Connue comme « la Françoise Sagan des lettres arabes », Leila Baalbaki, romancière, s'est éteinte doucement le 23 octobre 2023 à l’âge de 86 ans à Londres, où elle vivait depuis de longues années.  Une auteure pionnière dans la représentation de la sexualité, dans l’analyse de l'hypocrisie du monde et du sexisme au sein des sociétés arabes, elle s’était rendue célèbre pour son féminisme exacerbé et ses thèmes existentialistes dans la littérature libanaise. Son dernier ouvrage Safinat hanan ila al-qamar (Le Vaisseau de Hanan vers la Lune), écrit alors qu'elle était à Paris et publié en 1963, est un recueil de nouvelles qui lui a valu la censure et qui a scandalisé les Arabes conservateurs par certains passages jugés érotiques. À partir de juin de la même année, les autorités libanaises en ont confisqué des exemplaires. Elle a été poursuivie en justice et arrêtée puis  innocentée. Après cet épisode, Baalbaki n'a plus jamais publié de fiction et a choisi de vivre à Londres.

L’affranchissement

Née en 1936 dans une famille chiite qui avait émigré de Baalbeck vers le sud du Liban, Leila Baalbaki a grandi à Beyrouth après avoir laissé derrière elle l'olivier sous lequel son grand-père enseignait à Houmin el-Tahta. C’était un dignitaire religieux (faqih) qui apprenait aux enfants du village à lire et à écrire en se basant sur un ouvrage de référence en rhétorique arabe, Nahj al-balâgha (La Voie de l’éloquence) de l’imam et calife Ali Ibn Abi Taleb. C’est l’un des premiers livres que Leila avait lu. Très attachée à sa terre d’origine, il lui arrivait souvent, de passage au Liban, d’emmener toute sa famille vers son village au sud pour recueillir les citrons du jardin et retrouver les odeurs de son enfance. Son père se démarquait dans l’art du zajal, une forme traditionnelle de poésie, et sa mère était analphabète. Baalbaki commence à écrire à l'âge de 14 ans, se rebelle contre les traditions de sa famille conservatrice et de sa communauté, rejette le voile et insiste pour poursuivre ses études contre la volonté familiale, résistant aux tentatives visant à la retirer de l'école en entamant une grève de la faim.

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Elle fréquente une école francophone à Beyrouth, et plus tard, interrompt ses études universitaires pour accepter un poste de secrétaire au Parlement libanais puis comme journaliste dans plusieurs quotidiens. Mue par son désir d'indépendance, elle se lance dans l’écriture d’une chronique mensuelle dans le magazine féminin Sawt al Mar'ah (Voix de la femme) intitulée « Idées libérées », de 1957 à 1958, sous les encouragements du rédacteur en chef Edvique Shayboub. Cette dernière est la première à lire le manuscrit du premier roman de Leila Baalbaki, Ana Ahya (Je vis) et l’encourage à trouver un éditeur. Ce roman provocateur a ouvert la voie, pour ainsi dire, à une toute nouvelle tendance littéraire, lançant un culte de la liberté : celui de combattre la Shéhérazade des Mille et une nuits. Les maisons d'édition de Beyrouth ont d’abord rejeté le manuscrit, mais il a finalement été accepté par la presse Shi’r (Poésie), étant entendu que Leila couvrirait une partie des frais d’impression. 

Leila Baalbaki, l'air éternellement juvénile sous ses cheveux roux. Photo DR

Établie comme romancière, elle est portée à fréquenter les cercles littéraires  de la fameuse revue  Shi’r, où elle nouera des relations avec son fondateur Youssef al-Khal, Adonis et d’autres poètes du Liban et du monde arabe. Leila est initiée au modernisme, où les traditions classiques de la poésie arabe ont été remises en question par les influences de poètes comme T. S. Eliot et André Breton. Elle appréciait le pouvoir iconoclaste des modernistes, leur refus des formes grossières et de la littérature, de la poésie et de l’art.

Pour l’amour des mots

Leila Baalbaki ne trouvait pas ses racines que dans sa terre natale ; citoyenne du monde, elle se reconnaissait dans toutes les terres où l’oppression prévalait sur la justice.

Elle aimait la vie, cultivait une curiosité toujours inassouvie, cherchait à se documenter sur tout. Lorsqu’elle traversait la rue avec un raffinement et un souci vestimentaire que l’on donnait en exemple, sa silhouette tout en couleur la devançait. Fouler son intérieur, c’était pénétrer son univers en fleurs et en musique. Ses proches racontent qu’elle aimait fredonner Non je ne regrette rien d’Édith Piaf, ce qui confirme les choix et les directions qu’elle assumait. Toujours en émerveillement devant les petits miracles de la vie, elle pouvait s’arrêter dans la rue pour observer un oiseau sur un arbre, une plante qui déversait son vert sur une façade ou les tresses d’une petite fille au bord de la chaussée. Avec un faux air de Juliette Gréco, elle a longtemps conservé  sa chevelure noire avant de la plonger dans un rouge écarlate qui illumine son éternel air juvénile, tant son esprit et son âme demeuraient inaltérés par le temps qui passe.

Leila Baalbaki aimait l’art, et s’il arrivait à ses amis de la perdre, ils la retrouvaient dans un musée à déambuler entre un Renoir et un Nicolas de Staël. Mais ce que Leila affectionnait par-dessus tout, c’étaient les mots avec lesquels elle avait établi une relation particulière. Elle les cherchait partout, rattrapée par les images de la vie, elle les piochait, les rayait, les gommait, pour enfin les assembler. Les mots ne l’ont jamais lâchée. Sa vie se lisait et s’exprimait presque en dehors d’elle-même.

Elle se définissait avant toute chose comme auteure et pouvait aborder n’importe quel sujet, décrire les choses de la vie et placer les mots avec une habilité, un talent, une authenticité et une audace surprenante. Très peu conservatrice en matière d’éducation, elle traitait ses enfants sur un même pied d’égalité, sans autorité, et aimait particulièrement se faire appeler par son prénom. Elle exécrait les titres. Elle n’était jamais « maman », « tante » ou « grand-mère », pour tout le monde elle était « Leila ! »

Futuriste et sarcastique, elle savait aussi bien rire d’elle-même que se mettre en danger. Malgré ses principes féministes, Leila Baalbaki ne s’est jamais alignée sur aucune des organisations de femmes existantes au Liban à l’époque. Très affectée par toutes les guerres qui ont meurtri son pays, l’ironie du sort a voulu qu’elle quitte cette terre au moment où elle s’embrase à nouveau.

S’il fallait retenir une chose de cet être exceptionnel, c’était son raffinement de femme, son audace d’auteure et son engagement de militante sans limites.

Connue comme « la Françoise Sagan des lettres arabes », Leila Baalbaki, romancière, s'est éteinte doucement le 23 octobre 2023 à l’âge de 86 ans à Londres, où elle vivait depuis de longues années.  Une auteure pionnière dans la représentation de la sexualité, dans l’analyse de l'hypocrisie du monde et du sexisme au sein des sociétés arabes, elle s’était rendue célèbre...
commentaires (1)

Merci d'avoir utilisé "écrivaine" et "auteure" et non pas l'horrible "autrice"!!

Leila G

10 h 23, le 30 octobre 2023

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Commentaires (1)

  • Merci d'avoir utilisé "écrivaine" et "auteure" et non pas l'horrible "autrice"!!

    Leila G

    10 h 23, le 30 octobre 2023

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