Le Norvégien Jon Fosse, sans ponctuation

On savait les membres de l’Académie imprévisibles. En choisissant de couronner cet écrivain de 64 ans, ils n’ont cependant pas surpris les spécialistes qui, la veille de la proclamation du prix, ont fait figurer le nom du lauréat en tête de liste des Nobélisables.

Qui est Jon Fosse ? Après des études de littérature, il débute en 1983 avec un roman intitulé Rouge, noir qui le place parmi les écrivains prometteurs de sa génération. Avec La Remise à bateaux (1989), Melancholia I et II (1995-1996) et Septologien, il s’affirme dans le paysage littérature norvégien. Son style se caractérise surtout par une absence de ponctuation, qui devient sa « marque de fabrique »...

Confronté à des difficultés financières, il décide de se tourner vers le théâtre et compose en 1994 Quelqu’un va venir, qui rencontre le succès. Il continue sur sa lancée et se met à écrire une ou deux pièces par an, qui seront bientôt jouées dans de nombreux pays, dont la France où Claude Régy, Patrick Chéreau ou Marc Paquien les mettent en scène. Parmi les titres connus : Et jamais nous ne serons séparés, Un jour en été, Rêve d’automne, Les Chiens morts, Je suis le vent... L’œuvre théâtrale de Jon Fosse, traduite dans une quarantaine de langues, se distingue par une écriture minimaliste, épurée, jalonnée de silences et de non-dits, un peu à la manière d'un autre lauréat du Nobel de littérature : Samuel Beckett. Ses personnages sont sans nom, sans identité, en attente perpétuelle comme dans En attendant Godot ; l'intrigue est souvent banale, mais le dramaturge réussit néanmoins à créer une tension soutenue et aborde avec pessimisme des sujets de société qui interpellent le public, comme le chômage, la solitude, les familles éclatées, la séparation...

Après une longue interruption, Fosse est revenu au genre dramatique en 2021 avec une pièce intitulée Sterk Vind. Poète, auteur de contes pour enfants, ce père de six enfants, marié trois fois, n'a jamais donné le sentiment de s'éparpiller, tant son style original marque toutes ses œuvres. Moins connu en France comme romancier que comme dramaturge, il y a reçu l’Ordre national du mérite. Le 21 novembre 2009, le pape Benoît XVI lui a remis une médaille à l'occasion d'une rencontre avec des artistes dans la Chapelle Sixtine. Quatre ans plus tard, il s'est converti au catholicisme...

À l’annonce du prix, certains observateurs ont été déçus, qui espéraient l’attribution du Nobel de littérature à Salman Rushdie. Mais après la récente controverse en Suède autour du Coran brûlé, une telle initiative aurait été perçue comme une provocation. Pourtant habituée à jeter des pavés dans la mare – on se souvient du prix attribué au chanteur Bob Dylan –, l’Académie a préféré cette fois-ci ne pas jeter de l'huile sur le feu !