Chaque pays en ce bas monde savoure les problèmes qu’il peut. Aux grandes nations les grands tracas, aux petits bleds les petites mesquineries.
À partir de là, quelle chance inouïe que d’être libanais en 2023 ! Pas de chicanes comme en France entre Démocratie et Lepenocratie : ici, sur chaque caillou y a un petit chefaillon qui vocifère, index en l’air. Pas de syndrome d’armes à feu, comme aux États-Unis : chez nous, le commun des pékins possède un canon de mortier dans son frigo. Pas de joutes verbales écolos non plus, autour des gaz à effet de serre et de l’empreinte carbone : nos peaux de banane se jettent par les portières des voitures, nos villes sniffent bon le diesel grillé et le clapotis des vagues fait frémir nos sacs-poubelle.
En revanche, nous avons quelques petits soucis d’un intérêt planétaire : Électricité du Liban va-t-elle tirer au sort les quartiers qui bénéficieront de 12 minutes supplémentaires de courant par jour ? Combien de centilitres d’eau courante recevront les ménages en période d’étiage, sachant que les pompes publiques ont rendu l’âme alors que le ministre en charge nous pompe l’air ?
Et puis, des pompes à eau au pompon de la futilité ! Il a été accroché la semaine dernière sur le veston du ministre de l’Éducation Abbas Halabi, dont les services étaient dents et griffes dehors. Espère un peu : un manuel scolaire avec une photo de la façade du siège de l’ONU à New York, sur laquelle figurait entre autres drapeaux celui d’Israël. La honte suprême ! Fallait voir la compétition de lèche sur les mocassins du ministre, succédant aux numéros d’héroïsme de la noria des fonctionnaires payés à pantoufler dans ce boui-boui. Les Saoudiens s’apprêtent à rouler une pelle aux Hébreux, et ces neuneus en sont encore à faire la chasse à l’étoile de David et à rayer Israël de la carte… du dictionnaire. Même l’éditeur, à qui personne n’avait rien demandé, s’est déculotté en public, mitraillant l’entité de qualificatifs stéréotypés tirés de la langue de bois des années cinquante.
Entre-temps, et près d’un an après l’échéance présidentielle ratée, c’est définitivement la politique du brumisateur. Objectif : faire bronzer idiot le Libanais de basse fosse et empêcher toute érection de son encéphalogramme plat. Qu’il est dur de trouver ce 3e homme qui renverra dos à dos le Franju et le Bleu Azour ! Pourtant les hominidés candidats ne manquent pas. Certes, jusque-là ils se la jouent rase-moquette, mais n’oublient jamais de vitupérer régulièrement contre les Israéliens pour pas cramer leurs chances auprès de Damas et Téhéran.
Curieux pays. Avant, les cinglés cherchaient à déformer la réalité en prenant du LSD. Maintenant que la réalité est déformée, les normaux qui surnagent prennent du Prozac pour tenter de la voir normalement ! Avec en filigrane, toujours le même spectacle des croûtons du pouvoir attendant leurs instructions d’une kyrielle de suzerains.
Mais bon, dans ces cas-là dit-on, mieux vaut prêter à sourire que donner à réfléchir.
gabynasr@lorientlejour.com
commentaires (4)
Gaby, brillamment pensé , sérieusement réfléchi et magnifiquement dit. Tu es la seule aspiration d’O2 qui nous reste. Merci.
Walid Tabet / TAA HOLDING
21 h 54, le 29 septembre 2023