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La calamité du doute


Au point où l’on en est, peu importe si c’était par exaltation ou seulement par lourde anxiété, mais quel Libanais n’a tressailli au spectacle, retransmis en boucle sur les télés, de ces rugissantes nuées de missiles striant le ciel d’Israël, en ouverture de l’opération Déluge d’al-Aqsa ?

Car ces fulgurants engins, le Hezbollah implanté au Liban en possède lui aussi, et même en plus grand nombre peut-être que le Hamas palestinien. Son chef n’en a jamais fait secret ; bien au contraire, il a plus d’une fois fait étalage de son stock. Dès lors, la question qui est aujourd’hui sur toutes les lèvres est celle de savoir si à la rougeoyante lumière du brasier de Gaza le Hezbollah est sur le point, ou non, de passer de la dissuasion à l’action. Un telle interrogation serait bien sûr impensable dans tout autre pays que le nôtre, où une milice ouvertement armée et financée de l’étranger est parvenue en effet à dessaisir l’État de la décision de paix ou de guerre. Le plus extraordinaire est que loin de faire un sort à l’énorme paradoxe, la ruineuse guerre de l’été 2006 n’a fait que le raffermir, le Hezbollah tirant profit de la vénalité, de la complaisance intéressée, de l’arrivisme effréné de l’establishment politique pour finir par se poser en faiseur de rois.

À l’heure des évaluations des risques et bénéfices inhérents à toute aventure militaire, on commencera par revenir brièvement sur cet embrasement de 2006, initié par un raid du Hezbollah en territoire ennemi. Côté libanais, les 33 jours de combat ont fait plus de 1 200 morts et 4 000 blessés, en très grande majorité des civils ; un million de personnes ont fui leurs foyers du Liban-Sud et de nombreux ouvrages d’infrastructure ont été réduits en poussière, tandis que les Israéliens déploraient 150 tués dans leurs rangs. En dépit du saisissant déséquilibre qu’accusait le bilan, on voyait alors la milice revendiquer une divine victoire, du moment qu’elle avait survécu à l’offensive ennemie. Plus tard (et bien trop tard), Nasrallah se laissait néanmoins aller à émettre sur les ondes cette stupéfiante confidence : Si seulement j’avais su…


Eh bien, le doute n’est plus permis cette fois, car les enjeux et les conjonctures, tant diplomatiques que militaires, ont drastiquement changé. En rappelant sous les drapeaux non moins de 300 000 réservistes, Benjamin Netanyahu fait savoir que sa longue guerre avec le Hamas, même si elle devait commander une réoccupation du coupe-gorge de Gaza évacué en 2005 par Ariel Sharon, n’est pas forcément la seule qu’il est prêt à livrer. En s’acharnant à réduire cette cité en un amas de ruines, en en écrasant la population sous les bombes et en l’affamant, le Premier ministre israélien ne cherche pas seulement à châtier le Hamas, mais à instruire de son potentiel de barbarie quiconque serait tenté d’imiter le Hamas. Seule l’ONU y a vu une flagrante violation des conventions internationales et a réclamé l’aménagement d’un couloir humanitaire pour les innocents habitants du secteur. Le fait est que sans jouir d’une estime excessive au sein des puissances occidentales, Netanyahu tire hélas grand profit de l’horreur qu’y ont suscitée les meurtres et enlèvements de civils commis par les assaillants palestiniens. Biden lui ouvre ainsi ses arsenaux, lui envoie même un porte-avions, lui illumine la Maison-Blanche aux couleurs d’Israël, comme il a été fait de la tour Eiffel.

Le doute n’est plus permis, une fois de plus, parce que le Liban, déjà au bord de l’effondrement financier et socio-économique, n’est simplement plus en état de supporter, en surcharge, de nouvelles destructions d’habitations, d’usines, de ponts et d’autoroutes. Le doute n’est plus de mise, on ne le répétera jamais assez, parce que l’opinion publique, toutes tendances confondues, n’a simplement plus la capacité d’absoudre les fauteurs de désastres. Et pourtant, le doute est toujours là, il continue de planer, entretenu par plus d’un porte-voix du Hezbollah ou encore par des incidents sanglants à la frontière sud. Ceux-ci, nous assure-t-on, sont le fait non point du Hezbollah, mais du Jihad islamique. Or c’est du pareil au même, puisque ce groupe, lui aussi d’absolue obédience iranienne, a souvent servi de groupe-écran au parti de Dieu. Mieux encore, l’ayatollah Khamenei nie toute implication de son pays dans l’opération du Hamas ; mais on laisse quand même fuiter que celle-ci a été mûrement planifiée, à Beyrouth même, en étroite collaboration avec les Iraniens et le Hezbollah…


Dans tout ce bouillon d’ambiguïtés, impénétrables restent naturellement les voies de la République islamique. Hasardeuse serait une guerre totale impliquant de concert ses deux protégés favoris, le palestinien et le libanais, lesquels lui assurent, par procuration, une confortable ligne matérielle, physique, de contact et de confrontation avec l’État hébreu. C’est grâce à la même proximité pourtant que Téhéran escompte avoir son mot à dire si du chaos annoncé devait germer la recherche de règlements durables au Proche et au Moyen-Orient.

Reste pour nous la question de base : notre pays est-il en mesure, lui, de durer s’il venait à être précipité dans la mêlée ? Plus que jamais, Hassan Nasrallah est tenu d’y répondre sans détours. Il le doit à tous les Libanais, y compris les réfractaires au Hezbollah, qui en 2006 ont spontanément éprouvé le même élan de solidarité avec leurs concitoyens du Sud fuyant l’enfer des bombardements. Il le doit en particulier à une communauté chiite méritant d’autres horizons que le culte du martyre qu’on lui fait ingurgiter jusqu’à plus soif.

Oui, la température monte dangereusement et il est grand temps de lever le doute.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Au point où l’on en est, peu importe si c’était par exaltation ou seulement par lourde anxiété, mais quel Libanais n’a tressailli au spectacle, retransmis en boucle sur les télés, de ces rugissantes nuées de missiles striant le ciel d’Israël, en ouverture de l’opération Déluge d’al-Aqsa ? Car ces fulgurants engins, le Hezbollah implanté au Liban en possède lui...