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Nos Lecteurs ont la Parole

N comme Nathalie

C’est un samedi soir. Je suis de retour à Jezzine. La lune sort à peine dans ce vaste ciel flottant au-dessus de ma tête. Nous sommes en octobre. Mes rêves se cachent sous des vagues de tristesse. Du haut de cette colline, je suis déçu par le cours de la vie. Il est 3h. Je pense avoir le cafard de l’alcool. L’ordinateur portable sur mes pieds, je suis allongé devant la tombe de ma cousine Nathalie et j’écris.

Je repense à ces 40 derniers jours sans elle. Le 21 août, alors que je fuyais les fortes canicules qui frappaient le sud-ouest de la France, alors que je nageais à 22h30 en face du coucher de soleil sur l’Atlantique, alors que je ressentais une connexion avec les dunes du Médoc, mon téléphone a commencé à sonner bruyamment. Tout était calme, tout était beau, tout était magique, jusqu’à ce que ce téléphone de Londres bouleverse ma vie. Nathalie est décédée à Dakar suite à un accident de voiture. Choqué, outré et énervé, j’ai assisté, et pour la première fois de ma vie, à une mise en bière et à un enterrement à distance. Loin de chez moi, j’ai dû voir ma famille anéantie à travers l’écran de mon téléphone.

Depuis, j’ai perdu un être exceptionnel. J’ai perdu celle avec qui j’ai fait la révolution. J’ai perdu celle qui rêvait d’un Liban laïc et non corrompu. J’ai perdu celle avec qui je me suis battu à Bisri contre la création du barrage. J’ai perdu celle qui s’inspirait par la résilience de Beyrouth. J’ai perdu celle qui a voyagé loin pour se créer une vie digne d’elle-même. J’ai perdu celle qui est partie, mais qui cherchait, jour et nuit, à revenir.

Nous sommes de ceux qui ont fui le système de leur pays. Nous sommes de ceux qui ont, un jour, voulu changer. Nous sommes de ceux qui ont lâché. Nous sommes de ceux qui ont voyagé avec le cèdre en collier autour de leur cou. Nous sommes de ceux qui ont fait bouger les choses, mais dans un pays qui n’est pas le leur. Nous sommes de ceux perdus dans leurs identités. Nous sommes de ceux qui ne savent pas définir leur « chez-moi ». Nous sommes de ceux destinés à mourir loin de leurs proches. Nous sommes une diaspora brisée à la recherche d’une pincée de ciment afin de cacher les traumatismes de nos ancêtres.

Ce soir je pense à l’alphabet. J’en prends quelques lettres. Je regarde le ciel. C’est un P comme le verbe pleurer, un L comme ce pays qui est le Liban et un N comme ma cousine Nathalie.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

C’est un samedi soir. Je suis de retour à Jezzine. La lune sort à peine dans ce vaste ciel flottant au-dessus de ma tête. Nous sommes en octobre. Mes rêves se cachent sous des vagues de tristesse. Du haut de cette colline, je suis déçu par le cours de la vie. Il est 3h. Je pense avoir le cafard de l’alcool. L’ordinateur portable sur mes pieds, je suis allongé devant la tombe de ma...

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