La crise a des effets sur l'éducation au Liban que peu aurait pu soupçonner. En témoigne la dernière polémique survenue samedi, à quelques jours de la rentrée scolaire dans le secteur public. Elle a pour objet une réimpression non-autorisée par le ministère d'un manuel d'éducation civique. Sur la couverture de ce livre : le siège des Nations unies sur lequel flotte, parmi d'autres... le drapeau israélien. Une des causes sous-jacentes de cet incident : le fait qu'aucune maison d'édition n'a participé à l'appel d'offres pour la réimpression officielle du manuel, qui prévoit un paiement en livres libanaises, à l'heure où la monnaie nationale a connu une dépréciation record ces dernières années.
Le Liban ne reconnaît pas Israël et le drapeau israélien est strictement proscrit dans les manuels scolaires, tandis que le nom de l'Etat hébreu est remplacé par « Palestine occupée » dans les textes éducatifs.
Dans un communiqué, le ministère de l'Éducation a dénoncé « une augmentation des copies et des réimpressions de manuels publiés par le CRDP, la dernière en date étant un manuel d'éducation civique, dont le CRDP a normalement l'exclusivité des droits garantie par la Constitution ». Sur la couverture de ce livre, on voit selon le communiqué le bâtiment de l'ONU, sur lequel se flotte le drapeau israélien parmi les drapeaux d'autres pays. Le ministère a mis en garde les écoles contre l'utilisation de tels manuels, tout en appelant les forces de sécurité à intervenir pour mettre un terme aux réimpressions non-autorisées. Le texte explique cependant que cette situation a été causée « par les conditions économiques actuelles (...) et le fait qu'aucune maison d'édition n'est disposée à participer aux appels d'offres pour l'impression de manuels scolaires en livres libanaises ».
Deux sources au ministère de l'Éducation contactées par L'Orient-Le Jour ont été incapables de donner des informations sur le nombre exact de manuels imprimés sans autorisation, les régions où ces livres ont été vendus, ainsi que les classes concernées.
En réaction, le ministre Halabi a demandé à la présidente du Centre de recherches et de développement pédagogique (CRDP) Hiyam Ishak, ainsi qu'au département juridique du Centre, « de prendre des mesures légales à l'encontre de toutes les personnes ayant copié, imprimé, ou altéré illégalement le manuel scolaire d'éducation civique et d'éducation à la citoyenneté, et ayant violé les droits de production des manuels scolaires officiels ». Mme Ishak a également été chargée de surveiller de près les falsifications de manuels scolaires et la déformation de leur contenu, en collaboration avec le syndicat des éditeurs, qui travaille en étroite coordination avec le CRDP et le ministère de l'Éducation.
Condamnant une « double illégalité » des actions entreprises par la maison d'édition concernée, la publication d'un drapeau israélien et la réimpression sans autorisation légale, une source au ministère a assuré que le dossier est entre les mains de la police et des autorités compétentes ».
Livres retirés du marché
Dans un communiqué publié samedi, la maison d'édition Dar Aoun, qui est à l'origine de l'impression du livre comportant le drapeau israélien, a présenté des excuses pour ce qu'elle qualifie « d'erreur involontaire ». « Lorsque nous avons publié le manuel d'éducation civique pour l'année 2024 (...), nous avons involontairement inclus une photo du drapeau de l'entité israélienne usurpatrice ». L'éditeur a présenté ses excuses et s'est engagé à retirer ces manuels du marché, rappelant que le propriétaire de la maison d'édition est « connu pour ses positions envers l'ennemi israélien et en faveur de la juste cause du peuple palestinien ». Selon l'adresse de l'entreprise, mentionnée dans le communiqué, celle-ci se situe dans la banlieue-sud de Beyrouth, zone d'influence du Hezbollah, ennemi juré de l'Etat hébreu.
Contactée, la présidente du CRDP a estimé que la version réimprimée par Dar Aoun est « un plagiat pur et simple de la version publiée par le Centre, dont la seule différence est la couverture ». Elle a précisé qu'une plainte a été déposée et que le propriétaire de la maison d'édition a demandé à voir le CRDP lundi.
Interrogée sur la manière légale et officielle d'accéder à ce manuel, étant donné qu'il ne sera pas réimprimé cette année, Hiyam Ishak a expliqué que le ministère « a produit une version numérique qui est accessible à tous les étudiants des écoles privées et publiques. Il suffit d'accéder à une application créée par le ministère et que l'élève ait des identifiants et que son école soit enregistrée auprès du ministère ». Une alternative dont la responsable reconnaît néanmoins les limites, dues notamment au manque de promotion de l'application évoquée dans les écoles et à l'accès limité de certains élèves à des appareils électroniques.
Samedi en journée, la Fédération des enseignants des écoles privées a condamné « l'exploitation de la situation économique difficile par certains commerçants, ainsi que le manque de supervision officielle », qui ont mené à cette situation.
Il nous est difficile de sortir de la farine d’un sac de charbon. Vive le nouveau Liban
18 h 14, le 24 septembre 2023