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Les mille pièges de Gaza


La guerre de Gaza (la cinquième du nombre, soit dit en passant) sera longue, ne cesse de prévenir Netanyahu à l’adresse des Israéliens comme de l’opinion publique mondiale. De fait, nul besoin d’être stratège militaire pour s’en douter, tant cette cité épisodiquement suppliciée au fer rouge regorge de ressources insoupçonnées. L’histoire retiendra ainsi, non sans ironie, que pour diviser les Palestiniens et donc mieux régner au lendemain de la première intifada (1987), Israël avait imprudemment favorisé la genèse à Gaza d’un Hamas faisant contrepoids à la suprématie du Fateh de Yasser Arafat ; la manœuvre ne devait pas tarder à lui éclater à la figure, comme cela arrive souvent aux apprentis sorciers.


Dans une optique non moins cynique, cette guerre sera longue surtout parce que Netanyahu, totalement pris de court par l’opération Déluge d’al-Aqsa, y voit le gage de sa survie politique. Il mise sur le fait, invariablement prouvé, qu’à chaque fois qu’a sonné le tocsin et qu’a tonné le canon, l’union sacrée des Israéliens n’a pas fait défaut. Le phénomène est encore plus prévisible cette fois, en raison de la soif de vengeance qu’ont engendrée les atteintes portées à la population civile en ce fatidique 7 octobre. Mais un tel déchaînement de brutalité – médiatisé à outrance de surcroît par ses propres auteurs – n’était-il pas au fond sciemment programmé, ne visait-il pas précisément à inciter le taureau blessé et furieux à foncer, à se fourvoyer dans le guêpier de Gaza ?

Là pourrait résider en effet le plus immédiat des pièges que n’a cessé de receler ce territoire régulièrement cuit et recuit par les flammes de l’oppression et de la répression. Car une guerre longue impliquant nécessairement des opérations terrestres, peut-être même une réoccupation de la bande de Gaza ou pire encore une multiplication des fronts, c’est aussi le macabre carrousel de cercueils de soldats ramenés en Israël ; c’est la perspective d’un supplément de pertes civiles, alimentée par la pléthore de missiles à même d’encombrer le ciel du Levant. Or tout cela résulte des inimaginables défaillances qu’a connues la sécurité selon le présomptueux prophète Bibi, dont les troupes étaient trop occupées à protéger les excès des colons juifs de Cisjordanie pour endiguer à temps le Déluge d’al-Aqsa. C’est dire que tôt ou tard, et en dépit de sa sanglante fuite en avant, viendra inéluctablement le temps des questionnements et des redditions de comptes : la facture s’annonçant plus lourde que pour les délictueux démêlés de Netanyahu avec la justice et ses vaines tentatives de neutraliser celle-ci par le biais d’une réforme largement contestée du système judiciaire.


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Il n’y a pas cependant que les glissements de terrain inhérents à toute aventure militaire. Autant une vaste portion de l’opinion publique mondiale a décrié les atrocités du 7 octobre, autant elle s’émeut, chaque jour davantage, de la punition collective sadiquement infligée à l’innocente population de Gaza écrasée sous les bombes. Des manifestations ont eu lieu en diverses capitales d’Europe, et même aux États-Unis, pour dénoncer une barbarie d’autant plus condamnable qu’elle est le fait d’un État : et qui plus est, d’un État revendiquant le gros de sa légitimité – et de la sympathie qu’il escompte du reste des nations – des horreurs perpétrées contre les juifs par l’Allemagne nazie. C’est d’ailleurs cette même et claire référence aux crimes de guerre hitlériens, émanant du président de Colombie, ou encore de plusieurs ministres espagnols, qui vaut à Israël une grave controverse diplomatique avec Bogotá et Madrid.


Même quand elle proclame son soutien inconditionnel à l’État hébreu, l’Amérique est loin par ailleurs de souscrire à toutes les outrances de Netanyahu. Attendu aujourd’hui en Israël avec deux escadres navales dans son sillage, Joe Biden ne craint pas ainsi de souligner qu’une invasion de Gaza serait une grosse erreur. Venant en signe de solidarité, mais aussi pour débloquer l’acheminement de l’aide vers la bande de Gaza, le président US ne traitera sans doute pas toutefois du seul volet humanitaire de la crise. S’il a pu un moment favoriser le projet israélien d’un relogement temporaire des habitants de Gaza dans le Sinaï, le patron de la Maison-Blanche a dû y renoncer devant le farouche refus d’un Abdel Fattah el-Sissi parfaitement conscient des bombes à retardement que sont ces provisoires qui durent. Cette ligne rouge tracée par le président égyptien, le roi de Jordanie, pays peuplé d’une majorité de Palestiniens de souche, la faisait sienne hier avec plus de force encore. Si bien qu’en lieu et place d’un sommet international sur l’avenir de la Palestine que se proposait d’héberger l’Égypte, c’est à Amman que devait se dérouler une concertation restreinte avec Biden consacrée à cette question. Mais dès l’annonce de l’effroyable hécatombe survenue en soirée dans un hôpital de Gaza, il a été décidé de l’annuler.


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Face à toute cette explosive profusion de traquenards, quel injuste retour des choses, quel funeste coup du sort donne-t-il aux Libanais l’angoissant sentiment d’être eux aussi pris au piège ? Quatre ans après la grisante révolte populaire qui promettait de renverser toutes les barrières écartelant le peuple, que reste-t-il d’un État moins que jamais maître de ses options, à commencer par celle, vitale, de paix ou de guerre ? C’est d’une amicale et néanmoins renversante candeur que procède l’appel que lançait lundi, durant sa brève visite à Beyrouth, la ministre française des Affaires étrangères aux responsables libanais, pressés de tout faire pour éviter à leur pays, déjà à genoux, une équipée dont il ne pourrait pas se relever. De quels responsables parle-t-elle en effet, dans un pays aux institutions en ruine et où toute responsabilité est diluée dans les eaux troubles des futilités politiciennes ?

Mieux que quiconque, Mme Colonna devrait savoir que le sort du Liban tient à la décision du Hezbollah de rejoindre ou non la mêlée de Gaza : un Hezbollah qui se dit rien que libanais, que la France tient pour indiscutablement libanais, mais qui fait publiquement profession de foi et de fidélité absolue à l’Iran. Dès lors, la question qui tient le pays tout entier en haleine est la suivante : qui, du Dr Jekyll ou de Mr Hyde, tranchera-t-il ?

Merci encore pour la visite, merci infiniment, mais c’est plutôt du côté de Téhéran que feraient bien de s’activer d’urgence les diplomaties amies.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

La guerre de Gaza (la cinquième du nombre, soit dit en passant) sera longue, ne cesse de prévenir Netanyahu à l’adresse des Israéliens comme de l’opinion publique mondiale. De fait, nul besoin d’être stratège militaire pour s’en douter, tant cette cité épisodiquement suppliciée au fer rouge regorge de ressources insoupçonnées. L’histoire retiendra ainsi, non sans ironie, que...