Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Gastronomie

La Maison Joumana à Paris et sa « dame tartine » libanaise

Cela fait deux ans que les plus grandes marques plébiscitent Joumana Jacob et ses buffets colorés et enchantés aux saveurs libanaises. Avant de sculpter des coquillages dans la mouhallabié, la jeune femme a eu plusieurs vies.

La Maison Joumana à Paris et sa « dame tartine » libanaise

Joumana Jacob, une cuisine imprégnée de poésie. Photo DR

« Il était une dame tartine/Dans un beau palais de beurre frais/La muraille était de praline/Le parquet était de croquets », comme le dit la fameuse comptine pour enfants. Dans le monde des adultes, Chanel, Longchamp, Jean-Charles de Castelbajac, Piaget ou Rouge sont quelques exemples d’enseignes de luxe qui ont été séduites par le charme des espaces gustatifs et esthétiques imaginés par Joumana Jacob, en résonance avec la créativité spécifique de leurs marques.  Ainsi, pour l’anniversaire du magazine Milk, le 20 septembre dernier, la jeune artiste a notamment imaginé des fatayers galets, colorés à l’encre de seiche, et une grande fresque pour célébrer la vie, avec des oiseaux, des lunes, des soleils, des personnages qui dansent…

« J’ai utilisé du pain libanais, que j’ai coloré avec du café, du cacao, et je l’ai réalisé très plat, pour pouvoir dessiner des figurines à intégrer dans une fresque de fête. Je suis allergique au gluten, précise-t-elle, mais j’aime beaucoup travailler le pain. C’est très fort sur un plan symbolique.  La labné est très importante pour moi, elle représente la douceur. C’est un peu ma signature, il y en a toujours dans mes buffets, même par petites touches », confie Joumana Jacob, qui est née au Liban en 1975 où elle est restée avec sa famille jusqu’en 1984 avant de s’installer à Paris. D’autres événements arborent des sculptures de pain différentes, sous forme de paniers, dont les lanières sont quadrillées ou entrelacées avec minutie, ou de déesses protectrices de l’automne. 

Un damier tout en vert pour la marque Longchamp. Photo DR

La cuisine thérapie

La chef franco-libanaise n’a pas toujours travaillé dans le catering. « J’ai commencé par être institutrice, spécialisée dans les enfants en grande rupture scolaire. Après des études de psychologie, je me suis intéressée aux troubles dyslexiques, mais j’ai toujours cuisiné, ce qui ne m’a pas été transmis par ma mère, qui était féministe et qui considérait que passer trop de temps en cuisine pouvait être pénalisant ! Peut-être que je voulais faire plaisir à mon père et lui préparer de bons petits plats, car il aimait manger », évoque l’entrepreneuse d’une voix délicate et fluette. « En 2018, ma mère et mon frère sont décédés à Beyrouth, et j’ai ressenti le besoin de cuisiner tout le temps : cela me permettait d’être connectée à eux et à Beyrouth qui me manquait, car j’y étais retournée quelque temps pour m’occuper d’eux. De plus, comme de nombreux Libanais, j’ai perdu beaucoup d’argent à ce moment-là à la banque, et j’ai eu besoin d’un projet pour rembourser mon emprunt pour l’achat d’une maison à Bordeaux », poursuit la sculptrice de pain, admettant que le malheur a créé chez elle une forme d’impulsion. « Je me disais que j’avais de la chance d’être dans un pays où je pouvais facilement tout reconstruire.  J’ai donc ouvert un restaurant dans mon hôtel particulier, dans le quartier de Nansouty. Maison Joumana proposait une cuisine familiale, qui a tout de suite été un succès, dans une ville où l’on associait souvent les mets libanais à de la street food », enchaîne-t-elle, précisant qu’elle cuisinait pour 24 couverts, réservés en amont par les clients qui établissaient à l’avance leur menu, dans une optique zéro déchet. « Je proposais beaucoup de légumes et des plats de la maison, comme de la kebbé bil sayniyé, qui était le plus demandé.  Je respectais la saisonnalité : pas de taboulé avec des tomates en automne ou en hiver, je mettais plus de persil et ajoutais des oranges ou de la grenade. Quand ce n’était pas la saison des aubergines, je ne faisais pas de baba ghannouj, et favorisais les choux farcis ou les feuilles de vigne », explique la chef.

