Rechercher
Rechercher

De fer ou de verre ?


Par sa minutieuse et secrète programmation, sa soudaineté et ses ambitieux objectifs, par son audacieuse et implacable exécution, l’opération Déluge d’al-Aqsa initiée samedi dernier par le Hamas palestinien accède au rang de ces cas d’étude que l’on passe au crible dans les académies militaires. Par ses incalculables retombées politiques, elle envoie valser aussi une foule de paramètres politiques inconsidérément tenus pour immuables.


Ce samedi-là, plus d’un mythe a volé en éclats. À commencer par celui de ce Dôme de fer constitué de missiles mangeurs de missiles, mais dont le cerveau artificiel submergé, saturé d’alertes, a fait tilt face aux milliers d’engins tirés par les assaillants. Enfoncés de même comme carton-pâte, ces murs frontaliers garnis de dispositifs électroniques, réputés infranchissables, mais par où les hommes de Hamas ont fait irruption en Israël même, écumant 48 heures durant les localités de la région. D’autres combattants étaient venus par mer ou encore à bord de parapentes à hélice : comme quoi l’espoir – denrée interdite aux habitants de cette misérable réserve d’Indiens qu’est, depuis des décennies, la bande de Gaza – n’est pas seul capable de donner des ailes …

Pour en rester au domaine froidement technique, on relèvera encore l’ampleur sans précédent des pertes humaines infligées en l’espace de quelques heures à un État hébreu surarmé. Honteux, inexcusables, intolérables sont en revanche les meurtres et autres exactions commis contre les civils dans les villages attaqués et qui flétrissent indéniablement l’exploit. Mais est-il besoin de rappeler que dans ce vieux conflit de Palestine, la haine, la cruauté, l’inhumanité, la barbarie n’ont jamais été l’apanage d’un seul bord ? Et après avoir cautionné les sanglants excès des colons juifs de Cisjordanie, Benjamin Netanyahu, à l’abri d’un scandaleux silence international, n’œuvre-t-il pas en ce moment à améliorer son score, à rétablir à son avantage la comptabilité de l’horreur en écrasant sous les bombes la population de Gaza : en allant même jusqu’à lui couper son approvisionnement en eau dans le cadre d’un siège complet et absolu ?

Outre la substantielle monnaie de change qu’il s’est acquise en ramenant chez lui une centaine d’otages, et en dépit de la volée de condamnations internationales qu’il essuie actuellement, le Hamas vient tout de même d’enregistrer une spectaculaire cascade de coups au but. Le plus significatif, le plus potentiellement prometteur est d’avoir replacé au cœur de l’équation moyen-orientale une question palestinienne en voie de tomber dans l’oubli. Car on s’est ingénié à contourner celle-ci, à la marginaliser. Faisant insulte au vénérable patriarche Abraham, fondateur des trois grandes religions monothéistes, on a affublé de son nom des accords de paix arabo-israéliens coupablement muets sur l’essentiel, sur la seule solution raisonnable et juste, celle de deux États en Palestine.

Parce que les centres d’intérêt des gouvernements et ceux de leurs peuples ne sont pas les mêmes ; parce que la rue arabe qui n’a pas souvent l’occasion de pavoiser, il est vrai, a vibré pour l’équipée du Hamas, Déluge d’al-Aqsa n’aura pas pour seul effet de freiner, par pures prudence et décence, la récente ouverture du royaume saoudite sur Israël. Cette opération ne se borne pas non plus à réduire à la portion congrue – à nanifier, comme l’on dit des bonsaïs ! – l’Autorité palestinienne siégeant en Cisjordanie et déjà passablement discréditée. C’est en Israël même, en effet, que le séisme de samedi est le plus susceptible de produire des secousses secondaires : pas si secondaires que ça d’ailleurs.

Comme on sait, ce n’est pas la première fois que l’État hébreu est surpris culotte basse. Or un demi-siècle après, ce ne sont pas deux puissantes armées qui le prennent en tenailles, mais une organisation paramilitaire, une milice. Au choc de l’épreuve s’ajoute donc cette fois un cuisant sentiment d’humiliation. Dès lors, bien des têtes sont vouées à rouler au sein des renseignements israéliens qui n’ont pas vu venir l’ouragan ; mais Bibi, lui ? En proclamant l’état de guerre, ce dernier mise à l’évidence sur la traditionnelle union sacrée qui, en pareille circonstance, vient entourer le gouvernement en place. Tel un taureau blessé, Netanyahu, qui se pose en seul garant de la sécurité d’Israël, passe sa fureur sur la population de Gaza en escomptant que l’opinion publique y trouvera elle aussi un exutoire à son désarroi et à sa colère. Il devrait se souvenir pourtant que les défaillances d’octobre 1973 avaient fini par l’envoi au musée de ces deux monstres sacrés de l’époque, Golda Meir et Moshé Dayan.

En définitive, et ce sera là le thème du prochain article, seules deux voies d’écoulement semblent offertes aux tumultueux torrents nés du Déluge d’al-Aqsa. La première est celle de la justice et du bon sens, à savoir un retour aux négociations sur la formule des deux États ; l’autre est celle d’un apocalyptique élargissement du duel israélo-palestinien, avec l’éventuelle entrée en scène de nouveaux protagonistes, et à leur tête le Hezbollah.

Les démocraties occidentales étant trop occupées à fustiger à qui mieux mieux les terroristes, elles auront hier laissé aux Russes la voix de la raison.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Par sa minutieuse et secrète programmation, sa soudaineté et ses ambitieux objectifs, par son audacieuse et implacable exécution, l’opération Déluge d’al-Aqsa initiée samedi dernier par le Hamas palestinien accède au rang de ces cas d’étude que l’on passe au crible dans les académies militaires. Par ses incalculables retombées politiques, elle envoie valser aussi une foule de...