Une bande de Gaza réduite à néant, et après ? L’imminente offensive terrestre israélienne sur l’enclave palestinienne n’a pas débuté que, déjà, des régions entières ont été dévastées. Plus de 5 000 habitants, dont 2 000 enfants, ont été tués au cours des 18 derniers jours sous les bombardements israéliens, selon le ministère de la Santé du Hamas. Depuis le 7 octobre, l’État hébreu a clairement formulé son objectif : « anéantir » le mouvement islamiste au pouvoir. La tâche s’avère compliquée. Qu’il y parvienne ou non, une question se pose d’ores et déjà : qu’adviendra-t-il du réduit palestinien ?
Jusqu’à présent, très peu d’éléments ont filtré à ce sujet du côté des officiels israéliens. Les rares prises de parole semblent toutefois écarter deux scénarios : le retour à une occupation prolongée de la bande de Gaza tel que cela s’est produit de 1967 à 2005, ainsi que le retour au statu quo. Vendredi, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré à la Knesset que le but ultime était « la fin des responsabilités d’Israël sur le sort de la bande de Gaza et la mise en place d’une nouvelle réalité sécuritaire pour les citoyens d’Israël » et « pour la région ». Après le retrait de ses forces armées et colons de l’enclave palestinienne, l’État hébreu a maintenu le contrôle de l’espace aérien, du littoral et de la circulation des personnes et des marchandises à Gaza, imposant dès 2007 un blocus sévère transformé au cours de cette guerre en siège total. Citée par l’AFP, une source au ministère israélien des Affaires étrangères a révélé sous couvert d’anonymat que le pays souhaitait aujourd’hui « remettre les clés » de la bande de Gaza à une tierce partie, dans une allusion probable à l’Égypte.
Méfiance égyptienne
« Il s’agit là d’un objectif et d’un fantasme israélien depuis de nombreuses décennies, commente Hussein Ibish, chercheur à l’Arab Gulf States Institute. Mais Le Caire ne se laissera en aucun cas entraîner dans une implication directe à l’intérieur de Gaza. » Une préférence israélienne notamment liée au fait que l’Égypte a administré l’enclave palestinienne de 1948 à 1967, est signataire d’un traité de paix avec l’État hébreu et est capable de contrôler la sécurité du territoire. Mais de son côté, Le Caire perçoit avec méfiance la bande de terre bordant la péninsule du Sinaï et reliée à cette dernière par le poste-frontière de Rafah. Surtout depuis la prise de pouvoir en 2007 du Hamas, issu du mouvement des Frères musulmans, bête noire du régime Sissi qui a fait la chasse aux membres de la confrérie dans son pays. « Israël est obsédé par l’idée qu’un acteur doit gouverner et contrôler les Palestiniens d’une main de fer, et il espère qu’en persuadant l’Égypte ou quelqu’un d’autre de le faire, il pourra se laver les mains de toute responsabilité ou des conséquences de l’étouffement des Palestiniens et du refus de leur liberté », avance Omar Baddar, analyste politique palestinien.
Désirant rester à l’écart de la guerre sur le territoire très densément peuplé de 362 km2, où vivent près de 2,4 millions d’habitants, Le Caire cherche aujourd’hui à éviter à tout prix l’afflux en masse de réfugiés vers le pays. Un exode qui présente à ses yeux un double risque : qu’il donne lieu à une présence permanente de réfugiés sur son territoire et que les mouvements armés palestiniens s’en servent comme une base arrière pour planifier des attaques contre Israël, menaçant d’entraîner l’Égypte dans une confrontation avec l’État hébreu. Décrié par une partie de la population égyptienne pour ses politiques économiques et sa dérive autoritaire, le président Abdel Fattah el-Sissi a construit depuis 2013 son capital politique sur le rétablissement de l’ordre dans la région du Sinaï, confrontée à une menace jihadiste. Endosser un rôle direct à Gaza mettrait ces acquis en péril. D’autant que même si l’Égypte le souhaitait, le justifier auprès de la communauté internationale s’avérerait compliqué. « Contrairement à la période durant laquelle le pays contrôlait la bande de Gaza, il existe aujourd’hui, au moins au niveau international, des organes représentatifs des Palestiniens : l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et l’Autorité palestinienne (AP), indique Hamada Jaber, consultant au Palestinian Center for Policy and Survey Research, basé à Ramallah. Cela rend difficile le contrôle de l’enclave par Le Caire. »
Absence de stratégie politique
Un autre scénario serait le retour de l’AP à Gaza, qui gouverne certaines régions de Cisjordanie en coordination avec Israël. Mais cette option présente de nombreuses limites aux yeux de l’État hébreu. Discrédité par sa population, le leadership palestinien – éprouvé depuis des années par la corruption, l’autoritarisme, l’inaction et les accusations de collaboration avec l’occupant israélien – ne parvient même pas à assurer le contrôle de certains régions placées sous son autorité. Au cours des derniers mois, Jénine ou Naplouse ont vu croître le nombre de combattants palestiniens affirmant être indépendants des principaux groupes militants, dans un contexte d’abandon du maintien de l’ordre de l’AP. Ce climat d’hostilité serait décuplé à Gaza, où les autorités de Ramallah subiraient de plein fouet les attaques des cellules restantes du Hamas ou du Jihad islamique, ravivant le spectre de la guerre sanglante de 2007. Grand perdant du scrutin législatif de 2006, le Fateh – principal parti au sein de l’OLP – n’avait pas digéré son issue consacrant la victoire du Hamas. À la fin des combats, la rupture politique était actée. Tandis que le Hamas prenait le contrôle de la bande de Gaza, l’AP asseyait son pouvoir en Cisjordanie.
Il resterait alors la possibilité qu’un groupe composé de puissances telles que Washington, l’Union européenne, les Nations unies, les États arabes et l’AP travaillent conjointement en vue de transférer le contrôle de l’enclave palestinienne à l’ONU dans l’attente d’une solution durable. Une option qui supposerait un rôle actif des pays de la région, qui se montreraient probablement réticents à s’aventurer dans cette voie sans engagement qu’elle permette à l’AP de réinstaurer progressivement son contrôle sur Gaza. Aux yeux de plusieurs analystes, toutes ces options paraissent peu convaincantes. « Je ne crois pas qu’une quelconque partie – les forces de maintien de la paix de l’ONU, un corps expéditionnaire arabe, l’AP ou qui que ce soit d’autre – soit disposée à prendre le relais après qu’Israël a réduit Gaza en miettes et à faire le sale boulot d’anéantir les tentatives du Hamas ou d’autres organisations extrêmes de revenir et de commencer à affirmer leur autorité », suggère Hussein Ibish. Pour ce dernier, Israël est confronté à un choix impossible : « Instituer une occupation prolongée de l’intérieur de Gaza afin de supprimer tous ces groupes à long terme – ce qui signifie lutter contre une insurrection palestinienne qui éliminera petit à petit les conscrits israéliens et rendra la vie absolument misérable à Tel-Aviv – ou réduire Gaza en miettes, partir et regarder le Hamas ramper hors des décombres et déclarer sa victoire. »
Des scénarios incertains et peu crédibles qui illustrent l’absence, sur le plan politique, de projet israélien à long terme pour Gaza. Car si la stratégie militaire de l’État hébreu est claire, rien n’assure que l’idéologie et les luttes dont se réclame le Hamas disparaîtront. « C’est précisément la raison pour laquelle Israël se livre à des bombardements massifs, sans but et sans discernement, pendant qu’il tente de formuler une stratégie sensée, estime Omar Baddar. Mais qu’il tente de nettoyer ethniquement les Palestiniens de Gaza ou qu’il les confine simplement dans une zone encore plus petite dans la moitié sud de la bande, le problème fondamental demeure, à savoir que des millions de personnes assiégées sans moyen pacifique de s’en sortir trouveront une manière de réagir violemment contre leur brutalisation et leur confinement. »
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Libérez Marwan Barghouti!
Hacker Marilyn
22 h 47, le 29 octobre 2023