A lire aussi

Le retour à la terre des filles de Tanios

Des coquillages de Batroun aux larmes de pain

L’expérience bordelaise a duré deux ans, puis Joumana Jacob et sa famille décident de retourner vivre à Paris. « J’avais besoin de calme après mon séjour à Beyrouth, mais le calme m’a vite ennuyée ! Et quand nous sommes revenus en 2021, je me suis lancée dans l’événementiel et le catering. C’était un défi considérable, parce que la place était déjà bien prise. Avec Maison Joumana, je représente des marques lors de cocktails, d’inaugurations, et je m’adapte à leur style, leurs couleurs, leurs thèmes, leurs envies, leurs textures, tout en gardant l’influence libanaise. » « Récemment, Longchamp a présenté sa nouvelle collection automne/hiver, et j’ai créé la scénographie des plats pour l’illustrer et mettre en valeur le motif du damier, en vert et blanc. Pour le blanc, des tartines de labné, et pour le vert des tartines de crème de courgettes au tahini. Chanel, l’année passée, souhaitait montrer l’exception de son artisanat, j’ai donc accentué le fait-main, avec beaucoup de couleurs, notamment le pourpre, qui était à la mode. Je crois que ce sens esthétique me vient de mon père, qui était collectionneur d’art », avance la styliste des aliments. Son père, Charles Jacob, propriétaire de boutiques éponymes à Beyrouth et Zalka, et qui fut une référence durant de nombreuses années dans le domaine de la mode.

Un plat signé Maison Joumana pour Chanel. Photo DR

« Pour un événement à la Columbia University, j’ai imaginé de la gelée bleue, composée d’un sirop à l’eau de rose et à la spiruline. Sur cette nappe bleutée, un coquillage de mouhallabiyé en gelée : pour moi c’était Batroun. Au départ, je cuisinais pour me souvenir, ce qui m’a guéri. J’ai pu alors commencer à m’exprimer : le plaisir est de créer à chaque fois une composition différente. Il s’agit aussi de montrer que la cuisine libanaise peut être très belle et raffinée, et facilement s’associer à d’autres cultures. Les Libanais ont toujours vécu dans les allers-retours, mon père était un libanais d’Afrique, du Mali, et ma cuisine est métissée, à l’image de ces échanges », affirme-t-elle tout en évoquant avec enthousiasme sa collaboration avec l’artiste new-yorkaise Maja Dlugolecka. « Nous avons imaginé fin septembre un aller-retour entre la scénographie culinaire et ses toiles pour le buffet de la présentation de son œuvre à Paris. Le thème étant le changement, j’ai envisagé mes plats dans une optique d’acceptation. La générosité représente la nourriture libanaise et j’essaye de transmettre cette valeur par la cuisine, il y a toujours beaucoup trop, et il en reste toujours pour le lendemain ! »  

Entourée d’une équipe de quatre collaborateurs permanents, et des « extras, régulièrement, uniquement des femmes », Joumana Jacob concocte ses préparations dans son laboratoire situé dans le 9e arrondissement. « Parfois j’en loue un plus grand pour des événements de cent personnes », précise-t-elle, en rappelant sa collaboration avec Ryoko Sekiguchi, auteure de 961 heures à Beyrouth (Éd. P.O.L) lorsque cette dernière est venue en résidence d’artiste à la Maison Joumana de Bordeaux, et que les deux femmes ont conçu un repas qui mixait les cuisines japonaise et libanaise.

Bouillon de poulet au citron et gingembre, riz japonais. Photo DR

Joumana Jacob a prévu de se rendre prochainement au Japon pour réaliser des sculptures de pain, qui ont été très appréciées lors d’une exposition artistique sur la forêt, au mois de juin. « Quand j’étais triste, j’ai travaillé les larmes en pain, pour moi c’était les larmes du Liban, et j’ai investi l’idée autour de la souffrance de la forêt. J’ai réalisé en plein air un grand mobile de pains très fins, en forme de larmes, accroché à un arbre, qui bouge avec le vent », poursuit l’entrepreneuse, rêveuse, dont la page Instagram reflète une créativité teintée d’enfance, à la fois fascinante et mystérieuse.

« Il était une dame tartine/Dans un beau palais de beurre frais/La muraille était de praline/Le parquet était de croquets », comme le dit la fameuse comptine pour enfants. Dans le monde des adultes, Chanel, Longchamp, Jean-Charles de Castelbajac, Piaget ou Rouge sont quelques exemples d’enseignes de luxe qui ont été séduites par le charme des espaces gustatifs et esthétiques...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut